-Allô papa?

-Mélodie! Tu vas bien? Pourquoi tu ne répondais pas quand...

-Emma est morte.

L'avais-je dit trop durement? Certainement. Est-ce que ça me faisait quelque chose? Certainement pas, j'étais bien trop égoïste pour ça.

Le silence me parut être une éternité. Puis il me demanda comment c'était arrivé.

Je lui expliquais comment, après avoir utilisé mon don primaire contre tout le supermarché j'avais reçu une balle dans le dos. Comment ma mère m'avait regardée, sans peur. Comment j'avais dû lui dire adieu. Comment la balle avait traversé le foie, réduisant presque totalement mes chances de m'en sortir. J'oubliais volontairement de lui dire comment Alix m'avait poussée à me battre pour revenir auprès de lui. Je lui racontais comment une fois près d'Alix, aussi mourant que moi, j'avais cru mourir. Comment d'un seul coup l'énergie était revenue en moi. Comment j'avais crié ma peine lorsque j'étais arrivée dans le salon, Emma allongée sur le sol, Alix près d'elle, la secouant comme une poupée de chiffon. Comment il était déjà trop tard. Comment Naïla pleurait dans les bras de son frère. Comment, sans m'en rendre compte, mes jambes avaient lâchées et comment mes larmes avaient coulées. Comment...

Mon père m'arrêta avant que mes sanglots ne se transforment en larmes.

-Quelle est la date de son... de son enterrement? demanda-t-il tristement.

-Il est déjà passé...

-Pourquoi tu ne m'as pas appelé? Je serais venu, je serais...

Il s'arrêta alors que je tentai d'étouffer un sanglot.

-Je suis désolé Mélodie... s'excusa-t-il.

Je l'imaginais se passant une main sur le visage, comme il le faisait à chaque fois que quelque chose le chiffonnait.

-Elle m'a tout dit.

-Comment ça "tout" ? Et quand? Avant qu'elle... meurt?

-Non, après.

-C'est une blague ?

-Non.

Mon père raccrocha. Je soupirai, fatiguée de toujours avoir à me battre contre la terre entière.
Je retournai dans le salon, Alix me lança un regard interrogateur.

-Il est...

Je n'eus pas le temps d'en dire plus, mon père apparut, en plein milieu du salon, devant Alix, Naïla, Julian, moi-même... Et ma mère.

Elle avait déjà tellement souffert. D'abord à cause de mon père et de ses pouvoirs, ce qui avait entraîné leur séparation.
Puis il y a 17 ans, mon annonce de déménagement à L.A. qui avait été dure à accepter pour ma mère.
Il y a quelques jours, alors qu'elle pensait que j'avais réussi à vivre une vie normale malgré un père peu banal, elle s'est finalement rendue compte que j'avais plus de pouvoirs que lui.
Le décès d'Emma avait été très dur aussi et là, elle découvrait que son ex-mari, qui était censé n'avoir plus de pouvoirs, en avait finalement encore. Elle allait craquer. C'en était beaucoup trop pour elle.

-Julian, Naïla, emmenez mamie faire un tour s'il vous plaît, demandai-je gentillement.

-C'est que... je devais voir Nora pour... commença Julian.

Nora? Depuis hier soir on cherchait à la joindre!

-Ju s'il te plaît... insista Alix.

-C'est bon je peux l'emmener toute seule, fît remarquer Naïla.

-Je ne pense pas que ce soit...

Au vu des récents événements, confier ma mère à Naïla n'était pas la plus sûre des choses à faire.

-Je suis clean.

-Naïla tu te drogues?! se réveilla ma mère, jusque là muette.

-Non elle est... On t'expliquera plus tard, dis-je en indiquant à Naïla qu'elle pouvait y aller.

Ma mère et ma fille sortirent et je priai que tout se passe bien. Julian sortit à son tour et nous promit qu'il reviendrait avec Nora.

Ne restait plus que mon père, Alix et moi. Mon père s'asseya sur le fauteuil où se tenait ma mère, devant nous.

Cette disposition me rappelait des souvenirs finalement pas si lointain, lorsque mon père m'avait fait lire les lettres d'adieu pour ma mère. Lettres qu'il avait minutieusement recopiées avant de les envoyer. J'avais appris plus tard que ma mère avait un jour voulu les brûler et mon père, par un sortilège qu'il avait jeté aux papiers, avait tout de suite été au courant et les avait fait apparaître.

-Que t'a-t-elle dit exactement? demanda finalement mon père.

Alix me serra un peu plus la main pour m'encourager.

J'expliquai donc tout ce qu'Emma m'avait raconté, du début jusqu'à la fin, sans rien omettre.

-Je suis désolé que tu apprennes ça aujourd'hui ma chérie, on attendait le bon moment pour le faire tu comprends? dit mon père.

-De toute façon tu penses vraiment que quelqu'un l'aurait trouvé ce "bon moment" ?

-Mélodie... me réprimanda Alix.

Il est vrai que j'avais assez mal répondu à mon père, mais je ne pouvais pas m'empêcher de penser qu'il devait me cacher autre chose. Et puis j'étais arrivée à un point de saturation, je ne pouvais plus contenir cette haine, cette colère accumulée en moi.

-Quoi? Je ne m'excuserai pas. Tu vois, depuis hier, je me dis que si je n'avais jamais rien su de tout ça, ma vie aurait été beaucoup plus simple. Et surtout, Emma ne serait pas là où elle est aujourd'hui, à pourrir sous une terre humide, entourée de personnes proches du centenaire. Elle n'avait que 37 ans bordel! 37 ans!