1 • i fall apart



Je me suis souvent demandée comment Anthony avait réussi à survivre jusqu'à ses seize ans. Il était le genre de garçon à qui tous les malheurs arrivent; il avait déménagé loin de sa mère malade, son père avait fait faillite, il avait fait face à divers troubles, pour ne nommer que ces fléaux. Et malgré tout, Anthony allait maintenant au collège privé, jouait du piano merveilleusement bien et avait, par moment, cette joie de vivre contagieuse et heureuse.

Mais ça n'était pas tout. Il y avait deux côtés à ce garçon. L'un d'eux, était souriant, joyeux, attentionné. L'autre dévoilait un côté tellement sombre, que les gens fuyaient devant tant de détresse. C'est avec tous ces éléments, toutes les expériences que je savais de lui, que je me demandais, vraiment, comment avait-il survécu à ses seize ans.

C'est en songeant à cela que je m'engouffrai dans le grand hall d'entrée de notre collège. Il était immense, avec deux grands escaliers de chaque côtés se rejoignant à l'étage pour former un balcon. J'aperçu justement mon amie Claudie, une petite blondinette expressive, en plein dialogue avec deux autres garçons, appuyée sur la rembarde de l'escalier de gauche. J'allai la rejoindre lorsqu'une pression sur mon bras me fit me retourner. Anthony, souriant, me salua.

- "tu passe à ta case avant de rejoindre Claudie? me demanda-t-il en me poussant légèrement vers le corridor où se trouvait mon casier.

- hmm, je ne me dirigeais pas là, mais bon, d'accord" je rigolai un peu devant la politesse avec laquelle il me forçait à faire un détour de mes amis.

J'arrivai donc à ma case, mon ami sur les talons. J'y déposai mon cartable et hésitai à tout de suite prendre mes livres pour le premier cours. Je jettai un coup d'oeil à Anthony. Il était adossé sur le casier à côté de moi, se rongeant un ongle, observant les élèves arriver. Quelque chose était différent en lui. Non pas dans son style; il portait, comme tous les garçons, l'uniforme de l'école, et avait coiffé ses cheveux comme à leur habitude. Je fronçai les sourcils.

- " Antho?" Je demandai.

Il détourna la tête du hall et plongea son regard dans le mien. Et là je compris.

- "oh, rien, laisse tomber. " terminai-je.

Je fermai mon casier et verrouillai mon cadenas, avant de m'arrêter une seconde. Comment pouvai-je lui en parler? Il avait ce regard des nuits blanches qu'il passait à regarder le vide, ce regard épuisé, lassé. Ces nuits toutes entières où je savais qu'il se trouvait monstrueux, repoussant, où il ne savait même plus qui il était.

Il s'apprêtait à repartir mais je restai plantée devant l'allée de casiers, à l'abris des regards. S'aperçevant que je ne bougeais pas, il se retourna.

- "Est-ce que ça va?" je demandai, sérieuse.

Il se balançai d'un pied à l'autre, fixant le sol, avant de hocher la tête dans un geste positif. Je m'avançai tout de même et me blottit dans ses bras pour lui apporter un peu de réconfort, consciente qu'il ne me raconterait jamais ce qui lui arrivait. Il enlaça ses bras autour de moi, et je le sentis avaler difficilement. Lorsqu'au bout d'un temps qui me paraissait interminable, il se défit de mon étreinte, il raccrocha son beau sourire sur son joli visage et murmura un merci qui me fit lui renvoyer son sourire. Je me doutais bien qu'il était épuisé, et j'aurais voulu lui rendre son bonheur à cet instant précis, mais quiconque connaissant Anthony un peu se rendait rapidement compte que nous n'étions que des ajouts à sa vie; on ne devait pas s'attacher à l'idée de le "sauver", car nous ne gagnerions jamais. Sa tête endommagée prendrait toujours le dessus.

