Chapitre 20

La soirée se passa dans un calme qui ne leur ressemblait pas. Eddie, d'ordinaire blagueur, s'était terré dans un silence inhabituel. Chrissy avait trouvé une boîte de haricots verts dans un placard et l'avais cuisiné avec des blancs de poulet. Ils avaient mangé en silence dans le canapé après avoir rapproché la télé. Ils avaient zappé pendant quelques minutes avant de tomber sur Family Feud.

Le métalleux regarda les familles s'affronter avec un œil blasé. Les émissions américaines étaient toujours dans la démesure. Les gens hurlaient, riaient trop fort, les femmes agitaient leurs bijoux en toc dans tous les sens pour se faire voir, les hommes se toisaient. Chrissy semblait ne pas vraiment regarder l'émission et se concentrait sur son repas. Eddie avait remarqué qu'elle s'était servie la même portion que lui, à savoir une portion normale, mais elle n'avait pas l'air de vouloir y toucher.

- Tu ne manges pas ? Finit-il par demander.

- Je... si si, je vais manger, bafouilla-t-elle.

Le silence se fit à nouveau entre eux. Le jeune homme observait son amie du coin de l'œil. Il la vit piquer deux haricots du bout de sa fourchette, et en croquer la moitié, réticente. Quelque chose n'allait pas. Eddie soupira, lâcha ses couverts dans son assiette qu'il repoussa sur la table basse, et pivota pour lui faire face.

- Tu veux me dire ce qui ne va pas ?

Le ton était encourageant, amical, mais ferme. Chrissy ne pouvait pas tenter de lui mentir. De toute façon, elle ne le voulait pas. Eddie était la seule personne sur Terre qui semblait réellement se préoccuper d'elle et le perdre était la dernière chose qu'elle souhaitait. Mais son estomac tout comme sa gorge était noué et elle ne parvenait pas à trouver les mots. La menace de sa mère ne planait plus sur sa tête, mais ça n'avait pas résolu le problème, loin de là.

- Je... Si je mange je vais devenir grosse ?

Eddie ne sut comment répondre à cette question. Pourtant, c'était simple de dire non, mais il voulait lui dire quelque chose de marquant, qu'elle pourrait garder à l'esprit chaque fois qu'elle serait prise de doutes. Chrissy n'osait pas lever les yeux vers lui. Elle avait fait comme lui et posé son assiette sur la table basse. La vision de la nourriture qui l'attendait lui avait donné la nausée, mais elle ne voulait pas le regarder à la place.

- T'as vomi aujourd'hui ? Demanda-t-il de but en blanc.

Chrissy se tritura les doigts, concentrée dessus. Elle savait qu'Eddie ne la jugeait pas avec cette question, mais elle le faisait pour deux. Il ne fallait pas qu'il croise son regard, qu'il voit sa faiblesse, qu'il constate que s'être enfuie de chez elle n'avait pas résolu le problème et qu'elle le dérangeait pour rien. Une main pleine de bagues en métal entra dans son champ de vision et se posa sur les siennes.

- Chrissy, peu importe la réponse, je veux juste savoir.

Le timbre grave de sa voix sortie en un murmure la fit frissonner. Elle voulait revenir dans ses bras et se lover contre lui.

- Non, je n'ai pas vomi, lâcha-t-elle à voix basse. J'avais peur que Wayne me juge.

- Il ne le fera pas. Il t'aurait probablement assommé de question pour savoir si tu as la gastro ou si tu es enceinte.

- Mais et si manger ça me fait grossir ?

- Chrissy, soupira Eddie. Regarde-moi.

Mais la jeune fille ne put que baisser la tête pour se cacher un peu plus derrière sa frange. Plus elle parlait et plus elle se rendait compte de l'absurdité de ses propos. Pourtant, elle les pensait vraiment. Ils étaient l'image de la vermine qui lui pourrissaient le cerveau. La main d'Eddie remonta et passa à travers ses cheveux pour empoigner doucement son menton, l'obligeant à lever les yeux vers lui.

- Manger sainement ne fait pas grossir. Tout ce que ça t'apportera, c'est du muscle. Celui dont tu manques à force de t'affamer. Et des formes aussi. Parce que oui, avoir un peu de graisse sur soi c'est normal. Ça tient chaud l'hiver et ça te permet d'éviter de mourir de faim. Et tu n'es pas idiote Chrissy, je le sais. Tu es raisonnable, et tu n'iras jamais manger du gras matin, midi et soir. Tu ne vas pas devenir grosse, tu vas seulement redevenir en bonne santé.

Une larme roula sur la joue de la jeune fille, et Eddie l'essuya du pouce.

- Je ne vais pas te lâcher Chrissy, tu sais ça ? Ça sera long pour y arriver, mais si tu veux bien de moi, je serai là pour t'aider. Et si ça ne va pas, je ne vais pas t'en vouloir et te juger. D'accord ?

- Comment tu voudrais faire ? Gémit-elle. Je ne sais même pas par où commencer pour aller mieux.

- Déjà, Wayne et moi on n'est pas adeptes de la pesée, donc on n'a pas de balance ici. Et ensuite, on peut faire une liste d'objectifs, et adapter au fil du temps.

