Chapitre 32

Il faisait nuit quand les visiteurs partirent. Dustin lui avait dicté la fréquence sur laquelle il avait l'habitude de communiquer, et les quatre adolescents remontèrent dans la voiture de Steve, laissant les deux fugitifs seuls. Dehors, lorsque Chrissy et Eddie sortirent du hangar, il n'y avait personne. La jeune fille s'attarda sur la vue du lac. La Lune était haute et se reflétait sur l'eau, lui donnant un aspect paisible, lisse. Pour la première fois depuis longtemps, elle eut l'impression d'être en paix, de ne pas être ici car elle fuyait les sévices de sa mère. Chrissy se tenait devant ce lac, forte, assurée. La vision calme lui donnait envie de sourire.

- Chrissy ? Appela Eddie dans son dos.

La jeune fille ne détacha pas son regard de l'eau. C'était comme un aimant. Elle était attirée par la beauté de la nature qui s'étendait devant elle.

– Regarde, murmura-t-elle. Regarde comme c'est beau...

Elle sentit le métalleux s'approcher pour se placer à côté d'elle. Il resta silencieux, admirant le paysage.

– Tu n'imagines pas comme je me sens en paix, là, lui dit-elle. Tout est si calme, on en oublierait presque tout.

– Si seulement on pouvait y avoir droit tous les jours...

– Tu crois qu'on peut se baigner ?

– Rien ne nous l'interdit, mais nous sommes au mois d'avril, je pense qu'il fait encore un peu trop froid la nuit pour risquer de se baigner sans attraper la grippe.

Chrissy fit la moue. C'était comme si le lac l'appelait. Elle sentait que si elle détachait son regard de l'eau, elle serait à nouveau assaillie par la peur, le doute, et ses visions horribles. Mais les doigts pleins de bagues d'Eddie la sortirent de sa torpeur en se glissant dans ses cheveux. Elle tourna la tête vers lui, croisant son regard intense. Dans ses prunelles sombres, la Lune se reflétait aussi bien que sur le lac.

– Voulez-vous que nous fassions un tour de barque, Votre Altesse ? Murmura-t-il.

– On ne risque pas d'être vus ?

– C'est Lover's Lake, si quelqu'un nous voit à la fenêtre, il nous prendra pour n'importe quel couple d'adolescent en quête de romantisme. Personne ne se méfiera...

– Alors j'accepte.

Eddie lui offrit un sourire tendre avant de la lâcher. Il retourna vers le hangar et Chrissy le suivit. Ensemble, ils firent glisser la barque jusque sur le lac et Eddie invita la jeune fille à prendre place à bord, avant de monter lui aussi. Pour éviter d'éveiller les soupçons, le métalleux opta pour les rames. Pour lui, c'était stratégique. Pour Chrissy, qui l'observait en souriant, c'était romantique. Il n'y avait plus qu'eux deux, sous la Lune. Rien qu'eux et le calme.

Ils rejoignirent le milieu du lac en silence. Chrissy avait glissé ses doigts dans l'eau appréciant le contact du liquide qui coulait sur sa peau.

- Est-ce que je suis dans un rêve ? Demanda-t-elle dans un souffle.

Eddie ramena les rames dans l'embarcation et la fixa.

- Non Chrissy, tu ne rêves pas, murmura-t-il. Nous sommes bien là, juste toi et moi.

- Je ne suis pas dans une hallucination ? Gémit-elle.

- Qu'est-ce que... Chrissy, dit-il en tendant la main pour saisir la sienne. Parle-moi, dis-moi ce qui te tracasse...

La jeune fille leva les yeux vers le ciel, et Eddie remarqua les larmes qu'elle avait au coin des yeux. Elle battit des cils frénétiquement pour les chasser, et reporta son regard sur lui en lui offrant un sourire gêné.

– Ça commence toujours comme ça. Je passe un bon moment, tout est bien, je suis heureuse. Parfois tu es là même, tu me souris... et la seconde d'après je vois ma mère qui me hurle à quel point je suis repoussante et grosse. Et elle est décharnée, elle a une voix monstrueuse...

– Je ne suis pas une hallucination, affirma-t-il en se penchant lentement vers elle, s'assurant qu'ils ne basculent pas à cause d'un faux mouvement. Nous sommes là tous les deux, et je ne laisserai personne te faire du mal.

– Je suis désolée Eddie, j'ai tellement peur...

La main du métalleux se glissa à nouveau dans ses cheveux, les caressant doucement. Il lui sourit, et s'approcha un peu plus d'elle pour coller son front au sien.

- Tout va bien Chrissy. Pour l'instant nous sommes là, et tout va bien...

- Et si je suis la prochaine victime de Vecna ? Demanda-t-elle.

- Comment...

- Si le critère de sélection de ses victimes c'est le bureau de Miss Kelly. Fred la consultait non ? Moi aussi... Je suis aussi perturbée que lui, je suis peut-être la prochaine.

