Ariana soupira en jetant un coup d'œil à son téléphone. 49 %. Quelle idée de ne pas l'avoir chargé alors qu'elle avait enfin l'opportunité de rencontrer l’auteur de jujustu kaisen. Elle était heureuse bien sûr, mais ce voyage au Japon avait une double signification : rencontrer l'auteur et rendre visite à sa grand-mère paternelle. Ariana ne l'avait pas vue depuis des années. Après la mort de son père, elle avait déménagé en Finlande avec sa mère, originaire d'une petite ville là-bas. S'adapter à la vie occidentale n'avait pas été facile pour la petite Japonaise de huit ans qu'elle était alors. Mais avec le temps, elle et sa mère avaient trouvé leur rythme et étaient heureuses.

__ On avance dans la file ! Annonça au mégaphone un agent de sécurité. La sécurité était renforcée pour cet auteur qui avait beaucoup de Haters.

Une heure plus tôt, alors qu'elle entrait dans la salle de dédicace, un agent de sécurité l'avait fouillée et passé un scanner sur elle et son sac. Vu les menaces reçues par l'auteur, c'était justifié mais excessif. Ariana rabattit sa casquette noire sur sa tête, résignée à attendre encore quelques heures pour faire signer son tome vingt-deux.

Plusieurs heures passèrent. Il ne restait qu'une personne devant elle, une jeune femme de son âge, en pleurs devant l'auteur. Elle sanglotait et babillait comme un nourrisson. Ariana se força à ne pas rouler des yeux devant cette scène. Après tout, c'était un être humain comme eux. Un être humain sadique et psychopathe, certes, mais un humain quand même.

Un agent de sécurité s'avança pour faire sortir la jeune femme, mais l'auteur l'arrêta.

__ Laissez-la parler, dit-il. Elle a manifestement beaucoup sur le cœur.

__ V-vous... ! bégaya la jeune femme, en pointant un doigt accusateur vers l'auteur.

__ Moi ? répondit celui-ci. On ne pouvait voir son visage à cause de son masque de Macamaru, mais Ariana aurait juré qu'il souriait.

__ Oui ! reprit la jeune femme en essuyant ses larmes. Vous n'imaginez pas la souffrance que vous causez ! Ça vous amuse de nous tourmenter comme ça ? Vous nous faites nous attacher à des personnages pour ensuite les tuer ou leur faire subir des choses atroces !

L'homme derrière le masque laissa échapper un petit rire en se redressant sur sa chaise, croisant les mains.

__ Mais n'est-ce pas là le jeu ? ricana-t-il en penchant légèrement la tête. Ariana ne pouvait s'empêcher de penser à Mahito, avec un soupçon de Kenjaku et de Sukuna.

__ Un... jeu ? murmura la jeune femme au chignon, tandis qu'Ariana remettait ses cheveux de jais en arrière, retirant sa casquette.

La conversation s'éternisait, ce qui agaçait Ariana. Elle avait aussi des questions à poser, des incohérences à relever dans ses lectures.

Elle releva la tête, les yeux écarquillés devant la réponse de l'auteur.

__ Bien sûr ! Après tout, n'est-ce pas pour ça que les gens achètent et lisent des mangas ? Ils cherchent le divertissement ! Si vous lisez une histoire sans ressentir d'émotion, elle ne vous plaira pas. C'est comme manger des frites sans sel. Ça n'a aucune saveur. Pour rendre une histoire accrocheuse, il faut des émotions, et la tristesse en fait partie.

__ Nanami ne méritait pas ça ! s'écria la jeune femme.

Ah, elle parlait donc de lui. Ariana comprenait, la mort de Nanami avait été brutale et avait profondément affecté Yuji.

__ Je trouve ça très égoïste de ta part, répondit l'auteur.

__ Q-quoi ? En quoi c'est égoïste de vouloir que son personnage préféré ne meure pas ? bégaya la jeune femme.

__ Eh bien, tu veux qu'il vive ? Mais as-tu compris son personnage ? Il était un bourreau de travail, cherchant à gagner de l'argent pour vivre paisiblement sur une île. Mais il a été créé dans le monde de l'exorcisme. Il est un exorciste. Il n'a pas pu mener la vie tranquille qu'il désirait. Comme tant d'autres dans ce monde, il a été confronté à la dure réalité de cette vie. Son personnage a été complet. Je lui ai donné le seul repos possible dans cet univers.

Il sourit en murmurant : La mort.

La jeune femme s’était enfuie en pleurant après le monologue de Mr Akutami. Ariana se trouva alors seule face à cet homme qui l’avait fait passer par beaucoup d’émotions.

