Chapitre 4
~~Tracy~~
"Les hommes composent dans la colère ce qu'ils souhaitent dans la raison." - William R. Alger
Quinze heures trente. Fin de la pré-rentrée.
Dès qu'on nous libère, je me précipite vers la sortie de l'amphithéâtre comme une furie. L'avantage quand on préfère s'asseoir dans les dernières rangées c'est que la sortie est vite accessible.
Pas besoin de se mêler aux autres et personne ne nous remarque. Ce n'est pas si mal, notamment aujourd'hui que je me suis levée du mauvais pied.
La lumière du soleil m'éblouit dès que je sors, ce qui ne manque pas de me faire grincer des dents. Je plisse les yeux de douleur tout en me couvrant le visage de mon bras.
Depuis ce matin, je me trimballe toujours avec cette migraine. J'ai bien essayé de passer à l'infirmerie pour avoir un comprimé mais l'infirmière a trouvé qu'aujourd'hui était le meilleur moment pour s'absenter. J'ai donc préféré aller à cette fichue pré-rentrée, l'endurer pour ensuite vite rentrer.
Il y avait du monde dans le couloir. Et le moindre bruit aux alentours m'irritait. Une quarantaine d'étudiants qui se retrouvaient après de longues vacances, ça ne manquait pas d'être bruyant. Et le bruit ça empirait mes maux de tête.
Les bavardages, les rires qui résonnent, le froissement d'un sachet de chips ou quelqu'un qui tape du pied nerveusement.
Le Monde autour de moi se trouvait amplifié à mes oreilles et j'avais l'impression d'avoir des haut-parleurs juste à côté de celles-ci.
Cette année, j'accède enfin au deuxième étage. À l'université de Boston, chaque étage est assigné à une année d'études. Le premier étage correspond aux premières années, le deuxième aux deuxièmes années et ainsi de suite. Le rez-de-chaussée est réservé à l'administration et il y a d'autres bâtiments de cours à côté.
Je devrais être heureuse de passer en deuxième année et en plus en psychologie, une filière qui m'a toujours passionnée. Mais malgré cela on ne pouvait pas échapper aux aléas de la vie universitaire. Et en tête de liste c'était le stress mental et la fatigue à accumuler. Encore plus pour une personne comme moi qui angoisse pour un rien. À la longue tout ça a fini par m'épuiser et avant même que je puisse récupérer mes forces pendant les vacances, voilà que ça recommence. Donc oui, je ne suis pas très ravie de revenir à l'université.
Mais ce n'est pas comme si je pouvais faire autrement non plus.
J'essaie de me frayer un chemin parmi cette bande d'enragés jusqu'aux escaliers. Ils ne pensent vraiment qu'à s'entasser les uns sur les autres. J'exagère un peu mais vraiment ça me dépasse tout ce contact physique et ces rapprochements, même amicaux.
Ils ne connaissent pas l'espace personnel ? Vous savez, ce truc qui exige que vous restiez à 10 mètres les uns des autres. Moi je suis adepte de cette règle.
Je descends un étage puis une autre rangée d'escaliers pour me retrouver au rez - de -chaussée.
Je pensais m'être assez plaint du monde qu'il y avait 2 étages plus haut, mais c'était avant de tomber au beau milieu d'une "fourmilière" humaine.
Nuisible. Bruyante. Une vraie colonie
Tout ce qui m'a toujours rebuté.
L'administration ne doit pas s'ennuyer aujourd'hui
Les yeux rivés droits devant moi, je reste imperturbable. Ma frustration pouvait se lire sur mon visage et même se ressentir. Cette expression qui disait "Allez vous faire foutre. Cordialement."
Pour couronner le tout, voilà qu'on me bouscule. Je n'ai pas eu le temps de voir le visage de cette personne ou même lui lancer mon fameux regard assassin que je la vois continuer sa route comme si rien ne s'était passé. Sans prendre la peine de se retourner, il me lance un "je suis vraiment désolé" mécanique.
