quatre
Anastasia était en français, à côté de Carla, une de ses amies, quand on frappa à la porte. Celle-ci s'ouvrit sur Jordan. Le prof se tourna doucement vers lui, en attente d'une explication, mais l'adolescent n'ouvrit pas la bouche. L'adulte le fit alors à sa place :
« Quelle est ton excuse ?
- J'en ai pas, annonça Jordan sans passer par quatre chemins. »
Le professeur le regarda, incrédule qu'il n'ait même pas essayé de trouver une histoire d'extraterrestres qui seraient venus le chercher mais hocha la tête, indiquant ainsi au jeune homme de s'asseoir.
Lorsqu'il fut dos au prof, Jordan sourit d'un air moqueur, et alla s'asseoir derrière Anastasia. Après ça, la classe mit cinq bonnes minutes avant de se reconcentrer sur le cours pour les plus courageux, et de replonger dans un demi sommeil pour les plus fatigués.
Anastasia se retourna, les yeux interrogateurs. Jordan arracha un coin de feuille et se mit à écrire fébrilement. Il lui tendit ensuite le mot et l'incita à se retourner.
Elle se retourna donc et vérifia que le prof récitait toujours son monologue avant de baisser les yeux vers le petit bout de papier.
Rdv au parc 17h ?
Elle empêcha un sourire de se former sur ses lèvres. Elle écrivit simplement un OK, avant de poser le coin de page sur la table de derrière. Sa voisine, Carla, la regarda d'un air suspicieux, un sourire plaqué sur son visage. Anastasia se contenta de l'ignorer.
La sonnerie, le bruit des stylos qu'on rangeait dans les trousses, les conversations qui reprenaient. C'était la fin des cours pour la première quatre. Seule Anastasia ne faisait aucun bruit, rangeant ses affaires en silence. Au lieu de rejoindre son groupe d'amis comme elle en avait l'habitude, elle s'éloigna et s'empara de son téléphone qu'elle avait rangé après avoir reçu le message.
Elle se trouvait dans un état second lorsqu'elle composa le numéro de son père. Elle ne put s'empêcher de marcher en rond, seule dans le couloir. La main crispée sur le téléphone, elle attendait sans vraiment attendre, n'ayant aucune conscience du temps qui passait, comme si elle se trouvait dans un autre espace-temps.
Lorsque son père décrocha, elle arrêta soudainement de marcher. Elle sentit sa respiration s'accélérer, tandis que le silence régnant d'un bout à l'autre du combiné devenait de plus en plus pesant, compressant les poumons d'Anastasia. C'est lorsqu'elle se décida à parler que la première larme tomba :
« Papa ?
-Son cœur s'est arrêté il y a vingt minutes.»
La jeune adolescente étouffa un sanglot.
« Non. »
Ce fut tout ce qu'elle réussit à dire, avant de tomber dos au mur, et de plonger sa tête entre ses genoux, le téléphone toujours à son oreille.
« Non, non, non pas ça, papa. »
Son père lui expliqua avec difficulté ce qu'il s'était passé, mais entre les reniflements de son paternel et le réseau qui ne semblait pas vouloir marcher, elle ne put comprendre que quelques mots :
« ...seule...parti...revenu...crise d'épilepsie...urgences...tard. »
Les larmes dévalaient ses joues. Elle ressentait la même impuissance que devant un film, assistant à la scène sans pouvoir agir.
« ...ia ? Anastasia ?
-Oui.
-Tu veux venir ?
- Je ne sais pas, répondit-elle, le regard toujours embué par les larmes, plongé dans le vide. »
La jeune fille entendit son père renifler encore une fois de l'autre côté.
« C'est comme tu veux, tu pourras la revoir plus tard, lorsqu'elle sera, commença-t-il avant de se reprendre, lorsqu'elle ne sera plus dans cet état.
-D'accord. »
Avant de raccrocher, elle s'empressa de demander :
« Maman va bien ?
- Elle parle avec le médecin.
-Dis-lui que je l'aime. »
Puis elle appuya sur le bouton rouge et attendit quelques secondes dans le silence avant de commencer à répéter :
« Non. Non, non, non. »
Lorsqu'au bout d'une demi-heure, les yeux injectés de sang et avec un volume trois fois plus gros que la normale, elle se décida à bouger, elle se souvenu de Jordan, probablement rentré chez lui. Elle regarda son téléphone, s'attendant à avoir reçu une tonne de messages, mais il ne lui en avait envoyé qu'un :
« Qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi tu n'es pas venue ? C'est pas ton genre de foutre des lapins comme dirait mes parents. »
Elle ne lui répondit que le principal, elle savait qu'il comprendrait :
« Désolée. Ma grand-mère est décédée. »
Elle fourra son cellulaire dans son sac, et sortit affronter le froid. Où allait-elle aller ? Pas chez elle. Le silence serait trop pesant. Chez Jordan ? Peut-être saurait-il la réconforter. Mais non, ce serait trop bizarre au vu de leur relation. Elle se dirigea donc vers le parc lieu où elle ne connaîtrait personne et où il y aurait du bruit, qui l'empêchera sûrement de trop réfléchir.
Elle s'assit sur le banc, seule. Elle n'était pas une de ces filles qui disaient tout à leurs grand-mères, mais celle-ci était une partie importante de sa vie. Elle faisait partie de sa famille, et elle l'aimait.
Elle observa les enfants glisser le long des toboggans et se courir après. Les parents étaient assis sur les bancs environnants, discutant ensemble pour certains, tandis que d'autres étaient seuls sur leur téléphone. Sur le banc voisin, un adolescent écoutait de la musique, hochant la tête en rythme. Le monde continuait de tourner.
« Que se passe-t-il, jeune fille ? »
Elle se retourna vers la source de la voix, et aperçu le vieillard qui lui avait parlé la dernière fois. Il s'assit à côté d'elle, sans qu'elle ne pipe un mot.
« Est-ce que c'est ce jeune garçon à qui je t'ai dit de laisser une seconde chance ? »
Elle fronça les sourcils. Peut-être qu'inconsciemment, c'était ce bonhomme qui l'avait encouragée à inviter Jordan. C'est ce qui la décida à répondre.
« Non, je l'avais invité ce soir, mais j'ai eu un contre temps. Ma grand-mère est décédée. »
Après quelques secondes de silence, le vieux lui répondit :
« On part tous un jour, il faut l'accepter. Le pire ce n'est même pas pour le défunt, c'est pour ses proches.
-Ouais, répondit-elle simplement.
-Bon, je ne vais pas t'importuner plus longtemps, et aller rejoindre Corentin, annonça-t-il en se levant. Passe une bonne soirée, même si je sais que ce ne sera probablement pas le cas, fit-il, un sourire triste aux lèvres. »
Puis il se dirigea vers le banc du garçon qui écoutait tout à l'heure la musique, le dénommé Corentin. Celui-ci avait enlevé ses écouteurs, et lui adressait un grand sourire. Sa tête ne lui disait rien.
Anastasia prit son sac et se leva, se préparant mentalement à affronter sa soirée.
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