Je comprenais à présent pourquoi il voulait faire un détour par mon casier; il voulait que je me rende compte de son malheur, puisqu'il était tout autant impossible pour lui de me le dire. Nous reprîment la route vers le hall principal, discutant de tout et de rien, jusqu'à arriver à côté de Claudie. Désormais, le petit groupe s'était élargi avec l'arrivée de Sophia, Félix et Acacia. Tous débattaient d'une question politique communiste présente à un examen de la semaine dernière qui m'échappait totalement et que je n'avais absolument pas suivie. Nous étions à présent six; nous bloquions quelque peu le passage dans l'escalier. Je fit cette remarque et la petite bande se mouva vers le balcon, à l'entrée des casiers des plus jeunes. Anthony se hissa sur la rembarde et, presque face à lui, je lui jettait des coups d'oeil fréquents pour m'assurer qu'il aille bien.

- " À quoi bon parler de communisme un lundi matin? grommela Claudie en croisant les bras. L'examen est déja passé, de toute façon!"

Au même moment, le débat repris de plus belle. Mais quelle discussion ennuyante. Je vis Anthony baisser un peu la tête, puis bâiller discrètement.

- "Antho. " je dis fortement.

Il redressa la tête et me regarda fixement en hochant la tête. Tout le monde se tut. Je n'aimais pas trop qu'il soit assis sur la rembarde, mais après tout, je n'étais pas sa mère.

- "Ouais, c'est pas le moment de t'endormir, boy" rigola Félix, à moitié-sérieux.

La conversation repris son cours. Il ne restait qu'une dizaine de minutes avant que la cloche du premier cours ne retentisse. Je maintenais mon regard vissé dans celui de mon ami, je savais, pour l'avoir vu quelques fois, que lorsqu'il était extrêmement brûlé, Anthony pouvait s'endormir en une fraction de seconde. Et je savais aussi qu'en ce moment, il n'avait probablement pas dormi de toute la fin de semaine. Nous nous regardions intensément, il savais de quoi j'avais peur. Et mes amis, biens qu'ils essayaient tant bien que mal de ne pas créer de drama en agissant et parlant normalement, ne perdaient rien de notre échange.

Je sentis une chaleur familière dans mon dos et me retournai, découvrant la main de Liam posée dans le creux de mes reins. J'avais rencontré Liam lors de ma première année dans cette école, il y a cinq ans. Aussitôt, nous nous étions bien entendus et étions devenus bons amis. Et au bout de trois ans, plus que des amis. Nous formions un couple équilibré qui s'aimaient et restions fidèles. Liam était très jaloux d'Anthony et Anthony n'appréciait pas particulièrement Liam, mais à quoi bon? Je les aimais les deux, différement. Je me retournai donc pour saluer mon copain. Je l'embrassai amoureusement.

- " Salut, Blake. " murmura-t-il.

Je souris et allai répondre lorsque je sentis le bras de Sophia se poser violement sur le mien. Je me retournai juste au bon moment pour voir la tête d'Anthony basculer vers l'arrière.

Tout se déroula comme au ralenti. Ses yeux se fermèrent et sa tête bascula vers l'arrière, emportant son corps dans le mouvement. Il se réveilla une seconde avant de chuter mais ne fut pas capable de se rattraper, ses jambes passèrent par dessus la rembarde. Mon sang se glaça. Il y eu un bruit sourd, le pire que j'ai entendu de ma vie. Mon coeur sauta un et peut être même deux battements.

Félix et Liam se dirigèrent vers la rembarde pour voir au sol, tandis que Charles pris l'escalier de gauche en courant, suivi par Acacia et Claudie. Il y eu des cris, des élèves qui courent, des hurlements. Le hall d'entrée, en ce lundi matin, était animé par un accident bien sombre.

Tremblante et sous le choc, je réussi à faire quelques pas en avant jusqu'au bord de la rampe du balcon. Félix m'en éloigna vivement, me prenant contre son torse et me poussant, mais j'avais eu le temps de voir; le corps de mon ami, immobile, ensanglanté, et tous ces gens autour essayant de lui venir en aide en attendant les ambulances.

Finalement, Anthony ne survivrait peut-être pas à ses seize ans.

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