– Je ne le laisserai pas faire. Je te promets que je ne le laisserai pas t'emmener. On trouva la solution, le contre-sort.

La blonde ne répondit pas. Elle lui offrit un sourire qu'elle espérait convainquant, et ferma les yeux. Eddie la regarda, s'enivrant de son odeur de shampoing, de son parfum, d'elle. Chrissy prit une grande inspiration, et finit par ouvrir les yeux.

– Je me battrai aussi, Eddie, lâcha-t-elle, ferme. J'ai peur, mais... j'ai une raison de vivre, et elle me suffit pour ne pas vouloir lâcher prise. Je ne cèderai pas.

– Ça c'est ma Princesse, murmura le jeune homme, sourire aux lèvres.

– Je vais réussir chacun de mes jets de sauvegarde de sagesse, ça va le faire enrager.

Eddie eut un rire franc. Dans un élan d'amusement, il leva le menton pour déposer un baiser sur le front de la blonde.

– Une vraie nerd, claironna-t-il.

– C'est mal ?

– Au contraire, j'adore ça.

Chrissy lui sourit. Elle repensa à tout ce qui se passait entre eux. Plus les jours passaient, plus la tension était forte. Ça n'était pas comme avec Jason. Avec Jason, elle se sentait obligée d'être romantique, à son bras tout le temps. Avec Eddie, c'était naturel. Elle était attirée comme un aimant et, lorsqu'il était proche d'elle, Chrissy ne désirait qu'être collée contre lui pour l'embrasser, passer ses mains dans ses cheveux, lui parler. Le métalleux était prêt à attendre qu'elle soit prête. Pas besoin de mettre une étiquette sur ce qu'ils étaient ou ressentaient l'un pour l'autre. La jeune fille baissa les yeux sur les lèvres de son ami. Son haleine ne sentait pas le tabac, contrairement à d'habitude. Chrissy ne savait dire si ça lui plaisait ou non. En revanche, les yeux foncés et brillants qui la regardaient avec envie, c'était un grand oui. Eddie entrouvrit les lèvres, écrasant son souffle contre le sien. Pourquoi c'était comme ça à chaque fois ? Pourquoi ne pouvaient-ils s'empêcher de se rapprocher, de se désirer ?

Chrissy déglutit. Elle devait à tout prix ne pas faire de geste brusque pour ne pas renverser la barque. C'était si dur. Si dur à chaque fois de se retenir. Pourquoi était-elle comme ça ? Pourquoi avec Eddie tout était si facile que ça lui donnait envie de brûler les étapes ? Pourquoi avait-elle envie qu'il touche sa poitrine, qu'il caresse son ventre, qu'il marque sa peau ? Pourquoi était-elle prête à vendre son âme au diable pour appartenir au métalleux ?

Eddie tressaillit. Au loin, un craquement se fit entendre.

- On devrait rentrer, murmura le jeune homme. On sera mieux à l'intérieur, et au chaud.

Déçue, mais à présent aussi alerte que lui, Chrissy approuva. Eddie reprit les rames et les ramena au rivage, se dépêchant avec la blonde de rentrer la barque. Ils retournèrent s'enfermer dans la maison pour la trouver vide, et plongée dans le noir. Chrissy oublia tout ce qu'elle avait ressenti sur la barque, et s'avança vers le canapé.

- Je suis désolée Chrissy, lâcha Eddie, rompant le silence. Je sais que tu espérais... quelque chose, de cette balade.

- Je n'attendais pas grand-chose de plus que de passer un moment avec toi. D'essayer d'oublier tout ça...

- C'est vrai que c'est dingue.

La jeune fille se retourna vers lui et l'observa depuis le salon, dans le noir.

– Tu y crois, toi, à ces histoires de Monde à l'Envers sous Hawkins et de monstre ? Demanda-t-elle. Je veux dire... je sais que ce que tu as vu est hors du commun, et je ne te crois pas fou, mais de là à affirmer qu'il y aurait un monde parallèle démoniaque ou je ne sais quoi ?

- J'y crois. Je... oui, ça me paraît fou, mais Fred n'aurait jamais pu se mettre à léviter de la sorte pour mourir sans qu'il y ait un aspect... surnaturel derrière. Je veux dire : qui ferait ça ici ? Qui serait capable de tuer quelqu'un juste par la pensée ?

- C'est vrai...

Un silence se fit. Chrissy ne cessait d'observer son ami, qui d'un coup semblait bien plus inquiet, pensif.

– Tout va bien ? Demanda-t-elle.

– Je... c'est bizarre, je ne sais pas pourquoi je repense à ça maintenant, dit-il, le regard dans le vide. Il y a quelques années, quand j'ai commencé à vraiment réfléchir à mes campagnes de Donjons et Dragons. J'étais un peu en panne d'inspiration, je voulais rajouter quelques éléments un peu plus horrifiques à mon récit, mais pas moyen de savoir quoi.

