Chapitre 5

~~Tracy~~


"One day you'll leave this world behind so live a life you will remember" (Un jour tu laisseras ce monde derrière toi alors vis une vie dont tu te souviendras) The nights - Avicii

En une fraction de seconde, tout mon corps est chamboulé. Mon cœur battant frénétiquement, suspendait l'espace autour de moi.

Le temps s'est arrêté. Ou en tout cas c'est l'impression que j'ai.

De grandes pulsations martèlent dans ma poitrine jusque dans ma tête. Ma vision se trouble. Je suis prise d'une grosse nausée qui me noue l'estomac.

Je prends appui sur la rambarde de l'escalier quand je sens que mes forces m'abandonnent. Mes mains tremblent beaucoup plus que tout à l'heure. Et malgré le fait que je sente à peine la barre métallique sous mes mains, j'essaie de m'y accrocher avec le peu de force qui me reste.

Je lutte pour respirer mais ça devient douloureux à chacune de mes tentatives.

Je dois m'asseoir. Quelque part. Je dois trouver un banc. Tout de suite...

C'était plus facile à dire qu'à faire. Une brume opaque me voile les yeux m'empêchant de voir ou de distinguer ce qui se trouve autour de moi. Je ne vois plus la rambarde que je suis censée tenir ou même les marches des escaliers devant lesquels je me tiens.

Très vite, mes jambes se dérobent et je tombe de tout mon poids.

Je me suis effondrée comme une grosse masse.

Mes membres ne me répondent plus. Et plus que ça, j'ai perdu le contrôle de mon corps.

Je suis à moitié consciente, couchée sur ce sol froid.

À ce moment, je sais que quelque chose n'allait pas et ce n'était pas juste une crise d'angoisse ou un petit vertige passager.

Le fait de me rappeler mon cauchemar de la nuit dernière n'aidait pas non plus.

Tout comme ce matin, j'ai peur– Non je suis terrifiée. Terrifiée de savoir que tout ça est bel et bien réel et pas juste un cauchemar de plus.

Me retrouver toute seule sur le quai d'une station de métro pendant un malaise, sans aucune garantie qu'il y ait quelqu'un autour pour m'aider, c'était ça le plus terrifiant. Je ne veux pas me retrouver seule et vulnérable à nouveau et devoir me confronter à l'inconnue.

Je n'aime pas ça. Je déteste cette sensation.

Les autres sens qui me restent - l'ouïe et le toucher - commencent eux aussi à se dissiper peu à peu.

Je n'entends plus rien. Cette station d'habitude animée paraît si calme que ça en devient angoissant.

Je ne sens plus rien d'autre que mes poumons qui se gonflent du peu d'air qui rentre dans ma trachée. Mes pulsations cardiaques se font de plus en plus rares.

Une larme m'échappe lorsque je comprends ce qui m'arrive.

Je suis en train de mourir, c'est ça hein ! Je me voyais mourir et tout ce que j'ai pu faire c'est de ne rien faire, à part rester impuissante et apeurée. Ça reflétait bien ma vie.

Lentement, je me sens partir et... tout cesse.

...

...

...

Tout cesse ? Vous vous moquez de moi ? Je suis morte ? Juste comme ça ?

C'est ridicule. On dirait qu'on a juste débranché un appareil. C'est vraiment ça la vie ?

Elle ne tient vraiment qu'à un fil ?

On se bat pour avoir une vie décente avant de mourir mais tous ces efforts se voient balayer d'une façon aussi ridicule ?

Des années à attendre une petite lueur d'espoir. Un petit truc qui pourrait raviver la flamme en moi. Toutes ces nuits à pleurer. Et ce gros sentiment de manque...

Tout ce temps à essayer de lutter contre mes pensées les plus sombres, l'insomnie, la fatigue, ma famille.

Et tout cesse ? Juste comme ça ? Sans que je ne demande un reste, une compensation pour cette vie pathétique que j'ai vécue ? Ça doit être une blague.

C'est ridicule. J'aurais aimé trouver le bonheur et ne plus avoir peur lorsqu'il se tiendrait devant moi. J'aurais aimé me sentir libre, libéré de l'emprise de mon père et pouvoir vivre une vie qui me convienne.

Tout simplement avoir une belle et heureuse vie.

Même pendant un instant, ça me conviendrait.

J'aurais aimé trouver l'amour...

Le vrai.

Celui qui ne rime pas avec mes larmes. Un amour qui ne finit pas avec mon cœur brisé. J'aurais voulu me sentir aimer...

J'aurais voulu tant de choses, dire tant de choses, faire tant de choses, aimer tant de fois, rire tout le temps.

J'aurais voulu être sincère avec moi-même...

Mais tout avait cessé.

