Chapitre 22

Eddie se gara dans la pelouse, à côté de la table de pique-nique. Il sortit de son van en se grattant la tête, cigarette en bouche. La cendre bien trop longue se détacha et tomba en miettes sur l'herbe. Il monta les marches du perron, ouvrit la porte à la volée, salua Wayne, et se dirigea vers sa chambre.

Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il tomba sur Chrissy, assise en tailleur sur le lit, sa guitare entre les mains. Celle-ci, si concentrée sur la gamme la plus basique du manuel, ne l'entendit pas s'approcher. Le métalleux l'observa froncer les sourcils devant les explications du livre, la langue entre les dents. Ses yeux descendirent sur les doigts fins de la jeune fille. Il sourit. La pauvre, elle avait tout faux, mais c'était mignon de la voir s'appliquer. Eddie soupira, amusé par le spectacle.

Quand enfin elle leva les yeux de la tablature et qu'elle croisa son regard, Eddie se mit à rire. Chrissy eut une moue gênée alors que ses joues prenaient feu.

- Désolée ! s'excusa-t-elle. Mais j'ai toujours rêvé d'apprendre à jouer d'un instrument comme celui-ci alors... je me disais que pendant que tu étais en cours je pouvais m'entraîner. Je vais la reposer là où elle était.

La lycéenne se leva d'un bon, la guitare toujours accrochée au cou mais Eddie tendit les mains vers elle en signe de protestation.

- Olà Chrissy, je ne suis pas en colère contre toi, répondit-il. Mais si tu veux apprendre il va falloir changer quelques petits trucs.

Elle ne dit rien, l'observant s'avancer vers elle et saisir l'instrument à deux mains, avant de le faire passer par-dessus sa tête. Eddie posa sa chérie, comme il l'appelait, sur le lit, et saisit les mains de Chrissy pour regarder ses ongles.

- Déjà, on va commencer par couper ça. Ils sont jolis tes petits ongles mais ils sont trop longs. Ça sera bien plus confortable s'ils ne touchent pas trop les cordes.

Sans la lâcher, le métalleux tira Chrissy vers la salle de bain, farfouilla dans un petit panier sous le meuble du lavabo, et se redressa pour couper à ras bord les ongles de la blonde. Celle-ci le regarda faire d'un œil médusé. Non pas qu'elle ne souhaitait pas le contact, mais il était soudain et bien loin de ce à quoi elle s'attendait. Eddie coupait consciencieusement, laissant un peu de blanc. Elle devait admettre que ses griffes n'étaient pas très pratiques pour manier le médiator. Même en tenant le petit triangle du bout des doigts, elle sentait parfois le bout de ses ongles riper contre les cordes. La jeune fille avait lu dans le manuel qu'il était possible d'apprendre à jouer sans médiator, mais la sensation des cordes en métal qui s'accrochaient sous ses ongles lui faisait grincer des dents. Et puis Eddie était le spécialiste. Il jouait depuis longtemps, c'était donc logique qu'elle lui fasse confiance.

Quand il eut terminé, il entraîna la jeune fille dans la chambre et l'invita à s'asseoir sur le lit. Chrissy s'exécuta, légèrement anxieuse. Elle voulait bien faire, et Eddie était vraiment doué. Elle noua ses jambes en tailleur, prête à recevoir l'instrument contre elle.

- Ça va ? lui demanda-t-il en croisant son regard.

Chrissy fuit son regard, plaçant ses doigts au hasard sur le manche.

- Et si... et si je suis nulle ? murmura-t-elle.
- Tu t'en sortiras. C'est dur pour tout le monde au début, mais ça viendra si tu veux vraiment apprendre et que tu t'entraînes régulièrement. C'est comme le cheerleading finalement. Si je m'y mettais aujourd'hui, je serai raide comme un bâton. Mais si je reviens le lendemain, et le jour d'après, à force ça ira mieux, et je finirais par faire des grands écarts en plein saut, comme toi.

