cinq

 Comme à son habitude depuis deux courtes semaines, Corentin attendait le vieux mendiant sur leur banc. Les écouteurs sur les oreilles, ils observaient les alentours, comme le vieillard lui avait conseillé.

« Regarde autour de toi, mais pas comme tu le regardes tous les jours. Vois les choses différemment, observe comment les couleurs sont vives lorsqu'on y prête attention, soit attentif à la moindre trace de bonheur sur chaque visage. Ça doit te faire quelque chose là-dedans, avait terminé le vieil homme en enfonçant un doigt dans son ventre. »

Son regard s'attarda sur un petit garçon au manteau jaune vif, courant seul autour de la structure sur laquelle étaient tous les autres enfants. Et pourtant il avait l'air heureux, ce petit bonhomme, à courir sans but. Corentin sourit. Peut-être que les autres lycéens qui se disaient « hommes » l'auraient traité de tapette, ou de fragile, mais il s'en foutait. Qu'y a-t-il de mal à aimer voir le bonheur sous sa forme la plus pure ?

Le sourire de Corentin disparut aussitôt lorsque l'enfant trébucha face contre terre. Mais un quadragénaire, son père sûrement, accourut aussitôt, et le releva. L'enfant avait le visage rouge écrevisse, et les larmes dévalaient ses joues, mais aucune égratignure en vue.

L'adolescent perdit le fil des aventures de l'enfant lorsqu'une jeune fille passa devant lui. Le teint pâle, les yeux dénués de toute émotion, la tête basse. Elle s'assit sur le banc à côté de lui. Inexorablement, si elle avait été heureuse, il l'aurait trouvée magnifique.

Le bonheur rend beau, mon garçon, s'imagina-t-il entendre de la bouche du vieil homme.

Le jeune ferma les yeux, emporté par la musique, et ne les rouvrit qu'a la fin de celle-ci. Il aperçut la fille en compagnie de son ami. Se connaissaient-ils ? Il ne lui en avait jamais parlé auparavant. Le vieil homme se leva avec difficulté, ajouta quelques mots et vint dans sa direction, tandis que la jeune fille partait.

« C'était qui ?

– Corentin s'intéresserait-il enfin à d'autres personnes qu'à un vieil homme ? rigola le vieux.

– Elle est au lycée ?

– Pourquoi ? Tu veux la revoir ? »

Corentin rougit, et argua :

« Non, pas du tout. Enfin, elle est jolie quoi, avoua-t-il après le regard insistant de son compagnon. Vous lui parlez autant qu'à moi ?

– Cela fait deux semaines que je te demande de me tutoyer, soupira le vieux. Mais non, ce n'était que la deuxième fois. Pour ne rien te cacher, la première fois que je suis venu lui parler, elle m'a regardé comme si j'étais fou avant de partir.

– Ce qui n'est pas totalement faux.

– Non, c'est vrai, sourit l'homme à la barbe grise. Tu commences à être un peu trop sarcastique gamin.

– C'est vous qui m'avait, enfin toi, se reprit-il après le regard du vieux, c'est toi qui m'a tout appris.

– L'élève a apparemment dépassé le maître. »

Ils regardèrent en silence les enfants se courir après durant une trentaine de secondes, avant que Corentin reprenne :

« Comment elle s'appelle ?

– J'en ai aucune idée gamin. Dis-moi, t'aurais pas un truc à bouffer ? C'est un peu la galère en ce moment.

– Non, désolé, je rapporterai quelque chose demain.

– Je veux pas que tu penses que je viens te voir pour ça, alors non, t'embêtes pas. »

Corentin ne répondit rien. C'est vrai que ces derniers jours, le vieux paraissait plus pâle, plus maigre que d'habitude. Un silence apaisant se forma, faisant l'effet d'un coup de vent dans l'esprit de Corentin, qui emporterait toutes les mauvaises ondes plus loin, hors de son crâne.

« Est-ce qu'elle a une histoire ?

– Qui ça ?

– La fille de tout à l'heure, est-ce que vous lui avez inventé une histoire ?

– Oui.

– Vous pouvez me la raconter ? »

Le vieil homme ne répondit rien, ses pupilles fixées sur les enfants. Corentin mit quelques secondes avant de se rendre compte de son erreur.

« Tu peux me la raconter ?

– Oui, répondit doucement le vieil homme. Mais celle-là est moins gaie que la tienne. »

Il tourna son visage vers l'adolescent, et commença son récit :

« Il était une fois une jeune fille, de dix-sept ans seulement, qui avait un pouvoir, elle pouvait rendre les gens heureux. Malheureusement, il y avait un problème. En contrepartie de ce bonheur qu'elle apportait, elle-même ne pouvait être heureuse.

– Merde, laissa échapper l'auditeur.

– Ouais, merde, comme tu dis. Plus elle s'évertuait à rendre les gens heureux, plus son état empirait. Elle ne trouvait plus de joie nul part. À tel point que ce qu'elle faisait n'avait plus aucun sens à ses yeux. »

Il fit une courte pause, avant de reprendre :

« Alors un jour, après avoir rendu des milliers de personnes heureuses, elle décida de se plonger elle-même dans une sieste éternelle, qu'elle puisse enfin se reposer. »

Un long silence ensuivit cette histoire. Corentin réfléchissait. Il devait la revoir. Il savait que ce n'était qu'une histoire purement inventée, mais il ne pouvait s'empêcher de se demander s'il n'y avait ne serait-ce qu'une once de vérité. Lorsqu'elle était passée devant lui, elle avait l'air maussade, triste.

Mais il abandonna rapidement cette idée, ne voyant pas comment cette rencontre pourrait se produire.

Il soupira, pestant contre lui-même et son indissociable insociabilité.

« Bon, je vais y aller gamin. Passe une bonne soirée.

– À demain. »

Le vieux partit sans en dire plus, et Corentin le suivit du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse de son champ de vision.

Après quelques minutes, une fille de son âge survint là où le vieillard avait plutôt disparu. Après avoir fouillé le parc de son regard, il se posa sur l'adolescent. Elle marcha rapidement dans sa direction, avant de demander calmement :

« T'as pas une clope ?

– J'ai une gueule de fumeur ? »

Il s'injuria mentalement. Après il s'étonnait qu'on ne voulait pas le connaître. La jeune fille haussa ses sourcils parfaitement épilés avant de sourire.

« Toi, je t'aime bien. C'est quoi ton nom ?

– Corentin.

– Enchantée Corentin. Moi c'est Thea, avec un h et sans accent. Je suis nouvelle.

– Euh, salut ?

– Ouais. Bon Corentin, je vais te laisser, on se revoit demain au lycée ?

– Apparemment...

– Je t'aime vraiment bien toi, rigola l'énergumène, dévoilant deux rangées de dents scintillantes. »

Il sourit. Elle était bizarre, mais étrangement, il aimait cela.

« Et avant que je parte, ne t'imagine pas quoique ce soit entre nous deux hein. Sans vouloir vous offenser, toi et ton mât, j'ai une préférence pour les personnes du même sexe que moi.

– Oh mais je n'en avais pas l'intention, fit-il sans bizarrement ressentir un gêne.

– Bon, à demain Coco ! »

Elle tourna les talons et partit, comme elle était arrivée. Corentin sentit son sourire s'agrandir; il sentait que cette fille allait bouleverser son quotidien. Elle n'était pas comme les autres il le sentait. Rien que le fait qu'elle vienne le voir la rendait spéciale en fait.

Vivement demain. 

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