Eddie se réveilla tôt le lendemain. Il avait rêvé qu'il retournait au restaurant avec Chrissy, et qu'elle était belle, souriante. Comme la veille, mais avec des joues plus pleines, un visage moins cireux... et des vêtements dans le même style que les siens. Petit arrangement de son subconscient. En fait, s'il n'y avait pas eu ce détail du jean noir à chaîne, lorsqu'elle s'était levée de table, le lycéen aurait cru à un simple souvenir. À quelques kilos près.

Voyant qu'il n'était pas encore l'heure de se préparer pour le lycée, Eddie décida de monter sur le toît du mobile-home, savourant la fraicheur humide du matin. Les vacances de printemps arrivaient, et il allait pouvoir se concentrer sur sa musique, sur les prochaines campagnes de jeux de rôle qu'il allait pouvoir proposer aux membres de son club. De bons jours en perspective. De toute façon, tous les jours qu'il pouvait passer en dehors du lycée étaient des bons jours.

Chrissy se leva dans la douleur. Jason n'avait rien dit pour l'haleine de frites et de soda. En revanche, elle ressentait encore le regard haineux qu'il avait porté sur elle.

"Toutes tes copines de la troupe de cheerleader étaient là, sauf toi."

Elle avait tenté de faire passer la pilule.

"Je ne t'ai pas vu partir."

Jason lui avait fait payer ce mensonge. Tout le gymnase avait les yeux rivés sur eux. Si Chrissy n'en avait pas fait de même, c'était qu'elle ne l'aimait pas assez. Il lui avait aussi fait payer ce manque d'amour.

"Je t'ai vu revenir dans la voiture de ce taré de Munson."

Il lui avait expliqué que comme il ne l'avait pas vu avec les autres, pendant la soirée, il avait profité un peu, puis s'était rendu chez elle en espérant la trouver dans son lit, à dormir. Il aurait compris qu'elle soit fatiguée, elle s'était entraînée si dur pour sa chorégraphie. Même si elle avait manqué de considération envers lui en ne le suivant pas à la soirée, il aurait compris. Mais il avait trouvé le lit vide, et peu après, il avait entendu le moteur du van. Il avait alors zieuté par la fenêtre, et l'avait vu sortir, souriante.

Chrissy regrettait. Pas la soirée de la veille, non. Eddie avait été si gentil avec elle. Mais elle avait regretté d'avoir autant mangé. Maintenant elle enfilait son haut à manches longues, rangea ce qui dépassait dans son jean taille haute, et descendit mettre ses chaussures.

- Tu ne manges rien chérie ? l'appela sa mère depuis la cuisine.
- Non maman... je n'ai pas faim ce matin.
- Ah, parfait alors ! claironna-t-elle.

D'ordinaire, la lycéenne aurait laissé passer la remarque de sa mère. Mais depuis la conversation qu'elle avait eu avec Eddie, la veille, elle ne put s'empêcher de tiquer. Est-ce que toutes les mères étaient contentes que leur enfant ne mange pas ? Si elle se rendait chez les Wheeler par exemple, est-ce qu'elle trouverait la mère de Nancy en train d'analyser le tour de taille de sa fille ? Chrissy grimaça. Il était à peine 8h du matin et elle se sentait déjà l'âme de vomir tripes et boyaux alors qu'elle n'avait rien dans le ventre.

- Jason ne vient pas te chercher ?

Chrissy serra les dents en même temps que ses lacets. Le nom de son petit ami la fit frissonner. Elle avait mérité la correction d'hier après tout. Elle comprendrait qu'il ne veuille pas venir la chercher aujourd'hui pour se rendre au lycée. Il fallait qu'elle se fasse pardonner, n'est-ce pas ?

- Je ne crois pas... je pense que la fête d'hier l'a beaucoup fatiguée, je ne suis pas sûre de le voir pendant le premier cours.
- Ca n'est pas très sérieux ça...
- Ce n'est pas grave, il rattrapera, murmura Chrissy. Je lui apporterai le cours qu'il a manqué ce soir.

