Chapitre 24
Eddie passa la matinée concentré, prenant des notes de toutes les matières qu'il pouvait éventuellement donner à Chrissy pour qu'elle rattrape les cours. Il trouva même une fille qui était dans la classe de la jeune fille, et, bien qu'elle fût effrayée par lui, put lui soutirer certaines de ses leçons pour que Chrissy les recopie. La pauvre lycéenne avait été si impressionnée par les blasons présents sur sa veste (Eddie l'avait vu zieuter à maintes reprises) qu'elle lui avait donné ses feuilles sans sourciller ni se soucier de la véracité de sa demande.
Satisfait, le métalleux commençait une nouvelle campagne avec Dustin, Mike, et ses autres camarades du Hellfire Club. L'heure tournait vite, mais trop lentement à la fois. Il avait hâte de revoir Chrissy, de lui apprendre à nouveau la guitare. Peut-être que cette fois-ci Wayne ne viendrait pas les interrompre. Peut-être que cette fois-ci il pourrait enfin goûter à ses lèvres, les dévorer, et faire taire les pulsions.
C'était un de ces moments, où Eddie décrivait un endroit glauque, oppressant, angoissant. L'ambiance devait y être, il murmurait, les lumières étaient basses et orientées sur son visage. Il voyait Garrett s'enfoncer sur sa chaise, reculant petit à petit, tandis que Dustin buvait ses paroles. Mike prenait des notes soigneusement. Tout avançait si bien, et les joueurs se rapprochaient lentement de son piège. C'était parfait.
Jusqu'à ce que des voix tonitruantes beuglent dans le couloir et ne le coupent dans son élan. Eddie se tut, la mine renfrognée, et se laissa retomber sur sa chaise, en bout de table. Il grinça des dents, se retenant de se lever pour aller leur demander de la fermer.
– Sérieux ils exagèrent, grommela Jeff en posant son crayon sur sa feuille de prise de notes. A chaque fois c'est la même chose, ils oublient qu'on est occupés ici.
- On peut continuer sans l'ambiance, proposa Mike. Personnellement ça ne m'empêche pas d'être dedans.
- Mais le point fort d'Eddie c'est justement la création de l'ambiance, protesta Garrett. C'est plus pareil s'il nous raconte ça sans y mettre les formes.
- On ne va quand même pas s'arrêter chaque fois que des connards viennent casser notre délire ! Renchérit Dustin.
Le débat s'installa, mais Eddie ne les écoutait pas. Les voix lui étaient familières, et surtout, il avait capté des bribes de la conversation des intrus. Il se leva sans un mot, provoquant le silence de Dustin, qui le suivit des yeux. Le métalleux colla son oreille contre la porte avant de l'entrouvrir, juste assez pour avoir une vue d'ensemble sur le couloir, quasiment désert. Seuls quatre garçons en uniforme de basket le traversaient, se dirigeant vers la sortie. Parmi eux, il en était certain, se trouvait Carver. C'était lui qui avait gueulé comme un putois. Lui qui avait donné les ordres. Eddie avait compris juste assez de mots pour deviner l'intention malsaine de l'équipe de basket. "Aller chez lui", "Chrissy".
Oh non.
La porte du lycée claqua, les basketteurs avaient disparus.
– La partie est terminée, coupa Eddie, réduisant Jeff, Garrett et Mike au silence.
– Comment ça "terminée" ?! S'écria Mike.
– On reporte, j'ai une urgence.
– Mais
– Y a pas de "mais", Henderson ! On reporte, c'est tout. Gardez vos notes, on reprend la semaine prochaine, même heure, même endroit.
Sans un mot de plus, Eddie empaqueta ses affaires, fit glisser les clefs à Jeff pour qu'il ferme le local derrière eux, et fonça en direction du parking du lycée. A mi chemin sur le parking, le métalleux se stoppa dans sa course. La Cadillac rouge de Carver avait disparu, et ils arriveraient avant lui. Il fallait qu'il prévienne Chrissy. Faisant demi-tour à la hâte, il se rua sur le téléphone public qui se trouvait sous le petit préau. Il glissa deux pièces à la hâte, composa son numéro de téléphone, et attendit. Chaque tonalité lui paraissait une éternité, et Eddie se retrouvait à prier tous les dieux qu'il connaissait pour que quelqu'un décroche. Si ça n'était pas Chrissy, faites que ce soit Wayne. N'importe qui. Même la voisine d'en face, ou un badaud qui passerait dans le coin. N'importe qui, mais pourvu que quelqu'un mette son amie à l'abri. Qui sait ce que Jason ferait s'il tombait nez à nez avec elle, chez lui. Il retrouverait un cadavre frêle dans son salon, et serait accusé de son meurtre. Rien qu'à cette idée, Eddie eut envie de rendre le sandwich qu'il avait mangé le midi.