- Des objectifs ?

- Oui. Du genre... Du genre avoir deux repas par jours. Tu te sers une portion normale à chaque fois, et tu réussis l'objectif si tu termines la moitié de ton assiette à chaque fois. Et tu vois comment tu te sens.

Chrissy sembla réfléchir. Ce que lui proposait Eddie lui semblait insurmontable, mais tentant. Si elle se laissait porter par les choses, elle n'y arriverait jamais. Elle avait au moins cette chance ici : le jour Wayne était là, la nuit c'était Eddie. Elle serait sous constante surveillance et ne voulait pas faire l'affront à ses hôtes d'aller pourrir leurs toilettes en se faisant vomir dedans.

- Oui, on peut essayer ça...

- Parfait ! S'exclama Eddie.

Enthousiaste, il saisit son visage à deux mains et plaqua sa bouche sur le front de la jeune fille, lui déposant un bisou. Il se retourna ensuite vers la télé et récupéra son assiette pour manger. Chrissy fit de même, observa la nourriture pendant un temps. Elle savait qu'Eddie la regardait en coin. De sa fourchette, elle coupa la moitié du poulet et sépara ses haricots en deux. D'un coup, la quantité qu'elle devait manger lui paraissait surmontable. La nausée s'amoindrit et elle enfourna un morceau de poulet.

Quelques heures plus tard, Chrissy était toujours dans le canapé, écoutant Family Feud d'une oreille peu concentrée. Eddie était dans la kitchenette en train de laver la vaisselle tout en chantonnant. Tout était paisible, calme. L'horloge murale sortit son coucou pour annoncer le passage à l'heure suivante, mais la jeune fille eut soudain l'impression que l'heure sonnait au ralenti. Le son de la télé s'étouffa et d'un coup, elle eut l'impression que les regards des personnes à l'écran s'étaient tournés vers elle.

- Chrissy, t'abuses quand même, fit la voix d'Eddie devant l'évier.

Le ton était bizarre, et la lycéenne frissonna. Sa voix était rocailleuse, d'outre-tombe. De dos, ses cheveux semblaient plats et ternes.

- De quoi tu parles ? Se risqua-t-elle.

- T'as mangé la moitié de ton assiette.

- C'était pas ce que tu voulais ?

Chrissy fit un pas vers lui, puis deux. Quelque chose dans cette maison n'allait pas. La télé n'émettait plus un son et elle sentait encore les yeux accusateurs des gens dans la télé.

- Eddie ?

D'un coup, il fit volte-face, l'éclaboussant avec de l'eau pleine de savon. Son visage n'était pas le sien, mais celui de sa mère, avec ses yeux perçants et ses lunettes à écailles.

- Regarde Chrissy, brailla-t-elle en lui montrant une assiette vide. REGARDE ! C'est tout ce que tu aurais dû manger ce soir, parce que tu es grosse Chrissy ! Grosse ! Grosse !

Le mot se répéta comme une litanie. La jeune fille recula jusqu'à tomber dans le canapé, et son regard fut attiré par l'écran cathodique. Le présentateur avait les yeux vides, tout comme les invités, et ils répétaient ce mot comme un chant.

Chrissy tenta de se boucher les oreilles pour se couper du bruit, mais rien n'y faisait, le chant résonnait dans sa tête. Alors elle hurla de toutes ses forces.

- CHRISSY ! Beugla Eddie.

La lycéenne ouvrit les yeux en criant. La respiration lourde, elle prit le temps de s'accoutumer à l'obscurité de la pièce. Eddie était assis sur le lit et avait saisi ses épaules pour la secouer. Il avait l'air inquiet. Elle leva un bras tremblant et se frotta le visage. Des perles de sueur lui mouillaient le front.

- Tu as fait un cauchemar, lui dit-il doucement. Tout va bien maintenant...

- Je suis désolée Eddie... Je t'ai réveillé ?

- Oh je pense que tu as réveillé toute l'aire, tu hurlais tellement fort.

Le métalleux souriait, tentant une petite moquerie pour détendre l'atmosphère.

- Tu veux un verre d'eau ou quelque chose comme ça ? Demanda-t-il.

Chrissy secoua la tête.

- Je vais te laisser dormir alors, murmura-t-il avant de se lever.

Il eut le temps de faire un pas lorsque la main de Chrissy attrapa son poignet. Il se retourna vers elle, interrogateur.

- Reste avec moi, s'il te plait...

Le cœur du jeune homme rata un battement. Dieu qu'il aimait lorsqu'elle le touchait, même si c'était juste pour l'empêcher de partir. Surtout quand il s'agissait de le retenir. Chrissy le tira légèrement pour l'encourager à venir près d'elle.

- A-Attends Chrissy... Je vais quand même pas dormir avec toi...

- Pourquoi pas ? Je suis rassurée quand tu es là.

Eddie prit une grande inspiration et gratta ses cheveux. La main de la jeune fille glissa et le relâcha. Elle ne dit rien, mais son regard insistant l'implorait. Le métalleux lui offrit un sourire et contourna le lit pour prendre la place vacante. Il se glissa sous la couette, appréciant le moelleux de son matelas et la chaleur qui restait sous la couette.

