Chapitre 30

Chrissy emmena Eddie dans le canapé pour qu'il soit confortablement installé. Depuis qu'elle le connaissait, elle l'avait toujours plus ou moins perçu comme un roc. Il ne s'était confié qu'une seule fois, lorsqu'il lui avait raconté son enfance. Chrissy pouvait comprendre que ce soit un sujet difficile à aborder, et elle avait depuis pensé que c'était le seul. Jamais elle n'aurait cru qu'un jour elle reverrait le métalleux aussi désemparé.

La jeune fille l'écouta sans dire un mot, sans jamais l'interrompre. Eddie avait du mal à trouver les mots, se coupant parfois en plein milieu du récit en gémissant. Chrissy ne pouvait imaginer ce qu'il avait eu sous les yeux. Même pour lui, c'était difficile à encaisser. Écrire un scénario horrifique pour une campagne de jeu de rôles n'avait rien à voir avec un meurtre réel. Parfois, le métalleux sanglotait. La blonde le regardait faire, la gorge serrée. Elle avait parfois envie de parler, d'essayer de lui apporter du soutien, mais elle avait la sensation que peu importe ce qu'elle dirait, ça serait toujours extrêmement stupide comparé à la gravité du récit.

– J'ai eu tellement peur, murmura Eddie, en larmes. Je l'ai regardé s'élever dans les airs comme par enchantement et... et ses os ont craqué comme des brindilles... et son crâne est parti en bouillie comme si quelqu'un avec des mains immense l'avait pressé entre ses doigts. Et je ne savais pas quoi faire... j'étais tétanisé, alors j'ai arrêté de réfléchir, et je me suis enfui.

Chrissy n'était pas quelqu'un qui pouvait croire au surnaturel. Elle avait grandi dans la réalité, sans aucun moyen d'y échapper. Le métal avait été la seule chose qu'elle avait réussie à garder pour elle, et jamais elle n'avait réussi à se soustraire assez à sa mère pour découvrir des choses fantastiques comme Le Seigneur des Anneaux ou bien la Guerre des Étoiles. Ce que venait de lui raconter Eddie la glaçait. La magie et toutes les choses sordides qui pouvaient en découler ne pouvaient exister ici.

– Je ne sais pas à quoi j'ai assisté réellement, continua-t-il à voix basse, comme si c'était un secret. C'était juste réel, et... bon sang mais c'est n'importe quoi. Qui me croirait au poste de police si je leur racontais que Fred a juste lévité au-dessus de la route avant de se briser en mille morceaux de lui-même ? Je... Même moi quand je m'entends parler, j'ai du mal à me croire...

Le métalleux leva ses yeux larmoyants vers elle.

– Chrissy, est-ce que tu crois que j'ai trop fumé ? J'ai halluciné ?

– Non Eddie, dit-elle enfin, j'ai vu le reportage sur la chaîne d'informations. Ils ont retrouvé son corps, dans l'état que tu m'as décrit... tout ce que tu as vu est réel, j'en ai bien peur.

Eddie ne répondit pas. Sa voix resta bloquée dans sa gorge, et tout ce qu'il fut capable de faire était de renifler en regardant dans le vide. Chrissy glissa sa main sur sa joue et s'approcha légèrement de lui, demandant la permission pour faire plus. Le jeune homme était clairement en état de choc, et la dernière chose qu'elle souhaitait c'était le brusquer. En réponse à sa demande silencieuse, le métalleux attrapa son bras et l'attira contre lui, plongeant sa tête dans son cou pour s'y cacher. La blonde resta interdite un instant, puis enroula ses bras autours de lui, le protégeant dans son maigre cocon. Pour Eddie, c'était déjà bien assez.

Plusieurs minutes passèrent encore pendant lesquelles Chrissy ne bougea pas, attendant patiemment qu'Eddie parvienne à calmer sa respiration. Elle lui caressait doucement les cheveux, embrassant son crâne de temps à autre, le berçant comme un enfant vulnérable. Elle voulait qu'il sache à quel point elle voulait être là pour lui, pour le protéger du mal comme lui l'avait protégé de Jason, et d'elle-même. Elle voulait lui rendre tout ce qu'il avait fait pour elle, bien que le tenir contre elle soit une bien maigre réparation.