Journée de merde vraiment
J'ai quand même pu voir le bloc note qu'il tenait dans sa main et le crayon qu'il a fait tomber pendant notre brève collision. Je le ramasse mais avant même que je pense à l'interpeller pour le lui remettre, il n'est plus dans mon champ de vision.
Je n'y réfléchis pas trop et je mets le crayon dans ma poche tout en continuant ma route vers la sortie du bâtiment.
A vrai dire, tout ce qui m'importait à ce moment-là n'était que de quitter cette boîte à sardines géante dans laquelle je commençais à étouffer. Donc rechercher une personne juste pour lui restituer un simple crayon à papier était le cadet de mes soucis.
Heureusement, lorsque mes pieds foulent le seuil de la sortie, je pouvais à nouveau sentir mes poumons se remplir d'air. Et cette sensation de liberté lorsque le vent frais vient caresser ma peau est paradisiaque.
Je relâche la pression et autour de moi les bruits sont beaucoup plus atténués surement grâce au vent qui les éparpille.
Enfin quelque chose de bien dans cette journée.
Tout ne se passe pas comme prévu depuis ce matin. Que ce soit ce cauchemar, cet appel et encore moins cette rentrée. Ma mère m'a peut-être calmé sur le moment ce matin mais ça n'enlève pas cette frustration que j'éprouve à l'égard de tout et de tout le monde. Ou même cette feuille de papier sur laquelle est marquée les horaires de mes prochains cours, qui tremblote à cause de mes mains.
J'étais tellement occupée à l'idée de vite sortir que j'en ai oublié que je voulais regarder mon emploi du temps.
Pas de bol, je commence dès demain à huit heures pour finir à midi. J'ai au moins l'après-midi de libre et après ce sera le week-end.
J'utiliserai ces quelques jours pour régler ce problème d'ordonnance et de médicament. Je ne peux pas continuer comme ça.
Je glisse l'emploi du temps dans la poche de mon manteau et en sort mon téléphone.
Je vérifie les horaires d'arrivée du prochain métro.
La station est juste à 2 minutes à pied de l'université mais d'après l'écran, le prochain métro arrive dans une minute.
Une minute ? Mais j'y arriverai jamais.
Pas sûr mais mon envie de retrouver au plus vite le doux confort de mon appart, me fait relever ce défi. Encore plus si cela veut dire: ne pas avoir à attendre 10 minutes pour prendre le prochain.
Je presse le pas, je cours presque pour y arriver à temps.
En rentrant dans la station, un élan de soulagement– le premier depuis le début de cette journée– me submerge quand je vois que la rame est toujours sur le quai. Seuls des escaliers me séparaient de celle-ci.
J'y suis presque
Il ne faut pas sous-estimer la volonté de fer d'une casanière.
Le cœur qui bat à la chamade, je dévale les marches en quatrième vitesse. Lorsque mon pied atteint enfin la dernière marche, une vive douleur vient compresser ma poitrine. Je me fige et je ramène ma main à l'endroit où je ressentais mon cœur qui se met à battre de plus en plus fort.
Les portes étaient encore ouvertes, il y a un instant. J'aurais pu entrer mais je ne pouvais plus les atteindre.
Elles se referment devant mon impuissance. Comme si elles me narguaient, me disaient qu'elles avaient gagné et que moi j'avais encore perdu.
Perdu contre une putain de porte automatique...
J'aurais pu piquer une nouvelle crise de colère. J'aurais pu m'énerver de l'absurdité de cette journée. J'aurais pu continuer à être frustrée... mais je ne pouvais plus. Je n'en pouvais plus. J'étais bien trop fatiguée.
Fatiguée de tous ces maux que la médecine n'arrive pas à soigner.
Fatiguée d'étouffer dans mon propre corps
Fatiguée de me sentir impuissante
Fatiguée d'être assise au banc de spectatrice dans le théâtre de ma vie
Fatiguée de tout
Fatiguée de moi.
Fatiguée de cette vie tout simplement
Il y a 20 ans jour pour jour, je venais à la vie. Mais à ce moment, une seule pensée me traversa l'esprit. Et si c'était la fin ?
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