Chapitre 34

Eddie émergea au beau milieu de l'après-midi. Chrissy n'avait pas bougé d'un pouce et s'était seulement tournée pour attraper le livre qu'elle avait posé sur la table basse du salon. Quand il leva les yeux vers elle, la blonde était plongée dans le récit du Seigneur des Anneaux, les lèvres entrouvertes, les yeux parcourant frénétiquement les petites lignes du bouquin.

Quand elle sentit les mèches bouclées du métalleux chatouiller son cou, Chrissy baissa les yeux vers lui avec un sourire.

– Salut toi, murmura-t-elle.

– Bonjour Princesse, lui répondit-il avec sa voix rauque du matin.

La blonde tenta de masquer un frisson. Cette voix, bon sang, elle lui faisait le même effet à chaque fois. Un grand frisson dans le dos et une boule de chaleur qui s'emparait de son ventre.

– Bien dormi ? Demanda Chrissy.

– Dans tes bras ? Toujours. Meilleur endroit du monde pour dormir. Mais si tu voulais bouger tu pouvais.

- Ne t'en fais pas, j'ai trouvé de quoi m'occuper. J'étais tellement absorbée par le livre que je ne t'ai même pas senti te réveiller. Comme quoi, il faut croire que j'étais très bien comme ça aussi.

Eddie s'étira comme il put, ne voulant pas rompre le contact avec Chrissy (bien que s'il restait plus longtemps la joue collée contre son sein, son bas-ventre risquait d'échapper à son contrôle). Il déposa au passage un bisou sur le bras menu de la jeune fille et passa la tête dessous afin de sortir de son étreinte.

- Je vais prendre une bonne douche, annonça-t-il.

- Fais donc, lui dit-elle en se mettant sur le dos, le regardant d'en dessous. J'irai juste après toi.

Le métalleux ne répondit pas. Sur l'instant, il chercha des affaires de rechange, avant de se souvenir qu'il était en fuite et qu'il n'avait rien emporté de plus que ce qu'il avait sur lui. Tant pis. Le jeune homme disparut dans le couloir et Chrissy l'entendit monter à l'étage. Peu de temps après, l'eau coulait.

Chrissy se leva pour faire un tour du rez-de-chaussée, vérifiant que toutes les fenêtres étaient toujours bien verrouillées et que personne n'était rentré dans la nuit. Elle s'attarda un instant sur le lac, brillant sous le soleil, et sourit en repensant à sa virée nocturne avec Eddie, la veille au soir. La peur grondait toujours quelque part en elle, mais depuis le matin, elle n'avait eu aucune douleur à la tête, aucune hallucination visuelle ou auditive. Peut-être qu'elle s'était trompée. Peut-être qu'elle n'avait pas été maudite par Vecna.

L'eau s'arrêta de couler, et Chrissy farfouilla rapidement dans son sac de sport à la recherche de vêtements propres. Elle se dit que peut-être qu'elle pourrait en profiter et faire une lessive rapide. Comme ça, Eddie pourrait être vraiment propre. Avec un sourire, elle se dit qu'elle soumettrait l'idée à son ami lorsque celui-ci sortirait de la salle de bain.

Un quart d'heure plus tard, Chrissy était propre. Sachant que le jeune homme et elle n'avaient pas l'intention de rester les bras croisés dans le salon jusqu'à ce que quelqu'un les trouve ici, elle avait revêtu un t-shirt moulant et un bas de jogging. Eddie l'attendait dans le salon, dans lequel il avait poussé la table basse contre le mur pour faire de la place.

– Prête à te faire taper dessus ? Demanda-t-il avec un sourire.

– Prête à te mettre une raclée surtout, répondit Chrissy en riant. Avoue qu'en réalité l'exercice est difficile pour toi.

Eddie fit la moue.

- C'est vrai. Jamais je n'oserai poser la main sur toi.

– C'est pourtant ce que je te demande, dit-elle en levant ses poings devant son visage.

À la vue de la blonde, petits poings dehors, le regard dur, Eddie eut un fou-rire. Bon sang qu'elle était mignonne. Il ne doutait pas un instant de sa férocité, mais la voir si chétive et pourtant si déterminée lui donnait l'impression de voir une petite souris provoquer un chat. Eddie leva à son tour ses poings, mais pas assez pour protéger son visage. Il ne savait pas s'il devait prendre la jeune fille au sérieux. Ils s'observèrent un instant en chien de faïence, sans rien dire, puis le métalleux baissa les poings.