Au bout du compte, la tête du métalleux devint lourde contre la poitrine de Chrissy. Sa respiration devint plus régulière, les larmes, sèches. La poigne ferme du jeune homme se décrispa et ses bras finirent par retomber sur la taille de la blonde. Elle repoussa quelques mèches bouclées pour constater que le visage d'Eddie était apaisé. Il s'était endormi, ce qui pour elle était la meilleure réponse qu'il pouvait donner à son traumatisme, au moins pour le moment. Le temps avait passé, et déjà 19 h pointait le bout de son nez. Tant bien que mal, elle réussit à s'extirper du canapé sans brusquer Eddie, et se leva sans faire de bruit pour aller préparer à manger.

La jeune fille trouva une canette de raviolis à réchauffer. Il y avait probablement qu'une part et demi, mais n'étant toujours pas une grosse mangeuse, Chrissy se dit que ça ferait largement l'affaire. Elle versa le contenu dans une casserole et, alors que le contenant chauffait doucement, fit le tour de la maison pour vérifier que portes et fenêtres étaient toujours bien verrouillées. Quand elle revint, la nourriture chauffait tranquillement, et Eddie dormait toujours à poings fermés dans le canapé. La jeune fille s'approcha de lui et lui retira ses chaussures pour qu'il soit déjà plus à l'aise. Elle retira également sa veste mi-jean mi simili-cuir qu'il portait, puis le couvrit de la couverture qu'elle avait utilisée la veille, avant de fouiller les placards de l'étage pour en trouver une pour elle également.

Chrissy hésita à réveiller son ami pour le faire manger, puis se dit qu'il valait mieux qu'il se nourrisse maintenant que de se lever la faim au ventre. Ils mangèrent donc en silence, la jeune fille rougissant des sourires fiers que lui lançaient Eddie lorsqu'il la voyait manger. La blonde était toujours un peu sceptique à l'idée de remplir son estomac, mais elle ne pouvait qu'être heureuse de ne plus se punir d'avoir mangé, ou que sa mère le fasse pour elle en la privant du prochain repas. Ç'aurait été trop aguicheur de baisser légèrement son jean pour lui montrer que ses hanches n'étaient désormais plus du tout saillantes comme avant, qu'elle commençait à retrouver un corps normal. Chrissy aurait même juré avoir pris un peu de poitrine, mais là encore, allait-elle tenter le diable en posant la question à Eddie ? Le métalleux lui plaisait, beaucoup même, mais elle n'était pas sûre de vouloir brûler les étapes, pas sûre d'être prête à ça.

Les deux jeunes gens se délestèrent de leurs assiettes vides quelques minutes plus tard, ravis d'avoir l'estomac rempli.

– Tu m'as mis en chaussettes, constata-t-il en se levant. Et je n'ai plus ma veste, d'ailleurs.

– Je l'ai posé sur le fauteuil, répondit-elle en rougissant. Je me suis dit que tu serais plus à l'aise pour dormir, comme ça...

– Merci de m'avoir mâché le travail. Mais maintenant que je suis réveillé, je pourrais moi-même me mettre à l'aise.

Chrissy se sentit devenir rouge pivoine. La dernière fois qu'elle l'avait vu en caleçon, c'était quand il se changeait pour se mettre en pyjama. Il n'était pas resté longtemps aussi dénudé et c'était un accident. La jeune fille avait ouvert la porte sans frapper, pensant qu'elle était seule. En réalité, elle n'avait pas entendu Eddie revenir de dehors, où il était allé pour fumer sa dernière cigarette du soir. Là, le métalleux n'avait rien de mieux à se mettre sur le dos pour dormir, alors quand vint l'heure de se mettre au lit, il garda son t-shirt sur le dos et son caleçon, et partit chercher un matelas de secours qu'il savait quelque part dans la maison.

Chrissy s'endormit rapidement sur le canapé, et le jeune homme resta couché sur le matelas, regardant le plafond pensivement. Il parvenait tant bien que mal à ne pas se remémorer Fred et sa mort tragique, mais cela lui coûtait son sommeil. Eddie n'avait peut-être pas l'image, mais le son répugnant des os qui se brisaient l'empêchaient de trouver Morphée. Vers minuit, alors qu'il faisait nuit noire, il craqua. Le métalleux se leva tout doucement, prenant garde à ne pas bousculer la table basse ou le bras de son amie qui pendait dans le vide, et farfouilla les poches de sa veste à la recherche de son paquet de cigarettes. Il le trouva rapidement ainsi que le briquet qui allait avec, et sortit par la porte de la cuisine, face au lac.

