Chapitre 16
Eddie pestait en regardant son paquet de cigarettes s'amoindrir. Il était presque minuit, et Chrissy n'avait toujours pas appelé. La raison la plus probable était qu'elle s'était simplement endormie, car avec tout ce qu'elle vivait, il comprenait qu'elle soit épuisée. Mais Jason rôdait encore et n'avait toujours pas lâché l'affaire avec elle. Sa mère semblait être un tyran, donc le métalleux considérait qu'il était logique de s'inquiéter. 23 h 30, et le téléphone n'avait toujours pas sonné.
- Bordel, grommela-t-il en tirant sur sa cigarette, tournant autour du combiné posé sur le plan de travail comme si c'était une idole à vénérer.
Le jeune homme avait beau se répéter que Chrissy allait bien, qu'elle s'était simplement couchée et l'avait oublié, rien n'y faisait. Il avait un mauvais pressentiment. Alors il continua de tourner autour du téléphone comme un satanique en plein rituel (Carver en deviendrait fou s'il le voyait), et attendit en marmonnant.
Le téléphone ne sonna jamais. En revanche, quelques minutes plus tard, Eddie sursauta lorsque des coups à la porte se firent entendre. Prudent, il ne répondit pas. Quelqu'un s'était peut-être trompé de mobile-home, après tout. Mais les coups reprirent de plus belle. Le jeune homme attrapa un couteau de cuisine dans un des tiroirs et s'approcha de la porte à pas feutrés. Derrière le panneau de bois, le silence. D'un coup, il abattit sa main sur la poignée et l'ouvrit d'un coup, tombant nez à nez avec le corps frêle de Chrissy qui tremblait de froid.
- Cunningham ?!
Sa cigarette lui en tomba presque de la bouche. Elle était là, devant lui. Pourquoi ne l'avait-elle pas appelé ?
- Je... Je peux entrer ? Demanda-t-elle en se frottant les bras.
Eddie haussa les sourcils, récupéra sa cigarette entre ses doigts et se décala pour le laisser passer.
- J'attendais ton appel, lui dit-il. Bordel Cunningham, pourquoi tu m'as pas appelé d'abord ?
- J'ai... Je...
Chrissy avait le regard fuyant. Le jeune homme savait qu'elle n'avait honte de rien. En fait, elle ne trouvait juste pas ses mots. La jeune fille frottait toujours ses bras, et d'un coup, Eddie réagit. La belle Chrissy se trouvait en chair et en os devant lui, grelottant de froid, et il manquait à tous ses devoirs. Il devait passer outre la surprise de la voir chez lui aussi tard, sans savoir pourquoi ni comment. Il lui fit un signe de la main, posa le couteau sur le plan de travail et partit dans un coin de la pièce pour tirer un petit radiateur électrique.
- Désolé, on ne peut pas vraiment avoir un chauffage de qualité ici, mais il marche bien, expliqua-t-il en branchant l'appareil. Ça va te réchauffer tu verras.
Chrissy s'approcha du radiateur et s'assit à côté, attendant qu'il chauffe. Eddie se retourna vers la porte, et remarqua le sac de sport vert et orange posé à côté.
- Ce... C'est ton sac ça ? Demanda-t-il en le pointant du doigt.
- Oui Eddie... Désolée, j'aurais peut-être dû t'appeler avant, mais j'ai pris la décision sur un coup de tête je crois et je n'ai pas vraiment réfléchi plus loin en fait. Je me suis dit que... Enfin que tu voudrais bien...
Le visage d'Eddie prit une expression que Chrissy ne sut déchiffrer. Les émotions de la soirée ne s'étaient pas encore totalement évaporée d'elle. Les larmes lui montèrent aux yeux. Quelle stupidité de sa part de ne pas l'avoir appelé avant. Pourquoi avait-elle pensé dur comme fer qu'Eddie serait ravi de l'accueillir chez elle ? Pourquoi l'avait-elle choisi lui alors qu'il avait déjà à peine la place de vivre confortablement avec son oncle ?
- Donc si je résume, tu me dis si je me trompe, mais... Ça ce sont tes affaires parce que tu t'es barrée de chez toi, et tu es là parce que tu aimerais que je t'héberge ?
- Oui, entre autres... Murmura-t-elle.