- Chrissy, tu es s-

Il n'eut le temps de terminer sa phrase que la blonde avait fait un pas chassé pour s'approcher de lui, avant de balancer son poing dans sa joue, faisant valser sa tête. Eddie esquissa une grimace de douleur, se tenant la pommette, et lui lança un regard confus.

- Quoi ? Lui dit-elle. T'as baissé ta garde, non ?

- Ok, ok, c'est légitime en effet. Je voulais juste être sûr que c'était bien ce que tu voulais, parce qu'on n'aura pas vraiment les moyens de ne pas se blesser. Je vais retenir mes coups et te montrer, mais on ne sait jamais.

- Eddie, répondit Chrissy avec un sourire, je sais que tu ne me ferais jamais de mal volontairement. Et oui, je suis sûre de vouloir me défendre. Même s'il n'y avait pas Vecna, Jason vit toujours à Hawkins et je suis certaine qu'il me cherche. J'ignore encore si c'est pour me courtiser à nouveau ou si c'est pour se venger de moi, mais je sais qu'il a en tête de me mettre la main dessus. Et je veux être prête.

- Parfait ! On va commencer par les bases du coup. La garde. Parce que "la meilleure défense c'est l'attaque" c'est bien beau, mais si ton but c'est t'acharner sur ton adversaire en laissant des ouvertures partout, dès qu'il aura l'occasion de porter un coup, tu seras finie instantanément.

Chrissy acquiesça, studieuse.

- Donc tu lèves tes poings devant toi (la jeune fille s'exécuta), plus haut que ça. Le torse encaisse mieux les coups que le visage Princesse. J'te jure qu'avoir le tournis après que tu te sois cogné en ayant pris un coup, c'est pire que d'avoir le souffle coupé trente secondes.

La blonde buvait ses paroles. Eddie aurait juré que si elle avait pu avoir une paire de bras en plus pour noter les instructions sur un cahier, elle l'aurait fait. Le métalleux n'était pas un grand combattant, mais en tant que personne sortant du lot, au collège et au lycée, il avait bien été forcé de savoir se défendre. Et Chrissy était à présent dans le même cas que lui. Maintenant qu'elle se témoignait du respect, elle comptait bien ne laisser personne venir le piétiner. Et Jason ne l'avait jamais respecté, et ne le ferait probablement jamais.

Pendant près d'une heure, Chrissy frappa les mains d'Eddie, esquivant au passage des tentatives de coup factices. Le combat devint espiègle, quasi enfantin, et les deux jeunes gens finirent par se prendre à bras le corps, tentant de se faire basculer dans le canapé. Les deux jouèrent comme s'il n'y avait rien d'autre qu'eux au monde, riant aux larmes, insouciants.

Ils s'amusaient si bien et si bruyamment qu'ils n'entendirent pas Dustin claquer la porte arrière de la cuisine et se mettre à brailler. Là seulement, Eddie lâcha les côtes de Chrissy qu'il chatouillait, la faisant gesticuler et supplier.

– On vous entend depuis dehors, fit remarquer Max, nonchalante.

Eddie soupira.

– Bonjour à toi aussi, chère voisine.

– Ex, insista-t-elle.

Le métalleux ouvrit la bouche pour rétorquer, mais Steve les coupa.

– Bon les enfants, on cesse de se chamailler, on vous a apporté des vivres, de une.

– Et de deux, continua la rousse en brandissant plusieurs dossiers beiges, j'ai le dossier de Fred.

– Et les deux autres ? Demanda Dustin.

– Celui de Chrissy, et le mien.

Eddie lança un regard à la dérobée à la blonde qui s'était renfrognée. Chrissy regardait à présent dans le vide, mâchoire serrée.

– Tu l'as lu ? Demanda-t-elle.

– Non. Je l'ai ramené pour que toi, tu le lises.

Max lui tendit un des dossiers, que la blonde lui arracha presque des mains.

– De rien, grommela la rouquine.

– Désolée, souffla Chrissy. Je suis un peu à cran ces derniers jours.

– On n'aurait pas dit il y a quelques minutes, pourtant, objecta Steve.