__ Bonjour, fit-elle en s’inclinant devant lui.

Gege détourna la tête de la sortie par laquelle la précédente femme au chignon était partie, et reporta son attention vers Ariana.

__ Bonjour à vous aussi, jeune fille. Je crois que vous êtes la première aujourd’hui à me le dire. C’est plutôt plaisant, dit-il en riant et tendant la main pour attraper un stylo. Votre tome ? demanda-t-il, mais Ariana resta les bras le long du corps.

__ Il... y a une question qui me taraude. Ce n’était pas le but de ma visite, mais l’échange qui a précédé avec cette fille m’a fait me questionner.

Gege poussa un soupir dépité en posant son stylo.

__ Encore une plainte ? Cela ne s’arrêtera donc jamais, fit-il en levant les yeux vers le plafond de la grande salle comme s’il attendait une réponse de là-haut.

__ Pourquoi personne ne me remercie pour mon travail ?

__ Ce n’est pas une plainte, mais plutôt une interrogation.

À ces mots, l’auteur se redressa soudainement conquis.

__ Oui, j’écoute ?

__ Qu’a-t-il fait ? Yuji. Qu’a-t-il fait pour que vous le fassiez souffrir comme ça ?

__ Urgh, quel ennui ! Je pensais pourtant que tu serais différente. C’est dommage.

__ Vous n'avez donc aucune attache envers le personnage que vous avez créé ? demanda Ariana, en regarder le sol.

Gege l’observa attentivement avant de répondre, ses yeux perçant derrière le masque.

__ Yuji, hein ? Il a souffert, c’est vrai. Mais c’est parce que je l’ai voulu ainsi. Chaque souffrance, chaque épreuve qu’il traverse, forge son caractère, le rend plus humain. Les lecteurs s'attachent à lui à cause de ses souffrances. C’est une manière de les faire ressentir la profondeur des émotions.

__ Mais pourquoi tant de cruauté ? Ne pourrait-il pas y avoir un moment de répit, de bonheur pour lui ? Ariana serra les poings, ses ongles s'enfonçant dans ses paumes.

Gege soupira de nouveau, cette fois plus doucement.

__ Le bonheur, le répit... Ce sont des concepts relatifs. Dans l'univers que j'ai créé, le bonheur se trouve dans le passé.   Mais un bonheur absolu et constant ? Cela n’existe pas, pas dans la réalité, et certainement pas dans le monde des exorcistes.

__ Vous parlez comme si vous preniez plaisir à voir vos personnages souffrir, rétorqua Ariana.

__ Et toi ? Tu veux une histoire fade et sans saveur ? Une histoire où tout le monde est toujours heureux ? Ce n’est pas pour ça que tu lis mes mangas, n’est-ce pas ? Gege la fixait intensément, comme s'il pouvait lire à travers elle.

Ariana hésita un instant.

__ Non... Ce n’est pas ce que je veux. Mais parfois, c’est trop. La douleur, la perte... Ça devient insupportable.

Gege hocha la tête. "C’est justement cette intensité qui fait que le lecteur aime ça. Si ce personnage n'avait pas souffert comme ça, si il n'avait pas ce caradesign là et bien, personne ne l'aimerait ! Parcequ’il serait "ennuyant".

Ariana baissa les yeux, réfléchissant à ses paroles.

__ Peut-être... Mais ça ne rend pas les pertes plus faciles à accepter.

Gege se pencha légèrement en avant, comme pour lui confier un secret.

__ Ariana, la vie est faite de hauts et de bas. Ce que je fais, c’est un reflet de cette réalité. Si tu t'attaches à mes personnages, c’est parce qu’ils vivent des vies complexes et émotionnelles. C’est pour ça que tu es là, non ? Pour comprendre et ressentir avec eux. Tu veux te divertir car tu trouve ta vie ennuyante, les personnages sont des marionnettes et moi j'en suis le marionnettiste. Toi, et tout les autres ; des spectateurs

Ariana releva les yeux, rencontrant le regard de l’auteur.

__ Merci, murmura Ariana, tendant enfin son tome pour la dédicace. Elle avait compris quelque chose ou plutôt, elle venait de confirmer quelque chose.

Gege attrapa le livre et signa.

__ Rappelle-toi. La vie n’est jamais facile, mais c’est ce qui la rend intéressante.

Elle hocha la tête, prenant le livre dédicacé en silence. Alors qu’elle se retournait pour partir, Gege l’appela une dernière fois.

__ Bon voyage !

Ariana sourit et s'inclina une dernière fois avant de quitter la salle, emportant avec elle ce qui ferait chuter sa vie.