Chapitre 46
Chrissy ne vit pas le temps passer. Quand elle vit la quantité ridiculement impressionnante d'armes que Nancy et le reste du groupe fit entrer dans le véhicule, la cheerleader eut envie de rire. Il n'y avait qu'aux States que les gens étaient débiles au point de ne pas vérifier l'identité et le permis de port d'arme des gens.
Le véhicule démarra aussi rapidement qu'à l'aller et une fois encore, la blonde manqua de se faire projeter contre le mur de l'habitacle. Contrairement au précédent trajet, personne n'osa plus ouvrir la bouche. Chaque kilomètre parcourut les rapprochait un peu plus de la soirée, de leur objectif, et d'une mort probable. Les doigts de Chrissy se crispèrent sur les doigts d'Eddie, et le métal des bagues lui rentra dans les jointures.
Le groupe passa l'après-midi sur un terrain vague près de la forêt. Steve avait garé le camping-car dans la pelouse, et tous s'attelèrent à la confection de leur arme de fortune. Steve et Robin s'occupaient de vider les bouteilles d'alcool en réserve pour les remplir d'essence, Lucas et Erika allongeaient les couteaux à cran avec de longues tiges en métal, Dustin et Eddie fabriquaient des boucliers à clou avec des couvercles de poubelle en métal. Dans un coin, Chrissy sciait le canon des fusils que Nancy avait achetés, en compagnie de Max. Toutes trois s'occupaient sans un mot, lançant parfois des regards vers les autres.
Quand elles eurent terminé de raccourcir leurs armes, Nancy proposa aux deux autres de leur apprendre à tirer, au cas où. Chrissy refusa poliment (les armes à feu, très peu pour elle) et Max accepta. Une fois les deux parties, la blonde lança un regard en direction de Steve. Il la vit, et s'excusa auprès de Robin pour la rejoindre. Les mains dans les poches, il avait l'air de venir s'enquérir de l'état de sa camarade. Mais, arrivé près d'elle, Chrissy le vit sortir une paire de poings américains, liés par une bande de cuir, et de l'autre poche, un couteau de chasse dont la lame était protégée par une épaisse housse de cuir.
– Tu ne m'as jamais dit pourquoi tu voulais avoir ça sur toi, dit Steve en s'asseyant près d'elle. Ni pourquoi tu voulais que je sois aussi discret.
– Je suis convaincue que Jason n'en restera pas là, expliqua-t-elle à demi-voix. Erika nous a déjà raconté comment il avait réussi à décrédibiliser les policiers en charge de l'enquête sur les victimes de Vecna. Eddie n'était qu'un suspect pour eux, Jason a réussi à convaincre tout le monde qu'il allait s'en tirer et qu'il fallait se débarrasser de tous les membres du Hellfire Club.
Steve resta sans voix. Un frisson le parcourut. Il savait où elle voulait en venir.
– Tu penses vraiment qu'il va en rester là ? Continua Chrissy. Il va venir nous chercher, et je préfère être préparée. Lucas et Max n'auront aucune arme sur eux, Erika, n'en parlons même pas. Ils ne voient que Vecna, mais ils oublient tout ce qui peut encore nous arriver dans le vrai Hawkins.
– Mais pourquoi vouloir être aussi discrète ?
Chrissy se pinça les lèvres. Ses yeux dévièrent sur Eddie, qui riait et empoignait Dustin à bras le corps.
– Parce qu'il est concentré sur sa tâche, et c'est mieux comme ça, murmura-t-elle. S'il me croit en danger, il se détournera de sa mission, et ça pourrait tout faire foirer. Je préfère encore être la seule à mourir des coups de Jason plutôt que tout le monde se fasse tuer par Vecna et son armée.
Steve ne répondit pas. C'était vrai. Chrissy allait être la seule à se séparer de son amour pour accomplir une mission. Le lycéen pouvait rester avec Nancy (même si officiellement ils n'étaient plus ensemble depuis trois ans, il n'avait jamais pu la sortir de sa tête), Max serait collée à Lucas (surtout l'inverse, en fait), mais Chrissy devrait avancer sans savoir si Eddie allait bien. Les talkies ne fonctionnaient pas dans le Monde à l'Envers, et Eddie n'aurait plus aucun moyen de prévenir qui que ce soit. Le lycéen croisa le regard de Nancy, qui le soutint pendant un instant. S'il pouvait se lever, traverser la pelouse comme un forcené et écraser ses lèvres sur les siennes, se sentir sien à nouveau, Dieu qu'il n'hésiterait pas un seul instant. Mais Nancy était encore avec Jonathan, et leur relation à distance semblait tenir. Enfin, selon la bouche de la jeune fille. Pas selon son corps.
Finalement, elle détacha son regard de lui, les joues empourprées, et Steve reporta son attention sur Chrissy, qui observait ses poings américains sous toutes les coutures.