Le cœur d'Eddie sembla s'arrêter de battre dans sa poitrine. Il venait de tomber sur le répondeur. Wayne était sorti, et Chrissy manquait à l'appel. Le métalleux raccrocha à la va-vite et fonça à sa voiture, qu'il démarra en trombes. Il roula en prêtant à peine attention aux feux, espérant arriver avant Jason. Ou après qu'ils soient repartis, étant donné qu'ils étaient quatre. Se faire casser la gueule gratuitement, même à raison (après tout, il cachait Chrissy chez lui), très peu pour lui.
Le trajet lui parut faire le double que d'ordinaire. Lorsqu'il s'engagea dans l'allée de terre avec son van, il trouva sa place habituelle dans la pelouse occupée par la voiture de Carver. Autour de son mobile-home, les gorilles de Jason, en veste orange et verte, faisaient le tour de l'habitation. Eddie descendit prudemment de son van, d'abord inquiet, puis fit comme si de rien n'était. Il s'approcha du perron, et fut surpris de trouver la porte ouverte.
À l'intérieur, il trouva un Wayne furieux, combiné en main, vociférant des menaces sur Jason, indifférent. Eddie n'avait pas fait attention, dans la panique, mais le pick-up de son oncle était bien garé à sa place. Il devait être rentré à peine cinq minutes après son appel.
- Je vais appeler les flics ! Gueulait-il. Vous n'avez pas le droit de rentrer ici, c'est une propriété privée !
Wayne porta le téléphone à son oreille et de loin, Eddie put percevoir le bip tonitruant de l'attente des lignes du 911. Un fracas se fit entendre sur sa droite, et en tournant la tête, le jeune homme vit Jason en train d'ouvrir tous ses placards. Un frisson le parcourut : Eddie pria mentalement pour que le basketteur n'ait pas remarqué les sous-vêtements féminins qui étaient rangés en pagaille au fond d'une des étagères. Mais le sportif referma tout rageusement et sortit de la chambre d'Eddie, remonté.
- Où tu la caches, Munson ? Grogna Jason.
- Pas ici, en tout cas, répondit sèchement Eddie. Chrissy n'est pas chez moi. Et comme toi, je ne l'ai croisé en dehors du lycée. Je ne l'ai pas vu depuis qu'elle a disparu.
Dans son dos, Wayne se présentait à la police, et commençait à dénoncer Jason.
- Tu mens, fit le basketteur.
- Tu peux le prouver ? Demanda Eddie, provocateur.
Jason lui répondit par un silence.
- T'es toujours en train de violer ma propriété, Carver.
Il vit la mâchoire du sportif se crisper, puis il recula d'un pas avant de se diriger vers la sortie.
- On n'en a pas fini, toi et moi, Munson, menaça Jason avant de claquer la porte du mobile-home. Peu de temps après, Eddie entendit des portières claquer et le moteur de la Cadillac vrombir, puis s'éloigner. Le jeune homme se laissa tomber dans le vieux canapé, lessivé, et se mit à rire. Wayne l'observa, médusé, tandis que son rire nerveux retentissait contre les murs de l'habitation.
– Je peux savoir ce qui te fait rire, mon garçon ?
– Ces connards viennent fouiller chez nous en pensant qu'on cache Chrissy. Ils étaient prêts à retourner cette baraque pour la trouver. Et le pire dans tout ça, c'est qu'elle a disparu.
Il y eut un bref silence durant lequel son oncle le regarda, lessivé. Ces jeunes étaient exaspérants, et ce Jason Carver semblait être une vraie plaie. Un pseudo leader qui orientait ses troupes droit dans le mur. Et le pire résidait dans son nom de famille : les Carvers étaient des gens riches, qui avaient leurs entrées partout et des contacts jusque dans le bureau du maire et dans la police. Jason pouvait passer au-dessus des lois comme il le souhaitait car papa serait toujours là pour lui sauver la mise.