Le visage d'Eddie sembla se décomposer.
- Mais je vais dormir sur le canapé ! S'écria Chrissy. Ou si tu refuses de m'accueillir chez toi, ce que je peux comprendre, j'irais me trouver un motel ou un truc du genre...
- Non non non non non ! C'est pas ça du tout. Je...
Eddie sembla d'un coup s'animer. Il fit quelques pas désordonnés dans la pièce, ne sachant trop quoi faire, avant de s'approcher de Chrissy, de la prendre doucement par les épaules et de l'asseoir sur le canapé. Il se posa à côté d'elle et l'observa. La jeune fille semblait fatiguée, mais sereine.
- Explique-moi ce qui s'est passé s'il te plait, murmura-t-il. Tu peux rester ici autant que tu veux, j'aimerais seulement savoir ce qui t'est arrivé d'abord.
Pour la première fois de la soirée, Chrissy eut à nouveau les larmes aux yeux. Elle prit une grande inspiration et regarda Eddie. Ses cheveux bouclés étaient en pagaille, son expression inquiète. Des cernes commençaient à se former sous ses yeux et il sentait la cigarette. Même tard le soir, après avoir passé une journée dans ses vêtements, Eddie sentait le parfum pour homme et la cigarette. Et elle n'avait pas envie de parler. La jeune fille avait seulement envie de le regarder, et de se blottir contre lui. De respirer cette effluve masculine à la source, directement sur sa peau, et d'oublier. Sa main se leva, mécanique, et s'approcha du t-shirt d'Eddie, avant de se raviser à la dernière seconde. Puis, Chrissy parla.
Le métalleux écouta du début jusqu'à la fin, sans dire un mot, sans jamais faire un geste qui pourrait la couper dans son élan. Chrissy Cunningham, la jeune fille souriante mais anorexique, harcelée par sa mère, agressée sans arrêt par son petit-ami (heureusement ex, à présent), seule, avait encaissé tout ça depuis des années sans jamais se plaindre. Et lui l'avait accueilli dans l'incompréhension la plus totale, ayant même eu envie de lui passer un savon pour ne pas lui avoir téléphoné. Chrissy venait de prendre la plus dure décision de sa vie de quitter son foyer et de combattre toute la négativité qu'elle subissait. Elle avait décidé de se battre pour sa santé et sa survie, et Eddie avait manqué à tous ses devoirs.
En face de lui, Chrissy le regardait avec des yeux rouges mais soulagés. Il avait été tellement abasourdi par ce qu'il avait entendu qu'il n'avait pas remarqué qu'elle avait pleuré durant son récit. À présent, Eddie se levait pour aller chercher le sac de sport près de la porte d'entrée, et se dirigea vers sa chambre.
- Qu'est-ce que tu fais ? Appela Chrissy.
Eddie posa le sac sur le lit et tira sur la fermeture pour l'ouvrir, avant de farfouiller dans son placard. Il prêta à peine attention aux pas qu'il entendit derrière lui et commença à déplacer des piles de vêtements pour libérer une étagère.
- Eddie, appela la jeune fille, plus fermement. Qu'est-ce que tu fais ?
- De la place dans mon armoire, répondit-il simplement. Je te prête ma chambre.
- Hein ? Mais non c'est chez toi ! Je m'impose déjà, je peux prendre le canapé.
Le métalleux se retourna pour la toiser. D'un coup, aux yeux de Chrissy, il ne lui apparut plus comme le jeune homme insouciant qui riait et blaguait tout le temps, mais comme un homme puissant, imposant, séduisant. La lycéenne déglutit, serrant les côtés de son jean pour s'empêcher de s'approcher de lui pour le toucher. D'un coup, des bribes de son rêve lui revinrent en mémoire. Elle le revit la toucher, s'allonger sur elle. Eddie était en face de lui. Si elle s'approchait de lui, elle lui demanderait probablement de mettre ses songes à exécution.
- Tu prends mon lit, lui dit-il fermement.
- C'est un ordre, Munson ? Murmura-t-elle.
Eddie laissa un blanc, puis finit par sourire. Le mâle alpha s'évapora et le garçon blagueur refit son apparition.
- Ouais, vois ça comme ça.
