Chapitre 27

Eddie eut du mal à dormir dans la nuit du vendredi au samedi. L'absence de Chrissy était un mal pour un bien, mais il n'arrivait pas à enlever l'image de la blonde le regardant partir avec des yeux pleins de larmes et d'incompréhension. Ce baiser était tombé comme un cheveu sur la soupe. Le métalleux en mourrait d'envie depuis des jours, et il était certain que c'était également le cas de son amie. Seulement, étaient-ils vraiment obligés de se mettre une étiquette ? Chrissy était-elle devenue sa petite amie juste à cause de ce baiser ? Eddie ne pouvait que se sentir mal à l'aise à cette pensée. Mais que dirait-elle s'il lui expliquait tout ça ? Comprendrait-elle ?

Toutes ces questions lui trottaient encore dans la tête lorsqu'il se leva le samedi matin, qu'il se prépara un café, encore à moitié endormi. Le programme était simple : jouer de la guitare jusqu'à ce qu'il ait enfin oublié tout ça. Il appellerait Chrissy sur le talkie aux alentours de midi pour s'assurer qu'elle avait tout ce qu'il lui fallait et qu'elle ne s'ennuyait pas trop, puis retournerait à ses occupations. Chouette programme. Il y a deux mois, cet emploi du temps l'aurait enchanté. Aujourd'hui, il lui paraissait fade au possible.

Vers 10 h, le métalleux sortit, guitare et feuille de partition en main, pour s'installer sur la table de pique-nique qui trônait près de leur mobile-home. Il y trouva Wayne, les yeux plissés par le soleil qui lui brûlait sans doute la rétine, et s'assit à côté de lui. Son oncle fit glisser le paquet de cigarette vers lui avec une moue désapprobatrice, mais résignée. Eddie était dans un état de fatigue tel que le plus vieux n'avait pas cœur à l'emmerder. Le lycéen en tira une, la porta à ses lèvres, et saisit le briquet de Wayne sans un mot. Une étincelle plus tard, il inspirait une bouffée nocive à pleins poumons.

– Elle te manque, pas vrai ? Demanda Wayne.

Eddie lui répondit par un regard fatigué. La réponse était évidente.

- Tout ira bien pour elle, Eddie. Et s'il le faut, j'irai m'en assurer à ta place. Après tout, je n'ai pas de lien avec elle, non ?
- C'est pareil Wayne, grommela le métalleux. Les flics ont pris notre déposition. Ce connard de Jason Carver te croit dans le coup tout autant que moi. Que t'y ailles ou que ce soit moi, ça ne changera rien.

Son oncle haussa les épaules, et Eddie se laissa glisser sur le banc plutôt que sur la table. Il cala sa partition encore vide avec le cendrier plein de mégots, et se tourna pour observer l'allée en terre déserte. En face, chez les Mayfield, le chien faisait encore des siennes. Eddie ne comprenait pas pourquoi Susan Mayfield avait décidé de recueillir ce chien. Si sa fille Max ne prenait pas la peine de lui apporter les restes du repas, ce pauvre cabot serait mort de faim depuis longtemps. La mère ne lui donnait aucune attention. Rien du tout. Il n'y avait que Max qui prenait la peine de le grattouiller de temps en temps. Eddie avait pitié de cette pauvre bête, mais Susan avait l'air d'être dans un tel état lorsqu'il la croisait qu'il n'osait pas lui demander de lui laisser le chien. Avait-il seulement un nom ? En tout cas, Chrissy le lui en aurait donné un. Il aurait de la vraie nourriture, pas juste les restes. Et elle lui aurait donné tant d'amour. Oui, c'était certain, la jeune fille avait un truc avec les animaux. Sa gentillesse n'avait aucune limite.

Eddie soupira. La feuille de partition claquait lorsque le vent tentait de l'arracher à la table. De longues minutes avaient passé, et il n'avait gratté aucune corde de sa guitare. Le jeune homme ferma les yeux et inspira lentement. Il fallait que cette image, si délicieuse et frustrante soit-elle, disparaisse de son esprit. Au moins le temps de commencer à composer la nouvelle chanson. Il avait eu l'idée de cette mélodie il y a quelques jours, mais il n'avait pas eu le temps de coucher les notes sur papier. Il écrasa son mégot dans le cendrier, cala son crayon entre ses dents, et commença à gratter les cordes, s'arrêtant de temps à autre pour prendre des notes sur sa partition. Wayne le regarda gratter, noter, raturer, et recommencer en boucle. Il s'étira et se leva du banc, s'apprêtant à retourner dans le petit salon pour regarder un peu la télé avant d'aller travailler, quand une voiture inconnue descendit lentement dans l'allée de terre. Elle s'arrêta à leur hauteur, et la jeune fille qui conduisait arrêta le moteur avant de descendre, suivie de près par un adolescent à lunettes et à boutons.