– Ils ne l'ont pas trouvé, lâcha finalement Wayne. Ils ne peuvent pas t'accuser de l'avoir caché alors qu'ils viennent d'avoir la preuve qu'elle n'est pas ici.
- Mais où est-ce qu'elle est, alors ?!
- Tu sais, déjà hier pour le repas, j'avais dû la chercher dans la pelouse des voisins. Peut-être qu'elle est chez eux.
- Les Mayfield ?
- Ouais, les Mayfield. Chrissy jouait avec leur chien hier. Peut-être qu'elle est chez eux en ce moment.
Eddie haussa les épaules. Dans tous les cas, il ne pourrait pas s'en assurer avant un moment. Dans l'allée des mobiles-homes, une voiture de police déboulait, sirène hurlante. Le moteur se stoppa et deux policiers sortirent du véhicule. De loin, Eddie reconnut le shérif Powell. Les deux hommes en uniforme frappèrent à leur porte, et Wayne leur ouvrit.
- Bonjour monsieur Munson, salua Powell. Vous nous avez appelé pour une plainte il me semble.
- Bonjour messieurs, leur répondit-il, fatigué. Le jeune Carver et ses copains du basket ont saccagé ma maison. Ils cherchaient une certaine Chrissy.
– Ils la cherchaient chez vous ?
– Ils sont persuadés que j'ai quelque chose à voir avec sa disparition, trancha Eddie, se levant du canapé.
– Vous ? Répéta Powell.
Wayne soupira, et ouvrit la porte en grand.
– Constatez par vous-même le chantier qu'ils ont mis ici, et après on vous fera une déposition en bonne et due forme, shérif. On va tout vous expliquer.
Le grand homme noir retira son chapeau et soupira, peu convaincu, avant de pénétrer dans le petit salon.
Eddie regarda le shérif et son adjoint passer le mobile home au peigne fin. Powell prenait des notes, observait et déplaçait légèrement les objets à l'aide de la pointe de son stylo. Derrière lui, l'officier Callahan prenait des photos avec un appareil, mécaniquement. Le métalleux restait sur le canapé, en silence. Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous. Mieux valait qu'Eddie reste tranquille. Il n'était pas question qu'il devienne comme son père. Et puis, qui prendrait soin de Chrissy s'il se faisait mettre en taule ? Wayne, toujours debout dans le salon, les suivait du regard sans rien dire. Sa main caleuse et tâchée de suie par endroits fouilla son paquet à la recherche d'une cigarette. Quand ils eurent terminé leur tour, les deux policiers vinrent s'asseoir sur les deux chaises qui entouraient pauvrement la table de camping près de la cuisine. Le shérif Powell se frotta le menton, pensif, et tourna une page de son cahier de note.
- Ce que je vais noter est non officiel, je vais devoir vous demander de passer au poste un autre jour pour déposer formellement votre plainte et votre déposition, annonça le shérif.
Wayne soupira, expulsant une grande gerbe de fumée. Eddie voyait dans les yeux de son oncle toute la fatigue qui s'accumulait, l'énervant autant que lui pouvait l'être en ce moment. Puis il vint s'asseoir à côté du lycéen, et tous deux racontèrent l'histoire du début à la fin.
Chrissy avait passé l'après-midi chez Maxine. Celles-ci avaient appris à se connaître, même si la jeune fille était restée évasive sur ses conflits avec sa mère, et sur sa fugue. De toute façon, elle avait senti que la rouquine avait gardé quelques secrets pour elle également. Mais les deux filles avaient discuté, et s'étaient confiées. Chrissy avait tiqué lorsque Max lui avait expliqué avoir régulièrement mal à la tête depuis quelques jours, maux qui lui provoquaient parfois de violents saignements de nez. Chrissy se souvint des fois où il lui était arrivé la même chose. Généralement, les migraines avaient démarré suite à des visions morbides. Les mêmes qu'elle craignait d'avoir à nouveau, mais qui n'étaient plus réapparues (enfin, plus vraiment) depuis qu'elle était arrivée chez Eddie.