Le moindre bruit l'effrayait. Un craquement de branche, une brise un peu trop forte, les poissons qui faisaient bouger et clapoter l'eau. Tout. Eddie était redevenu un garçon effrayé par tout, qui fuyait le combat par tous les moyens. Lorsqu'il avait fait la connaissance de Chrissy et qu'il l'avait redécouverte le mois dernier, il s'était juré de trouver le courage de se battre pour elle. Il l'avait fait ; il avait défendu son amie et l'avait mise en sécurité lorsqu'elle le lui avait demandé. Mais là, il s'agissait de lui. Eddie avait déjà un casier judiciaire, léger certes, mais suffisant pour prendre la perpétuité, ou même la peine capitale, si quelqu'un l'attrapait. En tirant sur sa cigarette, les yeux rivés vers le lac, le métalleux n'avait qu'une question en tête : qu'allait-il advenir de Chrissy et lui ?

Eddie ne trouva aucune réponse à ses questions dans la nuit. Au matin, il comptait trois heures de sommeil, pas une de plus. Il était épuisé, avait fumé cigarette sur cigarette en cogitant. Il somnolait encore quand Chrissy se leva pour fouiller le frigo à la recherche de quoi faire un petit-déjeuner pour deux.

- Tu as besoin d'aide pour faire à manger ? Grommela-t-il, à moitié endormi.

– Non Eddie, tu peux dormir tranquille, répondit-elle d'une voix chaleureuse qui fit frissonner le métalleux de bonheur.

- Je n'ai pasai pas besoin de dormir, mentit-il en se redressant sur son matelas.

- C'est pour ça que je t'ai entendu te lever pour sortir, et rentrer te coucher, pour te relever et sortir, et ainsi de suite ?

Eddie se renfrogna. Lui qui pensait avoir été discret, c'était loupé.

- J'espère que je ne t'ai pas empêché de dormir, espéra Eddie.

- J'ai de toute façon mal dormi tu sais. Même si c'était profond, chaque fois que je me réveillais, j'avais mal à la tête.

- Les mêmes migraines qu'avant ?

- Oui, plus intenses même, avoua Chrissy.

Eddie se leva du matelas et enfila son pantalon, laissé à l'abandon sur le fauteuil. Quand il se considéra décent, il rejoignit Chrissy dans la cuisine, qui regardait un paquet de préparation pour pancakes d'un œil absent. Le métalleux glissa ses doigts sur son épaule pour la caresser doucement.

- Hey, Chrissy, dit-il à voix basse en s'approchant un peu plus d'elle. Ne te pousse pas à bout. On est coincés ici de toute façon, du moins jusqu'à ce que je trouve une solution pour que tu puisses être en sécurité.

- Je suis en sécurité avec toi...

– Ça n'est plus qu'une question de temps avant qu'on m'accuse formellement du meurtre de Fred. Je suis leur solution de facilité, d'autant plus que tout Hawkins High est au courant qu'on se fréquentait avant que tu ne disparaisses. Ils vont me charger pour ça aussi.

- Alors je me montrerai. Je leur expliquerai que tu n'es pas celui que tout le monde pense.

– Il ne s'agit pas de ça, Princesse, soupira-t-il. Tu pourras dire ce que tu veux, personne ne voudra t'entendre. Je ne dis pas que ta voix n'a aucun poids, mais tu es seule contre toute une ville. Prends soin de toi plutôt, prends le temps qu'on a pour te reposer, et quand je saurais quoi faire pour nous sauver la peau à tous les deux, je t'en parlerai. En attendant, c'est mon fardeau, pas le tiens.

- Je n'ai plus peur des autres. Jason peut me chercher, me trouver même, je ne serai plus jamais à lui. Je ne baisserai plus les yeux devant lui, Eddie, donc ne t'en fais pas pour moi.

Eddie ouvrit la bouche pour répondre, mais se ravisa lorsque Chrissy se pencha en avant pour prendre sa tête entre ses mains.

– Chrissy ?

- J'ai mal à la tête, gémit-elle.

- Tu... tu as des visions ? risqua-t-il.

- Non... si j'en avais, je ne t'entendrais plus je crois...

– Il faut que tu te reposes...

- Je vais aller me mettre sur le matelas je pense, concéda-t-elle. Et mettre quelque chose sur mes yeux pour être un peu dans le noir, ça m'aidera.

La jeune fille s'extirpa de la main d'Eddie et lui lança un regard attristé. Aucun des deux ne comprenait ce qui se passait, et Chrissy n'en pouvait plus. Les visions et les migraines s'étaient ralenties depuis qu'elle s'était enfuie de chez elle, mais elle ne comprenait toujours pas ce qui pouvait provoquer ça.