– Tout ira bien, lui murmura-t-il en posant sa main caleuse sur les doigts de la blonde. Tout ira bien, et tu n'auras pas à t'inquiéter pour Eddie.
La jeune femme leva ses grands yeux vers lui. Un torrent d'inquiétude en émanait, et Steve ne fut d'un coup plus du tout convaincu de la salade qu'il venait de lui vendre. Quelque chose allait mal tourner. C'est ce que ses iris sombres lui hurlaient.
– Et puis, ajouta-t-il, Dustin ne le laissera pas seul. Ils s'épauleront tous les deux.
– Dustin n'est qu'un enfant, rétorqua Chrissy. Bon sang, mais vous vous rendez compte de tout ce que vous faites ? Il a quinze ans. Erika a onze ans. Onze ! Et vous la laissez fabriquer des lances de fortune avec des couteaux militaires, remplir des chariots de cartouches de fusils et de balles. C'est insensé.
– Tu crois qu'on a le choix ? Coupa Steve, d'un coup plus dur. Tu n'as rien vu, Cunningham. Tu n'as pas mis les pieds dans le Monde à l'Envers, tu n'as jamais vu ce qui pouvait en sortir. La seule chose à laquelle tu as assisté, ce sont les visions que Vecna te provoque. Et tout ça, ça reste dans ta tête.
La blonde ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun son ne put en sortir.
– Erika a été impliquée l'an dernier malgré elle. Nous n'avons jamais voulu ça, mais maintenant, c'est trop tard. On la force à rester dans le parc, à surveiller le manoir Creel, parce que c'est l'endroit le plus sûr où on peut la laisser. Et je préfère la mettre en danger de cette façon que de tout lui interdire et l'inciter à faire pire.
– Comment...
– L'an dernier, peu avant l'incendie du Starcourt, Erika nous a aidé à déjouer un projet russe dans une base cachée sous terre, sous le centre commercial. Elle a insisté pour venir et n'en a fait qu'à sa tête. On a tout fait pour tenter de la retenir, mais elle n'a rien voulu savoir. On aurait vraiment pu mourir cette fois-là.
Un bref silence se fit entre eux. Dans le dos de Steve, Eddie s'avançait vers eux, et son sourire s'amoindrissait à chaque pas. Steve eut un bref mouvement. Il l'avait entendu.
- Quand tu auras affronté la mort au même titre que Nancy, Robin ou même Dustin, tu pourras venir nous donner des leçons d'éducation.
L'ancien basketteur se leva et laissa sa place à Eddie, qui s'assit en face d'elle. Elle le regarda, tentant d'adopter une expression neutre, mais son ami ne fut pas dupe.
- Qu'est-ce qu'il t'a dit, Harrington ? demanda le métalleux d'un ton claquant.
- Rien. Je lui ai juste signalé qu'il impliquait la vie d'enfants dans son plan, et que j'étais moyennement d'accord.
- Je le suis aussi. Mais quand tu les entends... (Eddie tiqua, puis reprit : ) Ils n'en sont pas à leur vol d'essai, ça se voit. Si tu les laisses sur la touche, c'est là qu'ils vont faire n'importe quoi. Au moins, il y aura toujours un adulte avec eux, et tout ira bien.
Chrissy soupira. L'idée ne l'emballait toujours pas, mais elle devait admettre qu'Eddie avait raison. Dans tous les cas, elle aurait bientôt assez à faire avec sa santé mentale et les attaques de Vecna. Et puis elle n'était pas leur mère, bon sang. Si l'un d'entre eux était blessé, ça serait de leur faute, pas de la sienne. Être l'adulte du groupe ne signifiait pas devenir gardien d'enfant le temps de sa présence.
La blonde fut coupée court dans ses pensées. Le nez d'Eddie chatouilla son cou et il y déposa ses lèvres. Si c'était pour vivre ça en permanence, Chrissy acceptait volontiers de gamberger. Elle ferma les yeux, tentant de deviner quelle partie de son corps Eddie ou le vent étaient en train de caresser. La brise la faisait frissonner, pourtant, la cheerleader avait chaud. Très chaud. Elle tourna la tête pour attraper la bouche d'Eddie avant que celui-ci recule, et lui vola un baiser, puis deux, puis trois.
– Chrissy, murmura-t-il. Nous ne sommes pas seuls...
– Ils n'ont qu'à tourner la tête, répondit-elle d'une voix suave, pleine de désir.
