Chapitre 7
~~Howk~~
"Et ne pensez pas que vous pouvez infléchir le cours de l'amour. Car l'amour, s'il vous en trouve digne, dirige votre cours." - Khalil Gibran
On se sépare devant la voiture de Darren. Une Toyota bleue myrtille qu'il a hérité de son père lorsque celui-ci a préféré s'acheter un mini-van qu'il trouve "plus pratique".
Les sacs dans son coffre et sur sa banquette arrière, il prend la route avec Marley. On a convenu de se retrouver à mon appart'.
De mon côté, je prends ma moto pour leur emboîter le pas. Je suis à quelques mètres derrière eux quand je commence à perdre de la vitesse. L'écart se creuse et la moto commence à dangereusement freiner à chacune de mes tentatives d'accélérations.
Je ne cherche pas à comprendre et je trouve un coin sur le bas côté pour me garer. À l'allure où je vais, vaut mieux éviter un accident. Ça peut devenir dangereux si le moteur me lâche en plein milieu d'autres véhicules.
Je m'arrête devant un glacier au moment où le moteur s'éteint pour de bon. Le Ben & Jerry's. J'essaie de redémarrer sans succès.
D'où peut bien venir le problème ? Je fais une rapide vérification à la recherche de l'origine de la panne.
Essence ? Presque plein.
Elle n'est pas en surchauffe et ce n'est pas un problème de court-circuit non plus. Tout a l'air normal mais je n'arrive toujours pas à la démarrer. Si ce n'est pas un problème en surface, ça doit être en profondeur. Peut-être le moteur ou la bougie ?
C'est très embêtant. Elle aurait quand même pu survivre quelques minutes de plus le temps que je rentre.
Elle a vraiment choisi un mauvais moment pour me planter. Je décide de trouver un coin pour la stationner et de continuer mon chemin à pied. Je verrais pour appeler la dépanneuse un peu plus tard. Pour l'instant, la fatigue commence à se ressentir.
J'informe Marley et Darren. Ils ont proposé de revenir me chercher mais j'ai décliné leur offre. Je préfère marcher un peu. Je n'arrête pas depuis ce matin.
C'est peut-être pour le mieux. Marcher me fera un grand bien. J'ai besoin de réfléchir et de me vider l'esprit. Avant de continuer mon chemin, je rentre dans le magasin et achète quelques pots de yaourt glacé.
Je me mêle aux quelques passants sur le trottoir. Je ne fais pas trop attention à ce qui se trouve autour de moi. En fait, les paroles de Darren et Marley, me concernant, tournent toujours dans mon esprit. Ce n'est pas la première fois que ce sujet vient sur la table mais je ferai de mon mieux pour que ce soit la dernière fois.
Il y a un truc que j'ai compris pendant toutes ces années et c'est que la vie est bien trop courte. Bien trop brève pour que je continue à mettre la mienne sur pause. Même si c'était pour de bonnes raisons.
Je n'avais qu'un objectif et il était fixe. Je ne voyais plus rien autour de moi à partir de ce moment, après l'accident. Et sans m'en rendre compte, je suis rapidement entré dans cette chaîne qui ne variait qu'entre mon travail et Jaz.
C'était en quelque sorte plus "facile" pour moi de réduire mon spectre de vision à ces deux choses. Je ne vivais que pour ça. On avait des problèmes d'argent. Mais les deux boulots de notre mère ne pouvaient plus couvrir nos frais. Il était hors de question que Jaz ne continue pas ses études. Et moi, je n'ai jamais été très brillant pour les études. Je persistais surtout parce que ma mère m'avait convaincue de continuer. Mais après sa mort, j'ai tout lâché. J'ai quand même eu mon bac avant (ils ont dû avoir pitié de moi).
Mais il reste, néanmoins, un problème dans tout ça. Quand on est dans le rush du moment, on ne se rend pas compte de tout ce qu'on laisse autour de nous, tout ce qu'on ne prend pas le soin de regarder, toutes les personnes qu'on ne prends pas le soin de chérir et toutes les occasions ratées qu'on laisse derrière soi. C'est le moment pour moi de faire plus attention.
Je suis de ceux qui croient qu'on ne devrait jamais se laisser emporter par la vie. Elle est faite pour qu'on la vive et non le contraire.
