Chapitre 21
Lorsque Chrissy se leva le lendemain, Eddie était parti depuis longtemps. Elle prit son petit déjeuner dans un silence royal, de temps en temps perturbé par les ronflements sourds de Wayne, rentré se coucher quelques heures auparavant. La jeune fille ne se fit que deux toasts avec un peu de confiture, mais les savoura. Deux repas par jours, au moins. Et manger la moitié à chaque fois. Rien ne l'obligeait à manger un petit-déjeuner, mais lorsqu'elle était sortie du lit, son estomac grondait. Elle avait donc décidé de savourer deux tartines. Après tout, qui pourrait la gronder ?
Pendant qu'elle mangeait, Chrissy se demanda si sa mère la cherchait. Est-ce que son père lui avait dit qu'elle était partie dans la nuit ? Est-ce que Jason avait déjà sonné chez elle pour demander de ses nouvelles ? Autant de questions sans réponses. Peut-être qu'elle devrait aller faire un tour en ville pour que les gens la voient et que personne ne pense qu'elle était morte. Non, c'était trop tôt. Mais peut-être qu'elle pourrait appeler chez elle et tenter de tomber sur son père, pour lui dire qu'elle allait bien. À cette heure-ci, sa mère était peut-être partie prier à l'église.
D'un pas feutré, elle s'approcha du combiné de téléphone posé sur une table d'appoint, près d'un fauteuil. Elle porta l'appareil à son oreille et attendit. Un doigt tremblant s'approcha des touches et resta suspendu en l'air. Sa gorge se noua. Était-ce vraiment une bonne idée ? Oui, mais pas tout de suite. Chrissy raccrocha le combiné sur son socle, et partit dans la chambre chercher des affaires pour se laver.
Quelques minutes plus tard, Chrissy sortait du mobile-home pour prendre un peu l'air. Elle s'était certes enfuie, mais n'était pas assignée à résidence chez Eddie. Elle avait le droit de traverser l'allée et de s'avancer vers le chien qui aboyait dans son enclos. Le pauvre petit avait l'air seul et en manque de compagnie. La jeune fille s'avança jusqu'à la grille et s'accroupit pour faire face au chien.
- Salut toi, lui dit-elle en tendant les doigts à travers la grille.
Immédiatement, l'animal les lécha en remuant la queue.
- Moi c'est Chrissy, enchantée.
Le chien jappa et fit un tour sur lui-même. La jeune fille mourait d'envie de rentrer dans l'enclos pour le serrer dans ses bras, pour jouer avec lui et pour lui donner un peu d'affection. Bien sûr, il devait appartenir à quelqu'un, mais son propriétaire avait l'air de le laisser un peu tout seul. Au moins il ne semblait pas mal nourri, c'était l'essentiel.
- Chrissy ! Brailla Wayne depuis le perron de son mobile-home.
La jeune fille détourna son regard du chien et regarda en direction de son hôte. Il lui fit signe de la main de le rejoindre.
- C'est l'heure de manger, à table !
Lorsqu'elle l'entendit, son estomac se mit à gronder. Chrissy ne s'en était pas rendue compte, mais elle avait passé la matinée assise à côté du chien, vidant son esprit de tous les tracas qu'elle avait pu avoir en se levant. Elle se leva, épousseta son derrière pour retirer les brins d'herbe, et se dirigea vers la petite habitation.
La jeune fille s'assit à côté de Wayne sur une des chaises de bar du mobile-home. L'homme poussa une assiette vers elle qui contenait des nuggets, des pâtes au beurre et des petits pois.
- Un bon repas bien équilibré, dit-il. Je suis pas un grand cuistot, mais j'essaye de faire des efforts pour bien manger.
Chrissy baissa les yeux sur son assiette. Même si elle était moins remplie que celle de son voisin, elle eut l'impression qu'il y avait trop de nourriture.
- J'ai eu une note accrochée sur ma porte ce matin, lâcha Wayne en la regardant à la dérobée. J'ai pas tout compris, mais ça disait : "Trois quarts de portion de ce que tu manges d'habitude, et elle doit en avaler au moins la moitié."
La cheerleader eut un rire fade. Eddie avait été jusque-là. Elle était heureuse de partager ça avec lui, de s'être sentie écoutée, comprise. Mais là, elle avait l'impression d'être une petite fille qu'on menaçait de punir si elle ne faisait pas ce qu'on lui disait. Au moins Wayne ne posait pas de question, et il avait appliqué les instructions de la note. Son assiette n'était pas remplie à ras bord. Chrissy se saisit de sa fourchette en grimaçant, et commença à triturer sa nourriture.