Le métalleux ne releva pas. Elle marquait un point. Ils allaient être séparés toute la soirée. En fait, Eddie considérait ne pas avoir eu assez de temps pour profiter de leur relation naissante. Chrissy et lui avaient à peine eu l'occasion de s'avouer leurs sentiments qu'ils avaient dû rester collés aux basques de Steve et de tout son groupe. Non pas qu'il les appréciait, mais bordel, ni lui ni elle n'avait signé pour aller se battre contre des sorciers démoniaques. Tout ce que le métalleux voulait, c'était rentrer chez lui, jouer de la guitare pour Chrissy, et voir le charme opérer. Instrument ou pas, il était clair que la blonde n'attendait que de pouvoir lui tomber dans les bras. Et plus si affinité. Ouais. Surtout le plus si affinité.
– Pourquoi ça se passe toujours comme ça ? Murmura la jeune fille contre ses lèvres.
– Parce que c'est ce qui devait se passer. C'est ça qui est normal.
– Pourtant, tout s'écroule autours de nous...
– Peut-être, répondit Eddie sur un ton un peu plus dur.
Chrissy recula. Eddie n'avait à nouveau plus rien de l'homme séduisant qui lui donnait envie de s'exhiber en public. Il avait ce ton dur du mec qui en avait trop vu, et qui ne souhaitait qu'oublier. Si le métalleux avait eu sa came sur lui, il se serait probablement roulé un joint. Et puis un autre. En fait, Chrissy parait qu'Eddie aurait fait en sorte de dormir pendant plus d'un an, s'il avait pu. Chrissy, elle, aurait remonté le temps afin d'éviter leur rencontre. Elle se serait forcée à ne pas demander de l'aide, et serait morte de la main de Vecna, seule, dans son coin. Ou bien sous les coups de Jason, après avoir été abusée. Mais au moins Eddie ne se serait pas retrouvé dans une situation aussi rocambolesque que celle-ci.
– Ils auraient dû nous laisser en dehors de ça, maugréa Eddie en cherchant ses cigarettes dans les poches de sa veste. Ok, t'es en proie à ce sorcier de mes deux, mais ils auraient dû nous assommer de questions pour ensuite nous laisser de côté. Nous, quand on se bécote, on a le bon comportement. Mais eux, à se croire dans une campagne de Donjons et Dragons grandeur nature, c'est à se demander ce qu'ils ont tous fumé pour en arriver là.
Chrissy souffla. Au moins, son ami était d'accord avec elle. Mais la blonde ne pouvait s'empêcher de se sentir prise entre deux feux. S'ils avaient fait comme Eddie l'avait suggéré, ils seraient encore cachés chez Rick, à fumer, tuer le temps, faire l'amour probablement. Oui, la blonde en avait terriblement envie, et elle ne se serait pas gênée pour le lui faire savoir. Elle aurait enterré cette culpabilité et se serait faite violence pour ne pas la laisser la ronger comme un rat affamé. Ils avaient pris la bonne décision en participant à cette mission. Même s'ils se mettaient en danger, dans tous les cas, Vecna n'aurait pas décidé de lâcher l'affaire avec elle juste comme ça. Au contraire.
– Une partie de moi est d'accord avec toi, Eddie, souffla-t-elle. Mais je suis convaincue que Vecna se serait acharné sur moi si on était resté tous les deux chez Rick. Je serai restée une cible isolée et toute ta bonne volonté n'aurait pas suffi à l'empêcher de me tuer.
À côté d'elle, les mains pleines de bague du jeune homme se glissèrent dans sa tignasse bouclée pour les tirer, comme si la vive douleur de son cuir chevelu pouvait apaiser ses pensées délirantes. Eddie ne savait plus quoi penser. Plus le temps filait, plus il avait cette sensation d'aller nulle part. Chrissy observa son visage se tordre en un millier de grimaces. Ses doigts tremblaient dans ses cheveux. La blonde s'assit à califourchon sur lui et farfouilla dans les poches de sa veste. Le métalleux l'observa, confus. Ses lèvres tressautaient comme s'il se retenait de parler, mais la cheerleader lui sourit. Inutile de chercher quoi dire.
La jeune femme finit par sortir le paquet de cigarettes et en tira une du paquet pour la glisser entre les lèvres d'Eddie. Elle dut s'y reprendre à deux fois pour l'allumer avec le zippo, mais bientôt, un mince filet de fumée brouilla sa vue tandis qu'Eddie tirait une longue latte.
– Tout ça sera bientôt terminé, lui murmura-t-elle en lui caressant la joue. Toi et moi, on sera bientôt rentré chez Wayne, et quand il partira pour travailler à l'usine, on pourra faire l'amour toute la nuit.
Chrissy lui sourit. Eddie tira une fois de plus sur sa clope, enivré. Ses tremblements s'étaient calmés et maintenant, il l'observait plus sereinement. Bon sang qu'il avait hâte que tout ça soit fini.
Il ouvrit la bouche pour répondre à sa dulcinée quand, derrière elle, la silhouette de Nancy se superposa à Chrissy.
– La nuit commence à tomber, annonça-t-elle. On va pouvoir se mettre en route.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top