Sa mère approuva, appuyant une fois de plus à quel point c'était parfait qu'elle soit aussi attentionnée envers son petit ami, qu'il ferait un bon mari et qu'elle aura de ce fait de beaux enfants. Chrissy eut un rictus mauvais, que sa mère ne vit pas, heureusement. La jeune fille était si maigre qu'elle n'avait plus eu ses règles depuis un an. Ou tout juste des saignements. À vrai dire, elle était en si mauvaise santé qu'elle doutait un jour être en mesure de porter la vie. Et puis même, le voulait-elle vraiment ? Elle était si détraquée qu'elle risquait de faire la même chose à ses enfants. S'inquiéter de leur prise de poids, de leurs notes, de leurs fréquentations... Chrissy ne voulait pas être ce genre de mère. Alors dans le doute, autant ne pas être mère tout court. Et certainement pas donner des enfants à un homme qui exprimait mieux ses sentiments avec ses poings qu'avec ses mots.

La mère de Chrissy était encore en train de monologuer sur la formidable grand-mère qu'elle ferait dans cinq ans (si tôt, vraiment ?), et n'entendit même pas sa fille passer la porte d'entrée. Comme prévu, pas de Jason à l'horizon. Tant mieux pour elle, mais dommage aussi. Comment pouvait-elle se faire pardonner si il ne se montrait pas ? Tant pis. Elle aurait tout le temps de marcher jusqu'au lycée et de cogiter son pardon sur le chemin.

Pour la première fois dans sa vie, Eddie Munson arriva en avance au lycée. Les cours étaient encore loin de débuter, aussi s'assit-il sur une des tables de pique-nique non loin de l'entrée du lycée. Instinctivement, il scrutait les uniformes qui passaient et se pressaient vers l'entrée. Lui fumait sa cigarette tranquillement, se demandant si d'un l'un de ces costumes de cheerleader se trouvait Chrissy Cunningham. Et puis il tilta. Il n'y aurait plus aucun match d'ici les vacances de printemps, aussi les entraînement de cheerleading étaient suspendus. Chrissy ne viendrait peut-être pas dans sa petite jupe verte, finalement. Et puis, aurait-elle envie de le voir même ? Après tout, ils ne s'étaient jamais vraiment parlé avant hier. Peut-être qu'elle regrettait. Peut-être qu'elle allait faire semblant de ne pas le voir. Peut-être qu'elle voudrait que leur entrevue reste secrète. Il comprendrait. Qui voudrait s'afficher publiquement avec Eddie "le taré" Munson à part les autres tarés de son club de taré ? Personne, et surtout pas le reine d'Hawkins High. Eddie serait déçu d'y avoir cru, mais il comprendrait.

Mais elle apparut. Le jeune homme au début ne l'avait pas vraiment vu passer. Il était plus habitué à la voir arborer fièrement sa tenue de cheerleader, mais aujourd'hui, Chrissy était plutôt casual. Ça lui allait plutôt bien. Un détail le chiffonna en revanche : pourquoi portait-elle des manches longues ? La météo annonçait un beau soleil, paraît-il, et avant elle tout le monde ou presque avait passé les portes du lycée en t-shirt. Eddie haussa les épaules, mais accepta. Chrissy descendit l'allée du parking en direction des portes du lycée, seule. Étonnant également que ce crétin de Carver ne l'ait pas conduit au lycée ce matin. S'était-il passé quelque chose ?

Chrissy passa à côté de lui, lui adressa un coup d'oeil désolé, et tourna la tête pour poursuivre sa route comme si elle ne l'avait pas vu. Quelque chose n'allait définitivement pas. Ou alors elle avait juste voulu lui dire "c'était sympa mais on va en rester là". Dans tous les cas, il fallait qu'il soit sûr. Si elle avait quelque chose contre lui, qu'elle le lui dise en face. Il voulait être une safe place, il le serait jusqu'au bout et il ne jugerait pas.