J'avais essayé de ne pas trop y penser. De ne pas m'interroger sur le pourquoi je faisais ça au fond. Et pourquoi c'est important pour moi. La vérité c'est que c'était le seul moyen pour moi d'expier mes péchés.
Je n'ai jamais été un bon frère pour Jaz ni un bon fils pour ma mère. Pas que nos relations étaient mauvaises. Non ! On était une famille heureuse malgré nos problèmes d'argent.
J'étais juste un ingrat qui ne se rendait pas compte de la chance qu'il avait et qui était aveuglé par cette pseudo crise d'adolescence. Cette même crise qui m'a fait maudire ce que j'avais et convoiter ce qui n'était pas important.
Jaz était là devant moi. Mais on se regardait comme deux étrangers. Il ne me connaissait pas et moi, je n'ai jamais cherché à le connaître.
Je voulais grandir trop vite. Virée nocturne, les soirées, les filles, l'alcool, et tout ce qui va avec. Je ne pensais qu'à m'amuser. Je ne sais pas le nombre de nuits que ma mère a dû cumuler à se faire du souci pour moi.
Aussi tragique que ça puisse être, c'est son accident qui m'a fait ouvrir les yeux. Sa mort était la gifle dont j'avais besoin pour revenir à la réalité.
C'est étrange comme un seul événement a tout changé autour de moi. Mes priorités ont été redessinées ainsi que ma manière de voir la vie et de la vivre.
Je veux peut-être reprendre ma vie en main, mais cette fois-ci, je ferais tout mieux. Maintenant que Jaz peut voler de ses propres ailes, cette fois-ci je me permets de m'alléger de cette sentence. Cette fois, je peux vivre. J'ai le droit de vivre.
Après des minutes de marche, je rentre dans une station de métro. Je me suis rendu compte que marcher jusqu'à mon appart était un projet trop ambitieux pour moi. Ça m'aurait pris des heures.
À peine je passe les portiques, qu'un bruit sourd suivi d'un cri se fait entendre sur le quai.
- Au secours. Appelez une ambulance !
Je ne suis pas le seul surpris.
"Vous avez entendu ça ?"
"Qu'est-ce que c'est ?"
"Qu'est-ce qui se passe ?"
Une vague de panique et de confusion se déverse parmi nous.
Je ne réfléchis pas plus que ça. Je dévale les marches des escaliers quatre à quatre tout en composant le numéro des urgences. Une jeune femme est allongée au sol, visiblement inconsciente. Une autre femme, plus âgée, restait pétrifiée à côté du corps inanimé, tremblante devant la scène.
Je remets mon téléphone à la vieille dame ce qui la sort de sa torpeur. Je dépose mes affaires sur une marche de l'escalier et me rapproche de la jeune femme pour vérifier ses fonctions vitales.
D'autres personnes emboitent mon pas et accourent nous rejoindre sur le quai.
Ce n'est pas le moment de se laisser gagner par la panique. Les premières minutes sont les plus cruciales et souvent on ne s'en rend pas compte, trop absorbé par la surprise, la confusion, le fait de ne pas savoir quoi faire ou le fait de vouloir regarder de loin sans s'impliquer.
- Vous la connaissez ? Vous savez ce qu'elle a ?, interroge-je la femme maintenant en ligne avec les urgences.
- Non... Je ne sais pas... Elle est juste tombée.
Qu'elle me réponde à moi ou à la personne à l'autre bout du fil, sa voix tremblante ne laisse pas de doute sur le fait qu'elle ne tient absolument pas le coup. On aurait dit qu'elle était sur le point de faire un malaise. Heureusement, quelqu'un lui prend le téléphone et on l'éloigne du groupe.
Je ne trouve pas son pouls mais ce n'est pas un paramètre très fiable.
Je dégage ses longs cheveux qui lui recouvrent le visage.
On aurait dit qu'elle dormait paisiblement
Je place ma main dans la sienne.
- Mademoiselle ? Vous m'entendez ? Si vous m'entendez, serrez ma main.
Aucune réaction.
Je la secoue par l'épaule, lui donne des petites tapes sur la joue. Aucune réaction.
J'ouvre alors sa bouche et rapproche mes oreilles pour écouter sa respiration.
Rien.
- Elle ne respire pas...
Sans m'en rendre compte, j'avais cessé de respirer moi aussi pris d'une panique nouvelle qui me paralyse. Toute mon assurance d'il y a quelques secondes s'envolait. Tout ce discours sur le fait de rester calme n'avait plus de sens maintenant.
