Chapitre 8

~~Tracy~~

"Il n'y a ni présent ni futur, il n'y a que l'éternel recommencement du passé"- Eugene O'Neill

Si on me demande comment s'est passé ma journée, je répondrais: "horriblement mal". Je n'avais pas prévu de la terminer à bord d'une ambulance direction les urgences. Ou encore moins qu'en arrivant, je perdrais de nouveau connaissance.

Je viens de rouvrir les yeux dans une pièce qui m'est inconnue. L'odeur caractéristique d'alcool et de produit ménager me confirme que je suis toujours à l'hôpital.

L'horloge accrochée en face du lit m'indique qu'il est quatre heures et vingt-deux minutes du matin.

Normalement c'est l'heure à laquelle je m'endors.

Branchée à plusieurs machines, un masque à oxygène sur le visage et une perfusion au bras, j'essaie de bouger sans grand succès. Mon corps tout entier est raide, comme si à chacun de mes mouvements je risquais de me briser en mille morceaux.

Les courbatures me paralysent mais je m'efforce de bouger la tête pour regarder autour de moi.

Une veilleuse accrochée au mur derrière moi éclaire de ses faibles lueurs la chambre.

Assis sur une chaise à côté du lit, je reconnais l'homme à mes côtés. Les yeux fermés, la tête penchée sur le côté; qui laisse découvrir, à la base de son cou, le bout d'un tatouage. Ses vêtements recouvrent une bonne partie du motif. Sur ses genoux est posé un casque de moto qu'il garde aussi précieusement qu'un enfant câline son doudou.

Qu'est-ce qu'il fait encore là ?

Il m'a dit qu'il s'appelait... Howk ?

Il dort paisiblement malgré la position inconfortable dans laquelle il se trouve. Ses traits sont beaucoup plus adouci que tout à l'heure.

Le bip des machines en fond sonore, je détaille chacun de ses contours. Chaque fois que sa poitrine se soulève et s'abaisse délicatement en un rythme régulier. Je pouvais le regarder, à présent sans être happé par le bleu de ses yeux.

Ses cheveux sont désormais attachés en une queue de cheval qui surplombe le haut de son crâne. Il n'a pas les cheveux très longs alors de petites mèches s'en échappent. Son style vestimentaire est assez sombre et pas très vivant ce qui, je l'avoue, ne colle pas avec la première impression que je me faisais de lui.

Un petit lapin blanc.

Mais sa gentillesse et ses yeux y correspondaient parfaitement.

J'essaie de faire des petits mouvements dans le lit pour réveiller mes muscles. J'ouvre et je referme ma main. Mon poignet. Je plie et déplie ma jambe. Ça me demande beaucoup d'efforts. Mes nerfs sont à vif et je suis vite essoufflée au moindre petit geste. À chacun de mes mouvements, je sens une décharge de douleur qui traverse tout mon corps.

Je soupire d'épuisement. J'essaie de faire le moins de bruits que possible. Je me tourne dans sa direction.

Il n'a pas l'air très à l'aise. En plus, il fait assez froid dans la pièce et il n'a qu'un T-shirt et un jean sur lui.

Après avoir rassemblé un peu de courage, je me redresse malgré la douleur et l'effort que ça me prend. J'enlève les électrodes sur ma poitrine, le masque ainsi que l'aiguille plantée dans mon bras.

Je lui suis reconnaissante pour ce qu'il a fait et pour sa gentillesse. Mais je ne tiens pas à rester sagement couché jusqu'à ce qu'il se réveille. Je redoute de devoir lui faire face dans mon "état normal". Je ne suis pas très doué avec les gens et puis je ne supporterais pas de revoir de l'inquiétude sur son visage. Ou encore moins devoir lui mentir sur mon état pour le faire partir.

Je préfère partir tant qu'il est encore temps même si ça veut dire m'enfuir comme une voleuse. Et puis, on ne se reverra plus jamais.

Discrètement, je sors de l'autre côté du lit. Je perds l'équilibre en me levant mais je me rattrape de justesse sur le bord du lit. Je pousse un léger gémissement de douleur. Heureusement, je n'ai pas perdu mes réflexes. Quelques millièmes de seconde plus tard et je serais de nouveau tombé, tête la première.

Je jette un regard vers lui. Il dort toujours profondément. Il a visiblement le sommeil lourd. Cela me facilite grandement les choses.

Je me relaie sur mes genoux et le lit pour me relever.

Mais j'ai mal. J'ai tellement mal. Des courbatures traversent tout mon corps et mes pieds supportent à peine mon poids.

Pourquoi tu te fais ça au juste, Tracy ?

Est-ce vraiment judicieux de ta part ?

Je devrais juste rester allongé et attendre le matin pour partir. Mais en même temps, cette petite escapade aux urgences a dû engendrer quelques problèmes auxquels je préfère faire face dès à présent.

Une silhouette apparaît à l'entrée de la chambre. Grand, assez costaud et le visage tiré.

Il a pris quelques rides depuis la dernière fois que je l'ai vu.