Eddie se leva donc de son banc de pique-nique et la suivit à l'intérieur du lycée. Il se dirigea vers son casier, non loin du sien, et l'observa du coin de l'oeil. Aucune de ses amies ne vint à sa rencontre. En fait, en dehors des matchs et des amis de Carver, Chrissy était seule. Les gens qui gravitaient autour d'elle le faisaient par intérêt. Les gens étaient stupides, de toute façon.

Le lycéen allait faire un pas dans sa direction quand il croisa le regard noir de ce crétin de Jason. Eddie haussa un sourcil, le regardant se lover contre sa petite-amie. Une deuxième question se posa dans la tête du metalleux : comment Carver n'avait-il pas pu sentir la peur de Chrissy. Lui avait vu à dix mètres le mouvement de recul qu'elle avait eu, sa façon de vouloir se faire toujours plus petite, de vouloir toujours s'éloigner de lui. Eddie déglutit. La réponse était évidente, mais si c'était bien le cas, que pouvait-il faire ? Si Chrissy était retenue contre son gré, comment pouvait-il intervenir ? Chrissy se rendait-elle compte de la situation dans laquelle elle était ? Autant d'interrogations que d'inquiétude. Il fallait clairement qu'Eddie lui parle.

Chrissy avait la boule au ventre. Quand Jason s'était approché d'elle, son corps avait eu envie de fuir. Elle l'aurait fait même, mais le capitaine de l'équipe de basket était son petit-ami et elle devait se faire pardonner pour l'incident de la veille.

- Je t'aime Chrissy, lui murmura-t-il au creux de l'oreille.

La jeune fille retint un haut-le-coeur. Ces mots lui donnaient envie de vomir. Pourtant, elle lui répondit.

- Je t'aime aussi Jason, et je suis désolée pour hier soir. Je me suis sentie mal et... enfin j'ai voulu aller aux toilettes et il se trouve que... enfin j'ai peut-être fait un malaise au milieu du couloir, et s'il n'avait pas été là peut-être que ça se serait plus mal passé. Mais c'est vrai, j'aurais dû juste lui dire merci de m'avoir rattrapé et refuser de partir avec lui.

Jason salua un de ses comparses de l'équipe de basket, et aussitôt que celui-ci les eut dépassé, il reporta son attention sur elle. Le sourire qu'il affichait était faux, elle le savait. Chrissy le sentait à son aura. Elle se mit sur la pointe des pieds pour venir déposer un baiser sur ses lèvres, mais d'un geste vif, Jason lui enserra la mâchoire, la clouant sur place.

- Vraiment Chrissy, c'est ça ton excuse ? cracha-t-il à voix basse. "Je me suis sentie mal" ? Vraiment ? Non seulement tu n'avais pas à être aussi peu résistante, mais en plus tu n'aurais pas dû te trouver seule avec lui.
- Je sais Jason, je te demande pardon...

Larmoyante, elle le supplia du regard. Chrissy tenta de capter le regard des étudiants qui passaient dans le couloir, mais chacun détournait le regard, faisant semblant de ne rien avoir vu. S'opposer au roi du lycée ? Qui ferait ça, sérieusement ? Une seule personne en fait. Eddie Munson. Le seul qui n'avait pas lâché Chrissy des yeux, et qui attendait depuis deux minutes qu'elle capte son regard.

Eddie sentait ses dents grincer dans sa bouche. Si ça ne tenait qu'à lui, il aurait enfoncé la tête de ce connard de Jason Carver dans la porte du casier de Chrissy. Mais il savait ce qu'il encourait : un mot du roi du lycée et sa bande de gorille s'amasserait autour de lui pour maintenir Eddie au sol, pendant que Jason lui casserait allègrement la gueule. Ce type était pire que dangereux, et tout le monde le laissait faire. Malheureusement, Eddie seul ne pouvait rien faire.