Wayne engloutit son repas en dix minutes chronos avant de partir sur le perron pour fumer une cigarette. Chrissy resta devant son assiette, mastiquant lentement. La nausée la prenait de temps en temps, mais plus le temps passa, plus la quantité de nourriture restante s'amoindrit. Finalement, au bout d'une demi-heure, elle avait réussi. Il ne lui restait que la moitié de son assiette, et elle n'avait pas envie d'aller tout rendre aux toilettes.
Chrissy débarrassa son assiette, la couvrant de film plastique avant de la mettre au frigo. Wayne avait laissé sa vaisselle sur le plan de travail, alors elle prit le tout et s'affaira à la laver. Déjà qu'elle avait l'impression d'envahir l'espace des Munson, autant se rendre utile. Quand elle eut terminé, la jeune fille retourna dans la chambre d'Eddie. Pendant la matinée, alors qu'elle caressait le chien, elle avait repensé à la guitare de son ami, suspendue contre le miroir, exposée comme un trophée. Il avait raison, ceci dit, car l'instrument était magnifique. Et Chrissy avait toujours rêvé d'apprendre à jouer d'un instrument.
Seulement voilà, apprendre à jouer de la guitare ne se faisait pas en claquant des doigts. Eddie avait dû commencer quelque part, et Chrissy le savait trop peu stupide pour jeter tout le matériel qui lui avait servi à apprendre. La jeune fille se pinça les lèvres, se demandant s'il était judicieux de fouiller toute la chambre à la recherche de la précieuse aide. Elle commença par les placards sous le miroir, fouillant parmi les éditions anciennes de Donjons et Dragons, le Seigneur des Anneaux, le Hobbit, une boîte qui, à l'odeur lorsqu'elle l'ouvrit, contenait tout le stock d'herbe de son ami. Chrissy continua jusqu'à tomber sur un morceau d'étagère rempli de papiers volants et d'un livre expliquant comment interpréter des tablatures. Elle sorti le tout en souriant et s'installa sur le lit après avoir descendu la guitare de son piédestal.
La jeune fille resta là, les doigts posés sur les cordes sans les faire vibrer. Tout était prêt pour qu'elle commence à apprendre à jouer ses premières gammes, et pourtant, elle avait cette sensation de vide. Il manquait quelque chose. Tout autour d'elle l'intéressait. La guitare, les livres qu'elle avait trouvés dans les étagères (ça lui changerait des romans d'amour que sa mère lui achetait sans arrêt en lui rabâchant que c'était la seule lecture convenable pour une fille), les livres de règles de Donjons et Dragons, tout. Tout lui donnait envie d'apprendre, de découvrir, mais rien n'aurait de saveur si Eddie n'était pas avec elle. En fait, Eddie lui manquait.
Chrissy soupira et regarda le réveil sur la petite table d'appoint à côté du lit. Il était 15 h. Eddie n'allait pas tarder à revenir. La jeune fille n'était pas au courant d'une séance de jeu de rôle. Elle reposa la guitare sur le lit avec précaution et regagna le petit salon pour trouver Wayne assis dans son fauteuil confort, clope au bec, en train de regarder la télé.
- Un souci, Chrissy ? Demanda-t-il.
- Non, je... est-ce que je peux utiliser le téléphone s'il vous plait ?
Wayne haussa un sourcil grisonnant, la zieutant du coin de l'œil.
- À une condition, grommela-t-il. Arrête de me vouvoyer. Tu es ici chez toi, alors plus de permission, plus de vouvoiement.
- D'accord...
Chrissy s'avança vers le combiné et décrocha. Une fois de plus, elle se retrouva avec la main suspendue, hésitant à appuyer sur les touches pour composer le numéro. Que pourrait-il arriver, dans le pire des cas ? Sa mère décrochait, et elle raccrocherait. Peut-être que la police était chez elle et chercherait à tracer l'appel. La jeune fille connaissait très peu cette technologie, mais elle supposa qu'un appel de quelques secondes à peine ne suffirait pas à la retrouver. Elle soupira, et ses doigts composèrent le numéro.
La tonalité fit battre son cœur un peu plus lentement à chaque fois. Chaque bip qui se faisait entendre la faisait hésiter. Voulait-elle vraiment que ça décroche ? Voulait-elle vraiment entendre la voix de ses parents ? Ou allait-elle le regretter une fois qu'elle aurait raccroché ?
- Allô ?
La voix était masculine. Familière.
- Allô ?
Chrissy eut les larmes aux yeux. D'un coup, elle avait envie d'être en face de son père, de pouvoir le serrer dans ses bras.
- ... Chrissy ?