Mademoiselle Tracy.

Je suis aussi contente de te revoir, James.

Je savais qu'il serait dans les parages. Je lui fais signe pour qu'il baisse d'un ton pendant que je cherche mes affaires. Sa présence me conforte dans ma décision. Il se prête au jeu et à pas de loup il s'approche de moi.

Je trouve mon sac sur une table à côté du lit. James m'aide à rassembler mes affaires et me porte dans le couloir où m'attend une chaise roulante. Il m'y installe et dépose sur mes épaules un châle en laine beige.

Toujours aussi prévenant.

On se dirige vers la sortie de l'hôpital. Le silence dans les couloirs fait retentir plus fort chaque pas de James ainsi que les roues de la chaise. Il n'y a pas grand monde. Quelques infirmières derrière leur poste de garde, quelques accompagnants qui font les 100 pas. Étrangement, je trouve cette ambiance assez relaxante. Au moins mon samaritain va pouvoir continuer à profiter de son sommeil.

C'est réconfortant un hôpital endormi.

- Qu'a dit le médecin ?, j'interroge James d'une voix enrouée.

- Il voulait vous garder en observation quelques jours pour vous faire suivre un traitement. Mais je lui ai dit que ce n'était pas nécessaire. Il n'était pas très enchanté mais il n'avait pas d'autres choix que de céder. Heureusement, l'arrêt cardiaque n'a causé aucune lésion grave au cerveau. La réanimation a été très rapide pour tout vous dire.

Il marque une pause. Un silence amer rempli de ses regrets et de sa culpabilité s'installe.

Il doit s'en vouloir de ne pas avoir été là.

Si cette personne... Howk n'était pas là je n'aurais peut-être pas survécu...

Ça ne m'aurait pas vraiment dérangée.

James...

Il se racle la gorge avant de continuer.

- Votre tension artérielle est très élevée et il reste un risque permanent pour votre cœur. Mais j'ai tout préparé. Vous continuerez votre hospitalisation depuis votre appartement. Une infirmière viendra s'occuper de vous. Vous avez aussi quelques examens médicaux à passer. Certains changements sont à prévoir concernant votre alimentation et vous aurez des médicaments à prendre. Mais ne vous inquiétez pas pour ça.

- Et qu'est-ce qui va se passer maintenant ?

C'est ça qui m'importe le plus. Encore plus que de savoir comment va mon cœur ou si je mourrais dans quelques jours. Je m'en fiche de tout ça.

On sort du bâtiment pour se diriger vers le parking. Le vent frais nocturne me frappe de plein fouet et repousse le châle. James le replace sur mes épaules en m'enveloppant plus soigneusement dedans comme un bébé. Je le laisse faire. J'essaie de limiter au maximum mes mouvements et me concentrer sur son rapport.

- J'ai reçu comme consigne de vous ramener à votre appartement dès que vous vous réveillez.

Je m'en doutais !

- Vous commencerez vos cours dans une semaine, le temps que vous vous rétablissiez. Et je reprends en charge vos déplacements.

- Quoi ?! Je me retourne vivement vers lui, confuse. Je sens mes os se broyer à l'intérieur de ma poitrine. Je suis prise d'une soudaine toux mais la douleur physique m'importait peu à ce moment. Pourquoi...ça ?

Il a l'air offensé par ma réaction. Il sait bien que le problème ce n'est pas lui pourtant. Il me jette un regard appuyé et légèrement soucieux tout en tapotant dans mon dos.

- Essayer de vous ménager, mademoiselle. Cette décision a été prise à cause de ce qui s'est passé hier. Si j'avais été là, un événement aussi terrible ne serait jamais arrivé. Vous ne seriez même pas dans cette station de métro entourée d'inconnues. Je me suis fait un sang d'encre en l'apprenant.

- Pas besoin de me punir pour ça. C'était qu'un accident insignifiant.

- Un arrêt cardiaque, gronde-t-il, ce qui me fait sursauter.

Je me rabougris sur mon siège. L'écho porte sa voix dans chaque recoin du parking.

- Vous avez failli mourir. Ce n'était pas insignifiant.

Cela n'a aucun rapport avec son travail. À ce moment, ce n'est pas le garde du corps qui parlait.

Je me sens mal d'un coup. James a toujours été gentil avec moi. C'est la première fois qu'il élève la voix sur moi.

Le tremblement dans celle-ci me disait tout ce dont j'avais besoin. Il me crie dessus pour me faire réaliser la gravité de la situation mais ça ne sert à rien. Je n'y arrive pas. Je me sens coupable de ne pas y arriver. J'aurais aimé, juste pour lui, pouvoir m'inquiéter de mon état.

Une pensée horrible me traverse l'esprit.

Est-ce qu'il est énervé contre moi ? Peut-être que lui aussi va se lasser de moi. Il doit me trouver immature à être aussi insouciante. Il va sûrement m'abandonner à son tour.

Il n'osait même plus me regarder.

- Et... notre... accord ?, je lui demande d'une petite voix.