Chrissy rit doucement. La peur s'était atténuée et elle avait hâte qu'Eddie lui montre. Une pensée s'installa dans sa tête et ne la quitta pas tandis qu'Eddie montait sur le lit pour s'asseoir derrière elle. Elle déglutit. L'odeur de tabac froid se rapprochait d'elle et elle eut envie de fermer les yeux. Dans ses oreilles, le froissement des draps occultait tout, même ses pensées. Du coin de l'œil, elle aperçut les genoux, puis les cuisses du métalleux entourer les siennes. Dans son dos elle sentit le torse d'Eddie se coller au sien. Sa respiration l'appuyait contre elle et son souffle faisait frissonner son cou. Chrissy dut se faire violence pour respirer.

Les mains d'Eddie passèrent autour d'elle et vinrent se poser sur les siennes. La main gauche plaça chacun de ses doigts et la main droite lui plaça le médiator rouge qu'il portait habituellement autour du cou. Le cœur de la jeune fille se mit à battre si fort qu'elle crut qu'Eddie pouvait l'entendre. L'odeur de parfum pour homme se mélangea au tabac et Chrissy prit une grande inspiration silencieuse, s'imprégnant au maximum de l'effluve. Plus elle la sentait, plus son ventre se contractait, diffusant une chaleur qui commençait à lui être familière. Quand elle était aux scouts, elle avait appris que c'était mal de ressentir ça. Pas avant le mariage en tout cas. Mais la jeune fille n'était pas à l'église, et elle ne se sentit pas mal pour une fois. Peut-être que ce n'était pas si mal, après tout. Toutes les sensations aussi exquises que celle-ci ne pouvaient être si mauvaises que la Bible le disait.

- Voilà, murmura-t-il. À gauche, un doigt par frette. C'est un peu difficile au début de garder l'écart sans se fatiguer, mais ça viendra.

Eddie prit sa main dans la sienne et la fit bouger le long du manche.

- Pour changer de position afin d'atteindre les frettes qui sont trop loin, tu évites de bouger l'écart de tes doigts, comme ça....

Mais Chrissy ne parvenait pas à assimiler ce que lui disait Eddie. La voix du jeune homme résonnait en elle mais les mots n'avaient plus de sens. Il n'y avait que lui, ses longs cheveux bouclés qui lui caressaient la joue, sa pomme d'Adam qui bougeait près d'elle alors que sa voix rauque entrait dans son oreille et propageaient de grandes vagues de chaleur en elle. Tout ce que la cheerleader voulait, c'était qu'il la touche encore, que ses doigts pleins de bagues la caressent, jouent avec ses doigts à elle, la serrent...

Sans s'en rendre compte, Eddie avait cessé de parler. Il avait baissé le regard vers Chrissy, croisant ses yeux absents qui semblaient fixer sa bouche. Ses lèvres étaient closes, à peine pressées l'une contre l'autre. Instinctivement, sa main gauche lâcha les doigts de son amie et glissèrent sur sa taille pour se presser ensuite sur son ventre. Son visage était si près du sien qu'il pouvait sentir son souffle s'écraser contre son cou. Dieu qu'il aimait être contre elle comme ça. S'Il existait vraiment, Il lui envoyait l'épreuve de résistance à la tentation la plus forte qu'il ait connu : rester coller contre Sa Majesté Chrissy Cunningham et ne pas remonter sa main contre sa poitrine. Ne pas presser ses petits seins dans ses mains, ne pas agresser son cou de baisers.

Mais Chrissy continuait de fixer sa bouche, et Eddie commença à se demander si elle n'était pas tentée, elle aussi. Que se passerait-il de toute façon ? Il se pencherait, poserait sa bouche sur la sienne. Au mieux ? Elle répondait à son baiser et leur relation passerait un cap. Au pire ? Elle le giflerait et il aurait tout ruiné. Retour à la case départ. Se faire pardonner et réapprendre à se connaître.

Une longue seconde passa durant laquelle Eddie mima Chrissy en fixant ses lèvres. Il déglutit. Il voulait se pencher vers elle. Bon sang, qu'il mourrait d'envie de se pencher vers elle. Son corps entier réclamait qu'il comble le vide et qu'il s'approche d'elle pour poser sa bouche sur la sienne, pour partager son souffle ne serait-ce qu'un dixième de seconde. Le temps d'un battement de cil. Le jeune homme était prêt à vendre son âme au diable pour avoir le droit de goûter à ce fruit défendu qu'étaient les lèvres de Chrissy Cunningham.