Eddie, en les voyant approcher, cessa de gratter les cordes de sa guitare et reposa le crayon sur la table, mâchoire serrée. Il ne connaissait les deux jeunes gens que de nom, les ayant déjà croisé au lycée de nombreuses fois. Mike lui avait parlé de sa sœur, Nancy, mais il aurait juré en la voyant maintenant de près qu'elle ne ressemblait en rien à son frère. Derrière elle, son rédacteur du journal du lycée, carnet en main, paré à prendre des notes : Fred Benson. Le métalleux soupira, voyant déjà venir les questions indiscrètes.

– Bonjour, salua Nancy.

Wayne répondit par un grognement, ayant aperçu lui aussi le carnet de notes de Fred, et Eddie ne daigna même pas faire un geste.

– Est-ce que vous auriez quelques minutes à nous accorder ? Demanda-t-elle. Nous aimerions vous poser quelques questions.
- Ça dépend, répondit Wayne de sa voix rauque. Elles concernent quoi, vos questions ?
- Ce serait à propos de... et bien de la disparition de Chrissy Cunningham.

Wayne tira une nouvelle cigarette du paquet qui traînait sur la table, et l'alluma sans un mot. Eddie toisa les deux journalistes en herbe sans desserrer les lèvres.

– Qu'est-ce qui vous dit qu'on pourra vous répondre ? Rétorqua le fumeur.
– Chrissy était proche de toi Eddie, non ? Demanda Nancy en tournant son regard vers lui.
– Non, mentit le jeune homme. On s'est parlé une ou deux fois lorsqu'on s'est croisé dans les couloirs, mais sans plus.
- Elle a quand même mis son poing dans la tronche de Jason Carver en lui ordonnant de te laisser tranquille, objecta Fred, en recul.

Eddie tourna les yeux vers lui, glacial. Il ne pouvait lui en vouloir d'avoir bonne mémoire, mais pour ce qui était de Chrissy et de sa "disparition", il préférait que les gens se tiennent loin de lui. Le métalleux n'était pas de nature menteuse, et Nancy Wheeler le découvrirait bientôt.

– Je ne sais pas de quoi tu parles, Benson, contesta Eddie, acerbe. Oui, Carver m'avait cassé la gueule hier, et vu le tempérament du bonhomme, Chr- Cunningham a dû faire le rapprochement. C'est de notoriété publique que ce type me déteste.
- Parce que tu lui as piqué sa gonzesse ? Demanda Fred en remontant ses lunettes sur son nez.
- Parce que je suis ce qu'on appelle un geek, rétorqua le métalleux. Un foutu connard à bouclettes qui aime jouer à Donjon & Dragons. Toi qui aimes le journalisme, je suppose que tu n'es pas passé à côté de ce formidable article dans Life. Donc tu dois connaître mon super jeu de satanique auquel je joue avec ma bande du Hellfire Club.

Nancy se retourna pour lancer un regard courroucé à son acolyte. Fred haussa les épaules, quelques peu gêné, et la jeune femme fit à nouveau face à Eddie pour lui offrir un sourire désolé.

- Excuse-le, il est un peu à cran en ce moment, dit-elle. On prépare un gros numéro en ce moment et on se repose peu. Nous n'avons pas l'intention de te froisser ou de te mettre mal à l'aise, Eddie.
– C'est réussi, lâcha-t-il, sarcastique.
– Donc tu ne parlais pas vraiment à Chrissy lorsque vous vous croisiez au lycée.
– Absolument m'dame.
– Et donc tu n'as aucune idée de la raison pour laquelle nous ne l'avons pas vu au lycée depuis plus d'une semaine ?
– Aucune.

Eddie allait appuyer ce mensonge avec l'anecdote de la visite des policiers la veille, mais il était inutile qu'il mette Wheeler et sa bande de scribouilleurs sur la piste de la police.

– D'accord, chuchota Nancy en grattant quelque chose sur son petit calepin.

Le métalleux l'entendit se remettre à parler quelques secondes plus tard, alors que Wayne attrapait une nouvelle cigarette sur la table avant de passer la porte du mobile-home pour de bon, mais il n'y prêta aucune attention. Derrière Nancy, Fred avait d'un coup l'air ailleurs. Son attitude naïve était remplacée par un dos vouté, apeuré. Le binoclard avait le regard perdu en direction de la forêt, derrière l'habitation des Mayfield. Eddie fut happé par le son lugubre du bruissement des feuilles.

- Eddie, je suis désolée d'insister, mais j'aimerais juste mettre un point au clair avant de te laisser tranquille.

La voix de Nancy, plus ferme et insistante, le coupa dans ses songes. Quand il reporta son attention sur elle, quelque chose manquait.

- Je ne suis pas en train de t'accuser, reprit-elle. Je veux juste répondre à quelques questions que tout le lycée se pose.
- Ouais, ouais, si tu veux Wheeler, répondit le métalleux en se levant. Mais tu peux me dire où est passé ton pote en fait ?

C'était ça qu'il manquait. Eddie avait le regard rivé sur la forêt derrière la jeune fille, et il manquait bien quelque chose : Fred. Nancy se retourna d'un côté, puis de l'autre, se baissant un peu pour regarder à travers les vitres de la voiture.

– Je ne comprends pas, murmura-t-elle, il était juste là, derrière moi...
– Sans doute parti faire un tour pendant que tu monologuais. Bouge pas de là, je vais le chercher.