- Salut papa, dit-elle enfin de sa voix étranglée, retenant le chagrin d'éclater.
- Bonjour, tu vas bien ?
- Oui, ça va.
Un silence se fit. Qu'avait-elle à dire ? Oui, elle allait bien. Enfin, elle allait mieux.
- Tu es heureuse là où tu es ? Demanda son père.
- Oui, sourit la jeune fille. J'apprends à manger bien, je me repose...
- J'imagine que tu ne vas pas au lycée.
- Non... je ne veux pas voir Jason.
- Le fils Carver ?
Chrissy allait ouvrir la bouche pour parler, mais un doute la prit.
- Papa, est-ce que la police écoute ?
- Non, répondit-il franchement. Il n'y a personne d'autre que moi à la maison. Ta mère est sortie placarder des affiches dans toute la ville pour te retrouver, elle est allée voir la police. Je n'ai pas osé lui dire que je sais que tu es en vie et que tu vas bien.
- D'accord...
- Tu allais me parler de Jason Carver. Tu as envie de dire quelque chose à son sujet ?
Chrissy déglutit, et essuya les premières larmes qui parvinrent à couler.
- Il m'a fait du mal papa... il a voulu me faire du mal, et je me suis défendue... et il ne me lâche pas. Tous les jours au lycée il tente de me voir, de me faire croire qu'Eddie est un sale type, mais c'est lui qui m'a agressé... c'est lui qui a arraché le beau t-shirt Gap que tu m'as offert pour mon anniversaire... Et c'est Eddie qui a recollé les morceaux derrière, qui essaye de me faire aller mieux... il m'a cru lui, et Jason tente de le faire passer pour un connard...
Un silence se fit au bout du fil, et Chrissy sanglota.
- Papa dis quelque chose...
- Je sais pas pourquoi ta mère aime autant Jason, lâcha Philip Cunningham. J'ai jamais pu sentir ce gosse. Sa façon de se croire un leader chaque fois qu'il prend la parole, de monopoliser la conversation et de couper les gens quand ils parlent. Il a un sale caractère de gosse pourri gâté.
- Tu me crois ?
- Bien sûr que je te crois, souffla-t-il.
À ces mots, la jeune fille éclata en sanglots, reniflant et souriant en même temps. Bien sûr qu'Eddie la croyait aussi, mais d'avoir ces mots sortant de la bouche de son père, d'un membre de sa propre famille, l'avait rendu heureuse.
- Je dois te laisser, dit Philip précipitamment. J'entends une voiture dans l'allée. Je t'aime ma fille. Prends soin de toi, et reste bien cachée où tu es. Tu me rappelleras un autre jour si tu veux, d'accord ?
- D'accord papa. Je t'aime aussi, souffla-t-elle.
Mais Philip avait raccroché, la laissant seule dans le salon des Munson, le regard de Wayne planté dans son dos. Les yeux papillonnant pour chasser les larmes, Chrissy se tourna vers lui, un sourire gêné. L'oncle d'Eddie s'était penché pour s'appuyer sur ses genoux, cigarette fumante entre les doigts.
- À quoi il ressemble, ce Jason ? Grogna-t-il.
- Grand, la taille d'Eddie à peu près, blond, toujours bien coiffé, une gueule d'ange. Il est toujours habillé avec sa veste du club de basket, il y a son nom dessus.
- D'accord, souffla-t-il avant de tirer sur sa clope.
- Pourquoi vo-tu me demandes ça ?
- Pour savoir. S'il tente de s'approcher de toi je le foutrai dehors à grands coups de pompes dans le cul.
La jeune fille eut un sourire, et essuya une goutte qui roulait sur sa joue.
- Merci Wayne.
La lycéenne, ne sachant comment continuer cette conversation, prit congé et repartit dans la chambre. Elle se rassit sur le lit, empoigna la guitare pour passer la sangle par-dessus sa tête, et ouvrit le manuel d'apprentissage, ne prêtant aucune attention au moteur qui s'éteignait devant la petite maison.
-----------------------
Coucou tout le monde !
Et oui, voilà le dernier chapitre de l'année :)
J'espère que jusque là l'histoire vous plait, et qu'elle continuera de le faire, car elle va prendre un tournant particulier dans quelques chapitres....
En tout cas, merci pour ces mois passés à vos côtés, vous voir commenter mes chapitres, voter, voir de nouvelles têtes à chaque nouveau chapitre m'a fait tellement plaisir.
Il me reste donc à vous souhaiter un bon réveillon... et à l'année prochaine ! (Me tuez pas pour cette blague ahah)
Des bisous 🧡
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top