Le souffle de la cheerleader s'écrasa une fois de plus sur son cou, puis sur son menton, puis sur sa bouche. Chrissy avait levé la tête juste assez pour pouvoir croiser son regard, avant de baisser à nouveau les yeux sur sa bouche. Comme si elle réclamait ce baiser, elle aussi. Comme si elle demandait la permission. Alors Eddie retint sa respiration et s'avança lentement, millimètre par millimètre. Il ferma les yeux. Si Chrissy devait se reculer et l'observer avec dégoût, il préférait ne pas en être témoin. Mais, contre toute attente, il sentit la pointe de son nez toucher le sien. Il n'avait qu'à se pencher un peu plus, et il l'embrasserait pour de bon. L'attente était insoutenable, et pourtant exquise. Ses doigts se crispaient d'impatience sur le ventre de la jeune fille. Résiste, pensa-t-il. Ne sois pas le bourrin que tu as l'habitude d'être.

- Je pars, commença Wayne avant de se stopper.

Chrissy sursauta et baissa les yeux sur la guitare, posée sur ses genoux, comme si elle venait de se faire prendre en flagrant délit. Eddie lâcha son ventre, et la chaleur disparut. Le métalleux leva la tête vers son oncle qui le fixait depuis l'encadrement de la porte, les yeux ronds.

- Je pars travailler les jeunes, reprit-il plus doucement.
- Amuse-toi bien, lâcha Eddie machinalement.

Son oncle disparut une seconde plus tard, et Eddie risqua un regard vers son amie. La cheerleader ne quittait pas l'instrument des yeux, comme s'il n'y avait plus que lui au monde.

Chrissy avait envie de se taper la tête contre un mur. Ses pensées étaient désordonnées, arrivant toutes en même temps, comme si un millier de personnes parlaient en même temps. Ses oreilles bourdonnaient et elle eut envie de hurler. Qu'est-ce que c'était que ça ? Que venait-il de se passer ? Allait-elle vraiment embrasser Eddie Munson ? Non pas qu'elle aurait regretté si c'était arrivé. Alors quoi ? Pourquoi avait-elle ce sentiment de soulagement que cette tentative ait été avortée ?

La jeune fille lâcha un soupir avant de se lever pour remettre la guitare à sa place. D'un coup, la chaleur qui l'avait enveloppé s'évapora. L'odeur de tabac et de parfum si singulière se dissipa, et Chrissy se sentit à nouveau petite, et maigre.

- Il est déjà si tard, dit-elle avant de lâcher un rire gêné. Tu veux qu'on se fasse à manger, ou...

La fin de la phrase resta en suspens. La cheerleader jeta un œil vers Eddie, qui semblait totalement ailleurs, fixant un point invisible quelque part sur le mur de la chambre. D'un coup, comme s'il avait été frappé derrière la tête, il sursauta, et reporta son attention sur elle.

- Ou ? Répéta-t-il.
- Ça te dit qu'on commande une pizza ? Miaula-t-elle.

Le métalleux resta bouche bée. Chrissy songea un instant qu'il avait été frappé par la foudre. Ou bien qu'il était un robot et qu'il avait besoin d'être branché sur une prise pour se recharger. Mais la bouche se referma, et il lui offrit un sourire.

- Carrément. Va pour la pizza.

Eddie étira ses jambes et se glissa vers le bord du lit pour se mettre debout. Chrissy à sa suite, il attrapa le téléphone sur le comptoir de la cuisine, et composa le numéro de la pizzéria dont le flyer était collé au frigo. Il commanda une pepperoni, histoire de faire simple, et ils s'installèrent ensuite sur le canapé.

Un silence lourd s'installa entre eux, et aucun d'eux n'osa le briser. Chrissy ne regrettait rien, mais elle avait peur qu'Eddie ne s'en veuille, après coup. Elle le savait précautionneux envers elle, comme s'il avait peur de la briser, et elle-même ne savait pas trop ce qu'elle voulait, en réalité. Était-elle prête ? Après ce que Jason lui avait fait vivre, avait-elle envie de risquer à nouveau d'aimer et d'être un peu plus brisée ? Probablement pas, non. Mieux valait se contenter de manger de la pizza sans réfléchir.

Pour l'amour, on en reparlerait plus tard.

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