De l'agitation se fait entendre. Des interrogations, de la peur, de la stupeur, des pleurs. On avait conscience de ce qui se passait mais personne n'osait dire mot avant qu'une personne ait le courage (si ce n'est pas plus que ça) d'interroger l'évidence.
- Est-ce qu'elle... est morte ?
Tous les regards se tournent vers elle, les yeux exorbités, et un silence de mort s'abat sur nous, ce qui vient confirmer ses dires. Les rouages de mon cerveau commençaient doucement à se remettre en marche avant de partir à pleine puissance comme un moteur à plein régime. Connectant de mauvais fils entre eux. La temporalité n'avait plus de sens. Passés et présents s'entrecroisent dans mon esprit pendant que je la regarde inerte.
Est-ce qu'elle est morte ?
Morte ? Non ce n'est pas possible.
Un visage qui n'est pas le sien prend place sur sa tête. Un décor n'appartenant qu'à mon passé commence à s'installer.
Et je nous revois cette fameuse nuit. Ma mère gisant dans cette mare de sang et mon impuissance face à cette scène. Je l'éprouve toujours aujourd'hui. Mais tout est différent. Je suis différent par rapport à il y a cinq ans. Je me suis promis que plus jamais je ne me laisserais regagner par ce sentiment.
"Je suis désolé. On n'a rien pu faire pour elle. On est arrivé trop tard"
Non
Je la positionne à plat sur le dos et redresse ses membres. Je me cale au-dessus d'elle les doigts entrelacées, le talon de ma main au milieu de sa poitrine.
Tout s'enchaîne très vite pour moi. Je n'ai pas le temps de réfléchir normalement. Je suis en pilotage automatique, exécutant tout ce que j'ai appris pour que ce malheur n'arrive plus.
30 compressions thoraciques suivies de 2 insufflations.
Dans les jeux vidéo, on donne souvent des quêtes à accomplir pour réussir le jeu. Une princesse à sauver, un royaume à délivrer, des bandits à débusquer,... À ce moment, je n'avais qu'une mission.
La faire respirer de nouveau.
30 et 2.
Si le bruit sourd que j'ai entendu avant les cris, c'était elle qui tombait. Ça fait à peine 1 minute qu'elle est dans cet état, ça devrait aller n'est-ce pas ? Il y a encore une chance pour que je puisse la sauver.
Juste de penser que quelqu'un d'autre va mourir sans que je ne puisse rien faire m'est inconcevable.
30 et 2.
Et puis cette fois, je suis prêt.
Je persiste tout en sombrant dans des souvenirs que je croyais enterrer en même temps que ma mère.
Cette fameuse nuit. Maman aussi ne bougeait plus. Elle ne répondait pas.
"Maman, tu saignes. Réveille-toi s'il te plaît."
"Si elle avait reçu les gestes de premiers secours plus rapidement elle aurait eu une chance"
Si j'avais agi plus tôt, si j'avais su quoi faire.
Si seulement.
Je n'ai pas pu la sauver. Tout était de ma faute.
Quelques minutes plus tôt, quelques gestes simples et une chance- même infirme- que Jaz ne perde jamais sa mère. Je suis sûr qu'il m'en veut mais il est trop gentil pour le dire. Elle aurait dû être là pour lui.
J'aurais dû la sauver.
C'est de ma faute si elle est morte.
Elle n'aurait pas dû mourir
Elle ne doit pas mourir.
Ce n'est pas le moment.
Tiens bon. Je ne vais pas te perdre.
Réveille toi. Allez !
1.
2.
3.
4.
5.
- Elle revient
Vie et mort s'entrechoquent à cet instant. Dans ma tête, je me retrouve au milieu de cette bataille féroce entre mon passé: mon pire cauchemar, en face à face avec mes regrets. Le pire jour de ma vie. Des cris, des pleurs et le silence pesant de la mort, tous ces souvenirs s'entremêlent avec un présent jonché d'espoirs, le brouhaha des gens autour de moi lorsque ses yeux se rouvrent enfin. Comme des spectateurs lors d'un match de football lorsque le favori marque un but. Les yeux de la belle au bois dormant qui s'ouvrent au monde et la vie qui reprend sa place en eux.
Je ne peux m'empêcher d'éprouver un énorme soulagement.