Tout s'était passé si vite. La grande faucheuse a décidé de me visiter plus tôt.

Mais étrangement je me sens légère.

Après les regrets, c'était un soulagement qui m'envahissait. Je n'avais plus mal.

C'est donc ça la mort ? Se sentir soulager de tous les poids qu'on traînait pendant notre vie ? Mais en contrepartie, regretter tout ce qu'on n'a pas eu le courage de faire (à cause de ces mêmes poids) ?

Ces deux sentiments se bousculaient en moi, luttant pour savoir qui prendrait le dessus.

Les regrets pesaient plus lourd que le soulagement. Mais c'était trop tard...

L'obscurité me porte vers une destination inconnue. Les yeux fermés, je me laisse entraîner dans ce voyage sans trop m'inquiéter. Peu importe où je vais, mes inquiétudes n'ont plus aucune importance.

Après avoir perdu la vie, qu'est-ce qui me restait à perdre ?

Mes paupières se soulèvent lentement lorsque mes pieds foulent un sol jonché d'une matière douce et chatouilleuse. De la terre se glisse entre mes orteils.

Une bourrasque de vent vient m'accueillir et son passage incline l'herbe qui recouvrait toute la surface autour de moi.

Des oiseaux gazouillent, d'autres chantent, des papillons virevoltent autour de moi et les reines des prés butinent les fleurs.

Je ne sais pas où je suis mais ce spectacle naturel a pour effet de dessiner un sourire sur mon visage émerveillé. Je ne pensais pas un jour pouvoir goûter à la paix et à la tranquillité. Pas comme à cet endroit, à ce moment.

Des fleurs de plusieurs couleurs: des jaunes, des blanches et des rouges, pour la plupart, s'alignent de part et d'autres d'une allée nue et dessinent un chemin de terre devant moi.

Les zigzags de la verdure et ses fleurs qui dansaient au gré du vent semblaient m'inviter à suivre ce chemin, ce que je fais.

La brise dans les cheveux, je prends une grande bouffée d'air pour me laisser emporter par les doux parfums des fleurs qui embaument l'air.

De grands arbres se dressent un peu plus loin dans la prairie et à chacun de mes pas, je m'en rapproche.

Je trouve regrettable que mes seules connaissances sur les végétaux et les fleurs ne se limitent qu'aux roses et à l'herbe de la pelouse. Je n'ai jamais pris le temps de regarder la nature d'un peu plus près et de m'intéresser à elle.

Au bout du chemin, une rivière, dont la clarté peut attester de sa pureté, me sépare de la suite du chemin sur l'autre rive. Je sillonne les alentours à la recherche d'un moyen pour traverser cette rivière. Elle n'a pas l'air si profonde. Je pense pouvoir tenir pieds.

C'est là que je remarque ce grand arbre à côté de cette rivière – sûrement le plus grand, le plus vieux et le plus imposant de la prairie– à l'ombre de celui-ci un petit lapin blanc.

Il sautille vers moi et je m'abaisse pour le prendre dans mes bras. C'est la première fois que je vois ou même touche un lapin. Sa peau est douce et délicate.

Je ne m'autorise pas à le caresser. Il a l'air tellement fragile et petit (pas comme le Rottweiler que mon père avait adopté) que je crains qu'un léger mouvement de ma part ne puisse blesser ou faire du mal à cette adorable boule de poils. Il me fixe de ses magnifiques yeux bleus qui rappellent la couleur de la rivière.

Mais je n'ai pas que ça à faire. J'ai un chemin à continuer.

Je peux peut-être l'emmener avec moi pendant ma petite balade ? Il est trop mignon pour que je le laisse là.

_ Ce n'est pas le moment !

Quoi ?

Je dois être en train d'halluciner parce qu'on dirait que ce lapin vient de me parler ?

_ Réveille-toi. Ce n'est pas le moment.

Non, ça ne venait pas du lapin.

_ Tiens bon. Je ne vais pas te perdre. Allez, reviens. 1, 2, 3, 4, 5. Allez. Réveille toi.

Je pouvais sentir une compression au niveau de ma poitrine à chacun des décomptes de cette voix enrouée par la panique et qui m'était étrangère.

En un clignement d'œil, le lapin disparaît et toute cette verdure, les arbres, la rivière commencent à s'effacer aussi.

1.

2.

3.

4.

5.

Mes poumons se remplissent d'air et je surgis d'un coup, transporté dans la station de métro. J'essaye tant bien que mal d'attraper chaque bouffée d'oxygène auquel j'avais à nouveau droit.

Je me pensais déjà morte et je ne sais pas par quel miracle j'arrive de nouveau à respirer. Ce dont je suis sûr c'est que ce moment restera gravé dans ma mémoire. Et ces yeux...