Chrissy cligna des yeux et balaya la pièce du regard. Elle fuit l'image d'Eddie le temps que ses joues brûlantes ne cessent d'être aussi rouge. Mécaniquement, elle commença à faire le tour de la chambre, observant plus en détails les posters et stickers au mur, le miroir devant lequel était accrochée sa guitare. Les doigts de Chrissy se levèrent pour caresser les cordes des doigts. Elle jeta ensuite un œil aux stickers collés sur le miroir.
- Oh, Iron Maiden, chuchota la jeune fille en pointant leur logo du doigt, près de son reflet.
- Pardon ? Fit Eddie en se retournant pour l'observer, les yeux ronds.
- Je disais, reprit-elle en pointant le sticker du doigt, Iron Maiden. Cool.
- Tu connais Iron Maiden ?
Eddie avait l'air de quelqu'un qui rencontrait un extra-terrestre pour la première fois de sa vie. Chrissy lui sourit et se dirigea vers son sac. Le métalleux la regarda sortir ses vêtements, à présent plus en boule que bien pliés, puis un walkman, la cassette de Black Sabbath qu'il l'avait vu acheter il y a quelques semaines, puis d'autres cassettes. Il reconnut parmi elles Kill 'em All (Metallica, cool), l'album de Megadeth (trop cool), et surtout Piece of Mind, d'Iron Maiden. Un de ses albums favoris du moment.
- Alors là... Commença le jeune homme.
- Quoi ? Je n'ai pas une tête à aimer le métal ?
Chrissy le regardait, amusée. C'était une partie d'elle qu'elle avait caché au monde entier et dont elle était pourtant si fière. Si elle avait pu, la jeune fille aurait appris à jouer d'un instrument, guitare, basse, même batterie. Elle voulait juste pouvoir ressentir ces mélodies si puissantes jusque dans ses veines. Jusqu'au collège, elle avait toujours pensé que la musique ne serait jamais pour elle. Rien dans Madonna, les Beatles, Blondie ou même Michael Jackson ne lui plaisait vraiment. Chrissy avait l'intime conviction que tout ça n'était pas pour elle, et que si elle ne trouvait pas le style qui la ferait vibrer, alors elle n'écouterait jamais de musique. Et ça, c'était avant le concours de talent, avant de voir une bande de garçons habillés en noir, les cheveux en pagaille, s'avancer sur la petite scène, se présenter et jouer leurs chansons. Personne dans la salle ne les avait encouragé. Elle aurait même mis sa main à couper que la professeure qui avait organisé ce concours avait même écourté volontairement leur temps de passage sur scène. Du peu qu'elle avait entendu, Chrissy avait été transportée. Son sang avait bouillonné, son cœur battu en rythme avec la musique. C'était donc ça. Chrissy était faite pour le métal. Avant de partir, le petit chanteur avait scandé le nom de son groupe, tandis que la professeure tentait de les pousser dehors. Corroded Coffin.
- Non, fit enfin Eddie. C'est juste que... Je ne sais pas. Ouais, tu n'as pas une tête à aimer le métal, à vue d'œil. J'imagine que tu ne devais pas écouter ça librement chez toi.
- Hm hm, confirma-t-elle. D'où le walkman. J'écoute ça en douce avant de dormir le soir, après que ma mère ait vérifié qu'à 23 h max j'étais bien au lit.
- L'enfer.
- Pourquoi tu crois que je suis partie ? Demanda rhétoriquement la jeune fille, en souriant.
- Je suis désolé.
Eddie l'était vraiment. Pour lui, qui n'avait pourtant pas grandi dans une famille facile, c'était inconcevable qu'on ne puisse pas écouter librement la musique qu'on aime. C'était même pour ça qu'il avait été mis sur le banc de touche dès le début. Quand sa mère était encore là, elle l'encourageait à être lui-même en toute circonstance. Alors que Chrissy soit obligée de se cacher pour être elle-même, c'était bizarre et désolant.
- Tu veux qu'on mette de la musique ? Demanda Eddie, coupant le silence.
Chrissy sourit, et tendit la main vers son baladeur.
- Nan, coupa le jeune homme. Pas avec ton truc. Là.
Son doigt pointa le poste radio dans un coin de la pièce. Il ouvrit un tiroir de table de nuit sur laquelle le magnétophone était posé, et invita Chrissy à s'approcher.