Les deux filles lui lancèrent un regard courroucé, et Eddie leva les yeux au ciel.

– Avec tout ce qui lui est arrivé depuis un mois, elle a bien le droit de vouloir penser à autre chose un peu, non ?

– Peut-être pas aussi bruyamment. On vous entendait depuis les berges du lac.

Chrissy eut envie de se retourner pour leur demander de se taire. Cette petite bataille entre couilles sur qui aurait le dernier mot l'agaçait. À côté d'elle, Maxine s'était assise et rapprocher la table basse pour y étaler le dossier de Fred Benson. La blonde se sentait un peu voyeuse de lire ainsi des choses personnelles qui ne concernait que le lycéen, mais celui-ci avait laissé sa vie devant les yeux du métalleux. Si on occultait le fait que la raison du décès était très certainement d'ordre paranormal, dans les faits, elles avaient déjà le droit de consulter son dossier, vu que la personne concernée n'était plus en mesure de s'y opposer.

Tandis que la blonde, collée à Max, lisait ce que Miss Kelly avait noté sur Fred, Dustin tentait de séparer les deux plus vieux qui argumentait sur le thème "a-t-on le droit de s'amuser lorsqu'on est un fugitif". De temps à autre, Chrissy captait des bribes de conversation, lorsque son nom était cité. Quand elle réussissait enfin à se reconcentrer sur la psychologie de Fred, ce qu'elle lisait lui faisait froid dans le dos. D'après ce qui était écrit, le garçon aurait été le dernier survivant d'un accident de voiture mortel il y a quelque temps. La voiture avait fait une embardée au beau milieu d'une route dans les bois, et s'était retournée. Le choc avait percé le réservoir d'essence et un faux contact quelque part y avait mis le feu. Fred était celui qui s'en était le mieux sorti : presque indemne si ce n'était quelques coupures, il avait rapidement pu s'éloigner de la voiture piégée. Mais les personnes avec qui il se trouvait étaient restées coincées dedans. De loin, il avait pu voir que deux d'entre elles étaient déjà mortes. La troisième bougeait à peine, coincée sous la voiture, le buste dépassant péniblement de la portière. Le jeune homme coincé avait appelé Fred à l'aide, mais, sous le choc, le lycéen n'avait pas bougé. Finalement, seul lui s'en était sorti, avec une vilaine cicatrice sur la joue.

Ces derniers jours, Fred s'était beaucoup plaint auprès de Miss Kelly. Il lui avait raconté entendre des voix, une horloge pour être précis, avait des maux de têtes très violents qui le faisaient saigner du nez parfois. Miss Kelly lui avait conseillé d'en parler à l'infirmière du lycée, mais il n'était dit nulle part si Fred avait écouté le conseil ou pas.

Quand Chrissy leva les yeux du dossier, ce fut pour regarder la couverture du sien à la place. Racontait-elle les mêmes choses sordides à la conseillère du lycée ? Allait-elle découvrir les mêmes symptômes ? Peut-être finalement que ça n'était pas une bonne idée que d'avoir ces papiers entre les mains. Chrissy avait réussi à apaiser son esprit ces derniers jours, et maintenant, elle avait peur de retomber dans ses vieux travers. À côté d'elle, Max avait déjà entamé la lecture de son propre cas. Elle la voyait déglutir difficilement, chassant une larme du coin de ses yeux. D'une main incertaine, elle caressa le genou de sa cadette. La rouquine lui lança un regard surpris, presque honteux, auquel Chrissy répondit par un sourire. Oui, elles étaient dans la même galère. Maxine était même plus courageuse qu'elle : elle avait pris le problème à bras-le-corps et avait entamé la lecture de son propre dossier comme s'il s'agissait d'un roman banal. Elle se replongeait volontairement dans les horreurs qu'elle avait vécues uniquement pour sauver la peau de tout le monde.

La lycéenne relâcha le genou de son amie, prit une grande inspiration, et ouvrit son dossier.

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Coucou tout le monde !
Je sais j'ai encore tardé à vous poster le chapitre, sorry en ce moment c'est un peu le feu...
En tout cas j'espère que cette suite vous plaît toujours. Je n'ai pas encore répondu à tous vos commentaires, mais sachez que je les ai tous lu avec grand plaisir et qu'ils m'ont beaucoup touché !
Love ❤️

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