D'un pas las, elle se traîna jusqu'au matelas et se laissa presque tomber dessus de sa hauteur. Elle se mit sur le dos, attrapa son baladeur et glissa la cassette de Black Sabbath dedans, se délectant des premières notes de War Pigs. Il ne lui fallut pas plus de cinq minutes pour tomber dans un sommeil profond et sans rêves.

Eddie passa la fin de la matinée à cogiter et à tourner en rond, vérifiant que chaque fenêtre et chaque porte de la maison était verrouillée. Le métalleux peinait à penser correctement. À un moment, il songea même à fouiller les tiroirs de Rick à la recherche d'une boulette de cannabis à fumer, mais se ravisa. Après tout, le lascars était en taule pour production de drogue et vente, évidemment que la maison avait dû être fouillée et la production saisie. Eddie ne trouverait rien ici, et quand bien même, il était certain que le joint le calmerait tellement qu'il en serait incapable de réfléchir correctement. Fumer était définitivement le mauvais plan. Il s'assit donc sur le canapé et fixa le mur pendant de longues minutes, essayant de trouver où aller, quoi faire. S'il pouvait mettre la main sur un véhicule, Chrissy et lui pourraient quitter la ville. Ou lui tout seul. S'il s'éloignait, Hawkins serait débarrassée du rejeton Munson, le pauvre mec voleur de voiture qui s'était acoquiné d'une alcoolique et qui avait pondu un môme qui serait probablement tout aussi délinquant qu'eux. En partant, Eddie pourrait aller dans un endroit où personne ne lui collerait cette étiquette. Repartir de zéro. Peut-être même que Chrissy serait tentée par l'aventure. Bien sûr, Jeff et Garrett resteraient ici le temps de terminer le lycée, mais Eddie se voyait déjà faire la route pour se produire aux quatre coins des États-Unis. Le rêve.

Chrissy se retourna sur le matelas et son casque tomba de ses oreilles, sortant le jeune homme de sa torpeur. Il baissa les yeux vers elle, attendri de la voir aussi endormie, le visage apaisé. Par précaution, il posa le dos de sa main sur son front, et soupira de soulagement en constatant qu'elle n'avait pas de fièvre. Il zieuta ensuite la cassette. Paranoid, évidemment. Son album préféré de tout les temps. La cassette devait être finie depuis longtemps, aussi Eddie prit soin de commencer à la rembobiner pour elle.

Le métalleux regardait la bande noire passer d'un côté à l'autre lentement, quand il entendit des voix au loin, qui semblaient se diriger vers ici. Il se précipita vers la cuisine, réveillant Chrissy au passage qui se redressa sur le matelas dans un sursaut, et regarda par la fenêtre de la cuisine. Les silhouettes étaient nombreuses mais encore assez loin pour qu'Eddie ne puisse pas les reconnaître.

- Chrissy, il faut qu'on aille dans le hangar, vite ! s'écria-t-il.

La jeune fille se leva, enfilant ses tennis à la va-vite, et suivit son ami dehors. Ils se faufilèrent à pas de loups dans le hangar plongé dans le noir. Eddie se stoppa, suivi de Chrissy. Les voix se rapprochaient de plus en plus, et il n'était capable de reconnaître aucune d'entre elle. La panique montant en lui, il se rua sur la bâche qui recouvrait la barque à moteur de Rick et commença à grimper dedans. Chrissy commença à s'approcher pour le rejoindre, mais Eddie la stoppa.

– Il vaut mieux qu'on se trouve des cachettes séparées, lui dit-il à contrecœur. Si c'est la police, j'aime mieux qu'ils me trouvent moi seul plutôt que toi.

Il balaya les yeux de la pièce, mais Chrissy s'avançait déjà vers deux armoires en métal qui semblaient assez proches l'une de l'autre. Elle se saisit du marteau qu'elle avait reposé sur l'établis et se faufila entre les deux rangements. Eddie lui fit signe qu'elle avait bien fait et se recouvrit de la bâche.

Juste à temps pour entendre les voix sur le pas de la porte du hangar, puis la lourde porte en métal s'ouvrir.


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Coucou tout le monde ! 

J'espère que vous avez passé une longue semaine et bien profité de votre week-end. 

Je sais pas vous, mais moi je peux pas m'empêcher de sourire en voyant Chrissy et Eddie ensemble. Qu'ils sont mignons tous les deux... 

Dites-moi tout ça en commentaire ? :)

Allez, bisous et à lundi prochain !

Alice  

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