- Y a du choix, mets ce que tu veux ! Je t'aide à ranger tes affaires dans l'étagère en attendant ?
- Oh tu sais, je peux m'en occuper, c'est déjà tellement gentil de m'avoir fait de la place...
- C'est pas gentil, rétorqua-t-il. C'est normal.
- Faut croire que beaucoup de mecs sont pas normaux alors, marmonna-t-elle en déplaçant quelques cassettes rangées dans le tiroir.
Eddie la regarda, une pile de t-shirts à elle dans la main. Elle ne le voyait pas, mais lui l'admirait. Cette jeune femme frêle avait tellement vécu déjà. Et elle était debout. Elle avait eu la force de se battre. Comment pouvait-on à ce point restreindre son enfant ? Eddie s'était déjà posé toutes ces questions, mais il n'avait toujours pas la réponse. Chrissy finit par trouver son bonheur et se redressa, glissant la cassette dans le lecteur avant d'appuyer sur lecture. Les premières notes de l'album Paranoid retentirent dans la pièce et elle se tourna vers lui, un grand sourire sur les lèvres.
- C'est mon album préféré de tous les temps, expliqua-t-elle. Même si j'avoue écouter en boucle Master of Puppets depuis que je l'ai acheté.
Ce sourire, bon sang. Eddie se sentit fondre. L'envie de se lever et de l'embrasser lui tordait le ventre. Il devait se reprendre. Être à ce point emballé à l'idée que Chrissy Cunningham soit métalleuse comme lui ne devait pas conduire à des actions inappropriées. Mais le béguin qu'il avait eu pour elle au collège était revenu à la charge et s'était bien installé en lui depuis qu'ils s'étaient parlé dans la forêt.
- Comment... Commença-t-il.
Chrissy se dirigea vers son sac, posé à côté du jeune homme.
- Comment quoi ?
- Comment tu as aimé le métal ? C'est certainement pas ta famille qui t'aurais fait découvrir la beauté de ce style alors je me pose la question.
Eddie détourna le regard quand il vit les mains de Chrissy sortir un tas de culottes du sac avant de se diriger vers l'armoire. Elle revint un instant plus tard pour y prendre les soutiens-gorges qui allaient avec. Le jeune homme se sentit rougir et se gifla mentalement.
- Le concours de talent, lâcha-t-elle finalement en revenant vers son sac pour la troisième fois.
- Pardon ? Demanda-t-il en la regardant.
- Oui, le concours de talent du collège. Y a un petit groupe de métalleux qui est monté sur scène. Le guitariste m'a impressionné. Et... Je ne sais pas comment expliquer. Mais les notes ont débloqué quelque chose en moi. Comme une révélation. J'ai su que c'était ça que j'écouterai toute ma vie.
Eddie resta bouche bée tandis qu'elle repartait vers l'armoire. Son cœur battait n'importe comment à tel point qu'il crut sérieusement avoir une attaque. Ses doigts le démangeaient et son cerveau hurlait, lui envoyant des images de lui plaquant sa bouche sur celle de la lycéenne. Chrissy se tourna vers lui, ses cheveux lâchés fouettant l'air, et lui sourit de toutes ses dents. Bon sang, ce sourire. Le sourire de la mort qui avait raison de lui à chaque fois.
- Ils s'appelaient les Corroded Coffin, je crois, lança-t-elle, amusée.
Le cœur d'Eddie s'arrêta et l'espace d'une seconde, il crut mourir pour de bon. Le béguin pour Chrissy n'existait plus. Désormais, il n'y avait qu'un véritable amour, brûlant comme de la lave, rayonnant, si puissant qu'il le sentait courir dans ses membres, envahissant.
Eddie était amoureux de Chrissy Cunningham, et aussi longtemps qu'elle vivrait, il serait là quoi qu'il arrive pour la protéger et la rendre heureuse.
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Surprise !
Je sais que j'avais dit que je posterai la semaine prochaine, mais je pouvais pas attendre...
J'ai tellement bien réussi à avancer sur l'histoire que publier maintenant ne me ferai clairement pas prendre de retard ^^
Bref, j'espère que retrouver cette histoire vous fera plaisir.
Des bisous ❤️
Alice
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