- Il est mis en pause pour l'instant.

- Pour combien de temps ?

- Une durée indéterminée.

- Mais-

- C'est un ordre de votre père.

Je me tais aussitôt. Je détourne la tête, déjà assez humilié. Ces paroles ont autant de poids qu'une gifle. Parce que quand mon père ordonne, on se doit d'obéir. Pas le choix. C'est comme une sorte de jugement final indélogeable et indiscutable qui s'abat sur moi.

Je m'accroche désespérément aux poignets de la chaise pour contenir mes larmes.

Cet accord était la seule liberté que j'avais. Même si ce n'était qu'un semblant de liberté, je m'en contentais et je m'y accrochais. Mais même ça il me l'arrache encore.

On arrive finalement à la voiture.

Une Range Rover, dernier modèle de couleur noire vernis avec les vitres teintées.

Au moins, quelque chose que je suis ravi de revoir. Je déteste les petites voitures et James le sait.

Il m'aide à monter à l'arrière et attache ma ceinture. J'évite son regard. Je ne veux pas qu'il voit à quel point j'ai l'air pathétique et ridicule.

Il soupire.

- Mademoiselle, votre père ne pense qu'à votre bien.

Un nœud s'installe dans ma trachée m'empêchant de respirer. Cette fois c'est à l'accoudoir que je m'attaque pour me contenir. J'ai envie de hurler que c'est faux. C'est le même mensonge que lui et maman me racontent depuis des années pour justifier toutes ses actions. Toutes les fois qu'il nous a fait du mal et ses absences. Chaque fois qu'il m'a brisé le cœur, c'était pour mon bien. Et aujourd'hui je dois retourner dans ma cage pour mon bien aussi. Je me retiens pour ne pas céder. Une douleur se ravive dans ma poitrine. Elle est latente comme une bombe à retardement, prête à exploser au moindre faux pas.

Je me gratte la gorge pour essayer de me débarrasser de cette sensation étouffante. James me dévisage toujours, inquiet.

- Pendant un instant..., commence-t-il d'un ton plus bas qu'à son habitude. J'ai cru que je vous avais perdu. Et j'ai eu peur... Alors c'est un énorme soulagement pour moi de vous revoir saine et sauve. Je ne voulais pas vous crier dessus. J'en suis désolé.

Il me caresse tendrement la joue.

- Vous n'avez qu'à vous reposer et me laisser m'occuper de tout. Ne vous inquiétez de rien.

Il ferme la portière laissant derrière lui cette chaleur familière. Les lèvres tremblantes, une larme m'échappe. Je me dépêche de l'essuyer avant qu'il prenne place derrière le volant et démarre.

Plus détendue, je relâche ma prise. Il me jette des coups d'œil de temps en temps depuis le rétroviseur.

Il ne va plus me lâcher pendant un long moment. C'est peut-être une décision que mon père a prise mais ça l'arrange tout autant.

Toute ma vie, chacun de mes déplacements étaient contrôlés.

James a été, est et sera mon garde du corps et mon chauffeur personnel.

Il y a 2 ans, en commençant mes études de psychologie, j'ai essayé de m'émanciper de tout ce contrôle. J'ai enfin réussi à persuader mon père, avec l'aide de maman et de James bien sûr, que je n'avais plus besoin d'une protection rapprochée à Boston.

Je n'étais plus à New York et de toute façon personne ne peut me reconnaître ici. Même à New York, on ne me connaissait que de nom.

Tracy Walker, fille du milliardaire et célèbre homme d'affaires Richard Xavier Walker.

Et plus récemment, devenu son unique héritière.

Personne ne sait à quoi je ressemble mais mon père a toujours été extrêmement parano et prudent en ce qui concerne notre sécurité.

Mais il a quand même cédé. James n'était plus chargé de me conduire partout. Je prenais les transports en commun comme tout le monde. J'avais mon propre appartement et juste avec ça, je me sentais normale.

Bien entendu, cette liberté avait des limites. La nouvelle mission de mon garde du corps consistait à ce qu'il s'assure que je rentre et que j'aille à l'université sans encombre. J'étais aussi chronométré pour ne pas faire une minute de trop dans mon trajet. Ça peut paraître contraignant mais je chérissais cet accord.

Peu importe où je me trouvais, je savais que James était à quelques mètres de moi, même si je ne le voyais pas.

Je soupire en me laissant aller dans mon siège. Les lumières de la ville défilent sous mes yeux à moitié fermés.

- James...

Ça ne sert plus à rien d'y penser. Il n'y a plus de retour en arrière pour moi. Cette liberté est déjà derrière moi. Un autre chapitre incomplet qui se referme.

- Oui mademoiselle.

- Je vais adopter un lapin.




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Salut !! Très chers lecteurs et lectrices, si vous avez des réclamations à faire à propos de ce chapitre, Merci de vous adresser à Karina, ma sensei, elle vous recevra avec tout l'honneur que vous méritez.

Passez une bonne semaine ^^


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