Eddie bougea d'un coup, marchant jusqu'à la table du salon où il trouva le talkie-walkie qu'il avait laissé à son amie. Il déplia l'antenne, la tritura un instant.

– Wayne m'a raconté un fait divers de quand il était jeune. C'était dans les années 50, une famille s'était installée dans un manoir abandonné depuis. T'as déjà entendu parler des Creels ?

– Comme tout le monde ici, répondit la blonde en haussant les épaules. On dit que leur maison est hantée.

– Elle ne l'est pas. En fait, à peine un an après qu'ils se soient installés dans leur maison, Victor Creel, le père, aurait tué toute sa famille de la pire des façons. Il aurait fait léviter sa femme, l'aurait démembré... et aurait arraché ses yeux.

– C'est horrible...

– Dis-toi qu'il a fait ça à ses deux enfants aussi. Quoiqu'il me semble que le fils n'avait pas été retrouvé démembré et était seulement tombé dans le coma.

– Peut-être que Victor était vidé d'énergie et n'a pas réussi à le tuer, suggéra Chrissy. Je veux dire, un sort ça demande une contrepartie, non ?

– Pas dans Donjons et Dragons, mais après tout, on est dans la vraie vie ici, peut-être que les choses ne marchent pas de la même façon.

– Qu'est-ce qui est arrivé à Victor ? Wayne te l'a dit ?

– On dit qu'il est devenu fou.

– Il est toujours en vie ?

– Il est à l'asile de Pennhurst, s'exclama Eddie, les yeux pleins de fierté. On a peut-être une piste ! Il faut que je contacte Dustin.

D'un coup, Chrissy eut l'impression que le métalleux était quelqu'un d'autre. Il sautait presque de joie, un sourire aux lèvres. L'heure était grave, mais il avait une piste. Peut-être qu'ils trouveraient comment contrer le sort d'ici demain et qu'ils pourraient trouver un moyen de vaincre Vecna. Eddie pressa le bouton pour parler, et appela Dustin. La blonde le regarda faire en silence.

Il y avait quelque chose dans l'air. Quelque chose qu'elle sentait et qui la faisait frissonner. Tandis qu'Eddie communiquait avec Dustin, le mettant sur la piste de Victor et de l'asile, la blonde regarda par la fenêtre. Ses oreilles bourdonnaient, s'emplissant d'acouphènes alors que sa tête lui faisait mal à nouveau. Son regard porta sur le large du lac, au milieu de l'eau. Chrissy déglutit. Au milieu de l'eau, il y avait une grande silhouette, et deux yeux blancs qui la regardaient. La jeune fille fit un pas en arrière, effrayée. À côté d'elle, Eddie replia l'antenne du talkie et s'approcha d'elle pour poser une main sur son épaule.

- Chrissy ? Appela-t-il. Tout va bien ?

- Il y a quelqu'un qui nous regarde... là-bas, dit-elle sans quitter le lac des yeux.

Eddie se posta à côté d'elle et suivit son regard.

– Il n'y a personne.

Les yeux de Chrissy se remplirent de larmes, qu'elle retint. Le métalleux, inquiet, passa une main dans les mèches blondes qui pendaient sur les épaules de son amie.

– Tout va bien, murmura-t-il. Tout va très bien.

– Non Eddie, lui répondit-elle d'une voix étranglée. J'ai encore halluciné...

Le métalleux ne sut quoi répondre. Il détestait penser ça dans ces circonstances, et surtout après les révélations qu'Henderson et sa clique leur avait fait un peu plus tôt, mais Chrissy avait peut-être raison.

- Et si Vecna choisissait des victimes faibles, qui ont des soucis ? Ceux qui consultent Miss Kelly par exemple. Des gens qui ont vu la mort, ou... ou qui l'ont déjà souhaité pour eux.

- De quoi tu parles ?!

- J'ai déjà vu Fred Benson sortir du bureau de Miss Kelly. Et tu as dit qu'il avait l'air en transe juste avant de mourir. Comme moi il y a quelques jours.

- Chrissy, bégaya le jeune homme, qu'est-ce que tu racontes ?

La blonde tourna la tête vers lui, les yeux dénués de sentiments. Cette constatation l'avait vidé de toute force, de toute émotion. Comme si sa conclusion l'avait elle-même choqué.

– Je pense que Vecna a déjà tenté de m'avoir avant Fred, lâcha-t-elle dans un souffle. Que, frustré de ne pas avoir réussi, il s'en est d'abord pris à lui. Mais il n'en a pas fini avec moi, je le sens. Je suis sa prochaine victime, et si vous ne trouvez pas rapidement le moyen de contrer le sort, je pense que je ne serai plus capable de résister très longtemps. 

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