Chrissy sentit son cœur battre la chamade quand elle l'entendit se glisser sous la couette, derrière elle. Elle n'avait jamais fait ça auparavant, et sa mère lui avait répété que la première fois qu'un homme et une femme se couchaient dans le même lit, c'était pour consommer leur mariage. Mais ils n'étaient pas mariés, et Chrissy n'avait pas envie de faire l'amour. D'ailleurs, elle n'avait aucune idée de comment tout ça se passait. Elle savait juste une chose : Eddie la respectait et ne lui ferait jamais de mal. Même couché dans le même lit qu'elle. La jeune fille pivota pour lui faire face. En face d'elle, son ami semblait confus. Il était tout près mais si loin en même temps. Comme s'il avait reculé volontairement son oreiller pour ne pas l'approcher.

- Je n'ai pas la peste, dit-elle en riant.

Le métalleux se pinça les lèvres.

- Je ne voudrais pas envahir votre espace et avoir un geste déplacé sans le vouloir, Votre Altesse.

- Tu te rappelles ce que tu m'as dit la dernière fois que j'ai douté ?

Chrissy se mit sur un coude et se servit de son autre main pour approcher son oreiller du sien, avant de se recoucher.

- Tu m'avais dit que si tu avais voulu me faire du mal, me toucher de façon déplacée, voire pire.... Tu aurais saisi ta chance il y a longtemps. J'ai regretté d'avoir douté cette fois-là, parce que tu me témoignes ton respect chaque jour. Et j'ai confiance en toi.

La jeune fille leva les yeux vers Eddie, qui la fixait. Dans le noir de la pièce, elle parvenait à distinguer les deux orbes foncés de son ami. Les images morbides de son cauchemar disparaissaient peu à peu à mesure qu'il la regardait. Chrissy se vit envahir petit à petit d'une chaleur qui lui avait manqué, mais qu'elle ne savait comprendre. Elle voulait qu'il la regarde encore. Et qu'elle se rapproche. Qu'elle puisse enfouir son visage dans son t-shirt et humer le parfum de tabac froid et d'eau de Cologne. Sans rien dire, elle empoigna le tissu de son haut et l'attira vers elle. Les boucles d'Eddie lui caressèrent le visage, lui arrachant un sourire, et elle se lova contre lui, collant son oreille à son cœur.

Eddie devint fou. Il était collé à elle. Il pouvait sentir sa respiration humidifier son t-shirt, et ça n'arrangeait pas les battements anarchiques de son cœur. Pitié, qu'elle ne fasse pas de remarque, qu'elle ne pose aucune question. Les petits doigts de Chrissy glissèrent dans son dos et se posèrent là, l'enlaçant. Le métalleux ne sut que faire. La jeune fille lâcha un long soupir de satisfaction, détendue. Le cerveau d'Eddie essayait de gérer mille informations à la fois : la main dans le dos qui le caressait tout doucement, l'oreille collée contre son cœur, le corps frêle de Chrissy collé au sien, son souffle... Elle était là, contre lui. La petite collégienne qu'il avait gardée en tête pendant tout ce temps et regardé à la dérobée chaque fois qu'il en avait l'occasion était couchée dans le même lit que lui. Eddie sourit et l'entoura à son tour de son bras, montant ses doigts dans ses cheveux, lui massant le cuir chevelu.

Mais le sommeil ne vint pas. Il était trop près d'elle, et ne souhaitait qu'une seule chose : l'embrasser. Lui dire à quel point il tenait à elle, à quel point il la voulait près de lui, pour toujours, à quel point il voulait qu'elle s'aime et qu'elle s'affirme, qu'elle devienne la petite fille souriante et insouciante qui l'avait encouragé pendant le concours de talent. Cette Chrissy qui se fichait de l'avis et du regard des autres n'était pas morte. Elle sommeillait telle la Belle au Bois Dormant et n'attendait que d'être réveillée.

- Je t'aime, lâcha-t-il dans un murmure.

Eddie écarquilla les yeux, regardant droit devant lui. Il n'avait pas réfléchi et avait lâché ça de but en blanc. Elle te faisait confiance, bordel, pensa-t-il. Le jeune homme n'osa baisser les yeux pour constater les dégâts. Pourtant, quelques secondes passèrent et Chrissy ne bougea pas, alors il baissa les yeux vers elle. Il faisait sombre, mais il put la distinguer clairement après quelques secondes.

La jeune fille dormait paisiblement, la tête collée à son torse, sa main agrippant son dos. 


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Coucou à tous et toutes :)

En cette fin d'année, j'espère que vous avez passé de bonnes fêtes, qu'elles soient seules, entre amis, en famille, avec vos animaux de compagnie... perso chez moi ça n'a pas été de tout repos et c'est pour ça que je n'ai pas pu vous poster le chapitre samedi, oups... 

En tout cas j'espère qu'il vous a plu, comme d'habitude n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez, voter, partager ça à des personnes qui seraient intéressées... 

Et moi je vous fais des bisous et je vous retrouve samedi :)

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