Quand Chrissy croisa enfin son regard, le sang du lycéen ne fit qu'un tour. Il fallait qu'il la sorte de là. La salle du Hellfire Club n'était pas loin. Il fit un signe de la tête à Chrissy pour lui indiquer qu'il s'y trouverait et qu'il fallait qu'il la rejoigne et elle cligna des yeux, laissant échapper ses larmes. Elle reporta ensuite son regard sur son petit-ami, et lui murmura des mots qu'Eddie ne comprit pas.

Jason lâcha Chrissy et partit en direction de sa salle de classe. Heureurement pour la jeune fille, il se trouve qu'il n'était pas dans la même classe qu'elle cette année. La lycéenne arrangea dans queue de cheval, chassa ses larmes d'un doigts habile sans toucher au reste de son maquillage, et se dirigea au fond du couloir. Machinalement, elle regarda derrière elle, s'assurant qu'aucune pompom girl ni aucun membre de l'équipe de basket ne la suivait, puis passa la porte entrouverte de la salle du Hellfire Club.

Chrissy tomba sur un décor à première vue très austère. La lumière était tamisée, les murs étaient décorés de fanions à l'aspect très médiéval. Sur la table, elle trouva des petites figurines qu'elle ne sut pas détailler d'aussi loin. C'était vraiment très étrange, et elle devait avouer que pour quelqu'un qui n'y connaissait rien, ça pouvait faire un peu peur. Mais pas à elle. Chrissy se sentit immédiatement enveloppée d'une chaleur et d'un sentiment de protection qui étaient les bienvenus.

- Cunningham, chuchota la voix d'Eddie au fond de la pièce. Ferme la porte s'il te plait.

Chrissy s'exécuta, déglutissant. Devait-elle s'attendre à ce qu'il se passe quelque chose de mauvais ici ? La porte se ferma dans un petit claquement, et la jeune fille reporta son regard sur le fond de la pièce, où elle distingua enfin le visage d'Eddie, caché derrière son panneau de maître du jeu. Il se leva, l'air grave.

- À quoi est-ce que je viens d'assister, Chrissy ? demanda-t-il d'un ton inquiet.

La jeune fille ne répondit pas. Son regard fuit, regardant un point invisible dans un coin de la pièce. Son coeur hurlait déjà. Elle voulait hurler, tout lui dire. Retourner dans le couloir et brailler à qui voulait l'entendre que Jason Carver était un enfoiré fini. Au lieu de ça, elle se trouvait muette.

- Eh, fit Eddie en s'approchant d'elle.

Il posa une main sur son épaule, et la retira aussitôt quand il vit le mouvement de recul instinctif.

- Hey Chrissy, murmura-t-il, tu sais que je ne te ferai jamais de mal hein ?

La lycéenne leva les yeux vers lui. Ses cheveux ébourrifés traversaient parfois son visage. Mais plus que tout, ses yeux marron étaient ancrés sur elle, brillants d'inquiétude.

- Tu sais que tu peux tout me dire Cunnungham...

C'était vrai. Eddie était sa safe place, elle l'avait décrété elle-même la veille.

Chrissy cligna des yeux une fois, puis deux. Puis elle prit sa tête dans ses main, se laissant glisser contre le panneau de bois, éclatant en sanglots.

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Holà tout le monde !

J'arrive pas à y croire... je vous publie ce chapitre en direct de l'hôtel en Crète. Je suis si heureuse de pouvoir remettre les pieds en Grèce, ça fait si longtemps !
(Courage pour celles et ceux qui ne sont pas en vacances ceci-dit).
Du coup étant donné que je suis en vacances je risque de moins prendre le temps d'écrire et par conséquent, de publier. Je vais quand même tenter d'être un minimum productive ! 😅
En tout cas j'espère que ce chapitre vous aura plu, n'hésitez pas à me le dire par commentaire, message, hibou, ou même un vote ça fait toujours plaisir 😊
Des bisous !