Si je devais compter tous les jours et les moments où j'ai été aussi heureux, ce jour venait de détrôner mon premier baiser et se hisse en tête de liste.
Plus tard, je me retrouverai de nouveau devant sa tombe. Parce que c'est vers elle que je me tourne pour lui raconter mes réussites et mes échecs.
Les ambulanciers arrivent quelques minutes plus tard et je leur explique tout ce qui s'était passé.
- Depuis qu'elle s'est réveillée, elle ne parle pas beaucoup. Je ne sais pas si tout va bien.
- On s'occupe du reste, Monsieur.
Je me déplace pour laisser travailler les urgentistes mais elle me retient par la main. Sa prise est ferme mais fragile. Elle me regarde paniquée. L'un des urgentistes la met sous oxygène pendant que le second l'examine.
Je caresse le dos de sa main, un geste lui indiquant que je n'allais nulle part et aussi pour la rassurer avant de m'éloigner.
Le monde autour de nous commence doucement à se dissiper. Chacun retourne à ses occupations quotidiennes- la routine- mais pendant un instant, j'ai su que tous ceux qui étaient dans cette station de métro repartaient changer à jamais. Moi le premier.
Je ne m'éloigne pas trop pour garder un œil sur elle. Entre-temps, je récupère mes affaires et vais m'assurer que la vieille dame allait mieux. Elle s'était calmée. Je lui offre les yaourts glacés que j'avais achetés plus tôt. Le temps que je les mette au frais ou qu'on les mange, ils auront déjà fondu. Et puis, elle est repartie le sourire aux lèvres.
Je préviens Marley que je ne rentrerai pas tout de suite. Elle s'inquiète mais je la rassure et lui promets de tout lui raconter à mon retour.
On place Tracy sur un brancard et on l'installe dans l'ambulance.
Au début, elle ne parlait pas. Ça commençait même à m'inquiéter. Mais peu à peu, elle commence à répondre à leurs questions. Je la trouve très faible mais elle veut rentrer chez elle. Les ambulanciers sont du même avis que moi. Ils lui expliquent que sa tension artérielle est très élevée, ce qui explique l'arrêt cardiaque. Il vaudrait mieux qu'elle soit conduite à l'hôpital pour d'autres examens et surveiller son état.
Elle ne répond rien mais est visiblement inquiète. Je prends place auprès d'elle dans l'ambulance avant que celui-ci ne démarre.
Un mélange d'alcool, de désinfectant et d'autres produits médicaux planait dans l'air. Mais ça n'a pas l'air de la déranger. Elle s'est lancée dans la contemplation du plafond de la voiture, le visage plus serein.
Ce qui la trahit, c'est toute la force qu'elle met à s'agripper à la barre latérale de la civière. Je lui prends la main.
- Tout va bien se passer. Je vais rester auprès de vous jusqu'à ce qu'il vous permette de rentrer. Je dois prévenir quelqu'un ?
Elle se retourne vers moi et me gratifie d'un sourire avant de me répondre d'une voix feutrée.
- Pas besoin. Ils sont déjà au courant.
Comment s'est possible ? Je ne l'ai vu parler à personne d'autre que les ambulanciers ni touché à son téléphone.
Elle retourne à sa contemplation avant de revenir vers moi. Elle plonge son regard dans le mien.
Avec ses yeux profonds, voire perçants comme ceux d'un chat. Ils donnent l'impression de pouvoir sonder mon âme, de voir au plus profond de mon être et de déterrer mes secrets les plus intimes, mes souhaits les plus précieux et mes désirs les plus ardents.
J'en oublie de respirer. C'est tout simplement déstabilisant. Elle remarque qu'elle me fixe depuis un long moment et regarde ailleurs. Mon cœur rate un bond.
Qu'est-ce qui vient de se passer ?
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Salut !! Très chers lecteurs et lectrices, si vous avez des réclamations à faire à propos de ce chapitre, Merci de vous adresser à Karina, ma sensei, elle vous recevra avec tout l'honneur que vous méritez.
Apart ça, j'espère que l'histoire vous plaît jusqu'à présent. Pour ma part, je prends du plaisir à l'écrire. N'hésitez pas à me donner votre avis sur l'avancée de l'histoire et pour les anciens lecteurs/lectrices: est-ce que vous préférez cette version à l'ancienne ? (j'espère hein !!)
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