C'est la première chose que je vois en rouvrant les miennes. Deux grandes billes bleues remplies d'inquiétude et de détresse.

Qu'est-ce qui peut bien t'inquiéter autant, petit lapin ?

Je me sentais attirer par eux. Une attirance malsaine qui m'oblige à les regarder et à ne pas vouloir détourner mon regard.

Mais le brouhaha environnant m'y force et me ramène à la réalité.

_ Elle revient !

Un attroupement s'était créé autour de moi. Des inconnues qui me dévisagent. Leurs regards pointés sur moi laissent transparaître le jugement et la pitié...

C'est embarrassant.

On dirait que je me donne en spectacle.

_ Vous allez bien, mademoiselle ?

La voix que j'ai entendue quand j'étais inconsciente. Elle vient de ce jeune homme qui se tient à côté de moi. Celui avec les yeux du petit lapin !

Je suis toujours allongée sur le sol dur et glacé. Mes pensées sont embrumées. J'essaie de faire le point. La dernière chose dont je me rappelle c'est mon corps qui tombait. Après, je suis morte ? Et... la prairie. Tout ça n'a aucun sens.

Mon corps est alourdi. Je sens à peine mes jambes. Et j'ai mal à l'épaule gauche.

J'ai dû me faire mal en tombant.

J'essaie de me redresser mais je me ravise lorsque je sens une sensation désagréable semblable à un coup de poignard dans la poitrine. Je gémis de douleur lorsque l'inconnue à mon chevet passe son bras autour de mes épaules pour me mettre en position assise.

_ Je vais vous aider. Ne bougez pas trop. Comment vous vous sentez ?

_ Je...ne sais...pas, je lâche le souffle encore hésitant. J'étais drainée de toute énergie et parler m'était difficile.

_ On a appelé les secours. Ils arrivent bientôt. Comment vous vous appelez ?

Je le regarde fixement sans décrocher un mot. Lui aussi me scrute. Mais contrairement aux autres, on dirait que quelque chose le préoccupait.

Ses yeux clairs teintés de lueurs dorées ajoutent une touche de sincérité à son regard. Il ne fait pas semblant.

Pourtant, l'inquiétude qui marque son visage et assombrit ses traits ne lui va pas du tout. Surtout si c'est pour moi qu'il s'inquiète. Il y a bien longtemps que même moi je ne le fais plus.

Mais étrangement la panique qui se lit sur son visage me rassure.

Il continue à me questionner et face à mon silence, il change d'approche. Il prend ma main dans la sienne. Le contact de mes doigts gelés avec la chaleur de sa paume me fait frissonner. Une sensation tout sauf désagréable me submerge à son toucher: elle me réchauffe et me détend. Une poignée chaleureuse aussi délicate que les rayons du soleil en plein printemps ou la brise chaude une journée d'été.

Je me sens en sécurité.

_ Comment vous vous appelez ? me demande-t-il un peu plus calmement. Moi c'est Howk. Vous voulez que j'appelle quelqu'un ? Un ami ? Un parent, quelqu'un que vous connaissez ?

Je secoue la tête avant de lui répondre.

_ Tracy

Son expression s'adoucit aussitôt et un soulagement vient remplacer son inquiétude.

_ Enchanté Tracy. Vous savez où vous vous trouvez ?

Je lui réponds d'un hochement de tête.

_ Bien. Vous avez fait un malaise enfin c'est ce que je croyais mais comme vous ne respiriez plus et que je n'avais aucune réaction de votre part, j'ai procédé à un massage cardiaque. Comment vous sentez-vous maintenant ?

_ Ça va...

_ Ça me rassure.

Il se retourne vers une femme derrière lui pour lui demander dans combien de temps doit arriver l'ambulance.

Je lui serre la main pour faire revenir son attention vers moi. Ça marche et il me retourne ma poignée.

_ Vous allez bien ? Qu'est-ce qui se passe ?

J'essaie de lui dire que je n'ai pas besoin d'ambulance. Je n'ai pas envie d'avoir plus de regard sur moi. Je me sens assez à découvert comme ça.

Il essaie de me convaincre du contraire. Que je dois me faire examiner. Il prend un ton grave pour me faire réaliser la gravité de la situation. Il est tellement gentil avec moi que je n'ai pas su faire autrement que de céder. Je ne suis pas assez en forme pour commencer un débat avec qui que ce soit ou même jouer la tête de mule. Cette personne s'inquiète et pendant un instant je me suis sentie importante. Alors si me laisser ausculter peut le rassurer, je vais le faire.

Il serrait mes mains et seul ce geste suffisait pour me faire me sentir mieux.

Ses mains me réchauffaient et son doux regard m'apaisait. Sa seule présence à mes côtés était rassurante et je n'avais pas envie de le laisser s'en aller.


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