L'heure avait tourné, et Chrissy offrit un sourire gêné à Max, qui lui présentait tous ses Comics. Elle allait prendre congé, estimant qu'elle avait suffisamment abusé de l'hospitalité de la rouquine, quand quelqu'un frappa à la porte. La blonde fit un bond, reculant tout en scrutant la pièce.
- Il y a quelqu'un ? Fit une voix à l'extérieur. Police ! Ouvrez !
Chrissy sentit la peur monter, prenant possession de tous ses membres. Max la regarda, surprise.
- Je t'en supplie, ne leur dis pas que tu m'as vu, supplia la lycéenne. Pitié...
Dehors, la voix du policier continua d'appeler.
– Je vous ai vu ! Ouvrez !
Chrissy se glissa derrière le comptoir de la cuisine, et Max ouvrit la porte.
– Bonjour, salua-t-elle, sur ses gardes.
– Bonjour, ta mère n'est pas là ? Demanda le shérif.
– Non, elle est au travail. Vous voulez quoi ?
– Est-ce que tu as vu ce qui s'est passé il y a une heure, chez les Munsons ?
– Non, je passe pas ma vie à ma fenêtre. Il s'est passé quoi ?
– Un jeune du lycée a saccagé leur mobile-home. Il cherchait Chrissy Cunningham.
À l'entente de son nom, Chrissy déglutit. La peur lui embrumait l'esprit, et elle avait du mal à garder l'équilibre, accroupie dans la petite cuisine.
– Pourquoi il la cherchait ici ? Chrissy Cunningham c'est la reine du lycée. La capitaine des cheerleaders.
– Tu sembles bien la connaître, observa Powell.
– Tout le monde la connaît au moins de réputation, trancha Max.
– Tu l'as vu quand pour la dernière fois ?
Là, il y eut un silence. Chrissy ne pouvait pas se pencher pour observer la scène, et elle priait pour que Max soit en train de faire semblant de réfléchir, plutôt que d'hésiter. Si elle la vendait, la cheerleader serait obligée de rentrer chez elle, et sa mère lui ferait vivre l'enfer. Tout mais pas ça. Pas maintenant qu'elle avait réussi à reprendre un peu de poids. Pas maintenant qu'elle recommençait à apprécier la nourriture. Finalement, Max reprit la parole :
– Au lycée, comme tout le monde. Il y a quelques jours, j'ai pas vraiment fait gaffe.
– Et tu ne l'as pas vu par ici, dans le parc à mobile-home ?
– Non, s'offusqua la rouquine, agacée par l'insistance, bien que normale, du policier. Je m'en souviendrais si j'avais vu quelqu'un comme elle par ici. Il y a que des pouilleux dans cette zone. Des gens comme ma mère et moi qui comptons chaque centime pour finir le mois. Elle ferait tâche dans le décor, et je m'en souviendrais.
- Et Eddie Munson, tu le connais ?
- Pareil, de nom. J'ai quelques amis qui traînent avec lui au lycée, mais je lui ai jamais parlé directement.
Bon sang, mais cette fille savait mentir comme elle respirait ! Chrissy se retint de lâcher un soupir de soulagement. Le shérif et son adjoint semblaient la croire, et aucun des deux ne voulut entrer. Ils lui rappelèrent d'appeler le commissariat si elle voyait ou se souvenait de quelque chose qui pourraient leur être utile, puis firent demi-tour pour retourner à leur voiture. Max claqua la porte et se tourna immédiatement vers la cuisine.
Chrissy se laissa tomber sur les genoux, laissant sa tête dépasser de derrière le comptoir. Elle ne s'en était pas rendue compte, mais les larmes avaient dévalé ses joues. Elle avait eu la trouille de sa vie.
- Carver a vraiment une dent contre Eddie, constata-t-elle en écarquillant les yeux.
La jeune fille eut à peine le temps d'ouvrir la bouche pour lui répondre que des coups retentirent contre la porte.
---------------------
Hello tout le monde !
Je sais, ça fait deux semaines que j'ai rien posté, je suis désolée ! J'ai eu beaucoup de choses à faire samedi dernier et hier j'étais assez fiévreuse. C'est pourquoi je vais me rattraper aujourd'hui avec les deux chapitres prévus, d'un seul coup :)
J'espère que vous appréciez toujours autant votre lecture.
Et encore une fois, merci infiniment pour les vues, kudos, bookmarks et commentaires, ça me fait toujours énormément plaisir.
Bisous !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top