Le métalleux se leva, suivi des yeux par la sœur de Mike, et s'avança vers l'enclos du chien, qu'il contourna. Il sentit Nancy faire un pas dans sa direction, mais se ravisa. Si Fred devait réapparaître de lui-même, mieux valait qu'elle l'attende près de la voiture. Eddie accéléra et s'enfonça dans le bois. Autour de lui, il n'y avait que des arbres immenses, de la terre, des fougères, mais aucune trace du lycéen. Il s'avança toujours tout droit, espérant tomber bientôt sur la petite clairière une centaine de mètres plus loin. Sur sa droite, il y avait aussi la route. En fait, Fred aurait pu être n'importe où. Mais pourquoi s'être évaporé d'un seul coup ? Pourquoi s'être éloigné sans rien dire ?

Soudain, un craquement se fit entendre. Eddie fit volte-face, essayant de trouver la provenance du bruit. Le vent qui se levait de temps à autre faisait bruisser les feuilles. Impossible de déterminer correctement quel chemin prendre.

- FRED ?! Appela-t-il, espérant qu'on lui réponde.

Comme il s'y attendait, aucun signe de vie. Eddie fit deux pas de plus en direction de la clairière, espérant percevoir de nouveau un signe qui lui indiquerait où Fred était parti.

Il n'eut le temps de faire que deux pas, quand deux craquements se firent à nouveau entendre, suivi par des pas, des bruits de plantes qu'on bousculait. Oui, ça venait de la droite. Le métalleux tourna immédiatement et accéléra encore, courant presque dans la forêt. Tout ce qu'il avait à faire, c'était se rapprocher de la route. La forêt s'étendait au-delà, mais elle était moins dense. S'il avait bien pris cette direction, Eddie n'aurait aucun mal à l'apercevoir.

Quelques mètres plus loin, sa théorie se confirma. Forest Hill était comme son nom l'indiquait, sur une petite butte. En contrebas, la route. Juste devant lui, Fred se penchait en arrière pour descendre la pente qui menait à la route.

– Fred ! Appela à nouveau Eddie.

Mais le garçon ne lui prêta aucune attention. Il marcha jusqu'à s'arrêter au milieu du chemin, pile sur la bande blanche. Quelque chose n'allait pas. Fred n'était pas normal. Le métalleux décida de rester caché dans la forêt. Peut-être que le lycéen redeviendrait normal et le rejoindrait. Mais Fred resta planté là, raide comme un piquet, au milieu du goudron chaud.

– Fred ! Brailla Eddie.

Si une voiture arrivait, terminé le binoclard. La seule chose qui risquait de sortir intact de l'accident serait son énorme paire de lunettes. Non, en fait, Eddie ne pouvait pas rester là. Il descendit à son tour sur la route et se plaça devant Fred, avant de faire un pas en arrière, choqué.

Devant lui, le journaliste en herbe ne bougeait pas. Ses yeux papillonnaient si vite qu'Eddie doutait qu'il voie quelque chose, et une seconde après, ceux-ci se révulsèrent. Comme Chrissy. Avait-il des visions, lui aussi ? C'était peut-être ça qui l'avait conduit jusqu'ici, mais pourquoi ? Qu'est-ce qui se passait par ici, bordel ?

– Fred, réveille-toi ! Hurla Eddie en lui tapotant l'épaule.

Mais le binoclard ne bougea pas. Le métalleux recula d'un pas et se tourna pour vérifier qu'aucune voiture n'arrivait dans son dos. Son ventre se tordit, son cœur s'accéléra. Les pieds de Fred avaient quitté le sol. Eddie recula d'un pas. Tout ça allait très mal se finir, et il ne pouvait rien faire. Il voulut crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche lorsqu'il essaya. Le corps immobile du lycéen se leva encore plus haut et finir par se stopper à deux mètres.

Un craquement lugubre résonna autour d'Eddie lorsque la jambe de Fred se tordit en un angle droit parfait sur le côté. Le métalleux fit un pas de plus en arrière et tomba à la renverse. Le bras gauche du garçon se tordit également comme le bras d'une poupée, et sa main pendouilla, ramollie. Le reste de son corps commença à prendre des positions plus tordues les unes que les autres, faisant craquer ses os. Eddie ravala de la bile alors que les yeux de Fred se mirent à pleurer du sang.

Un ultime craquement se fit entendre et le corps retomba comme une bouillie que l'on jetterait. Eddie parvint enfin à hurler, alors qu'il croisa les yeux blancs et morts de Fred Benson.

Eddie cessa de réfléchir. En titubant, il se leva et rentra à toutes jambes dans la forêt, s'éloignant le plus possible du parc à mobile-home non loin de là.

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Hello there !
J'espère que vous allez bien :)
Comme souvent en ce moment, j'ai été trop occupée pour publier samedi dernier, donc cette semaine, vous aurez à nouveau deux chapitres pour le prix d'un ! J'espère que la suite de l'histoire vous plait toujours :)
N'hésitez pas à me laisser votre avis, vos votes, ça me fait toujours énormément plaisir (et ça me motive énormément).
Passez un bon week-end, bisous !

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