15. Sentiments fraternels

Un bruit étouffé sortit Alyssandra du sommeil. D'instinct, elle se raidit, l'oreille aux aguets. On aurait dit une respiration. Il y avait quelqu'un près d'elle ! La jeune femme essaya de conserver le même rythme respiratoire, le temps de se faire une idée de la situation. Celui qui était là ne devait pas savoir qu'elle avait repris conscience. Mais qui était avec elle ? Et d'abord, où était-elle ? Elle était allongée dans un lit moelleux... Et cette odeur ? Elle connaissait cette odeur. Ce n'était pas la première fois qu'elle la sentait. C'était un mélange de détergent et de... de désinfectant ! Ça sentait l'hôpital ! Bon sang, pourquoi était-elle à l'hôpital ? Elle ne se sentait pas mal, elle avait juste l'impression d'être dans du coton. En même temps que ses sens s'éveillaient, Alyssandra prit petit à petit conscience des différentes parties de son corps. La brûlure au niveau de ses poignets fut la première sensation désagréable qu'elle identifia. Puis ce fut au tour de ses côtes et de son abdomen de la lancer. En un éclair, la souffrance envahit tout son corps. Sous la violence de la vague douloureuse qui se propageait dans ses membres, Alyssandra ne put retenir un gémissement.

— Sandy ? Sandy, tu m'entends ?

Cette voix ne lui était pas inconnue. C'était une voix d'homme. Elle connaissait ce type. Elle le connaissait même très bien, elle en était certaine.

— Hey, petite caille, tu as fini de pioncer ?

Le surnom affectueux déclencha les souvenirs d'Alyssandra. Matt ! Il n'y avait que lui pour l'appeler ainsi. Il le faisait toujours exprès pour la faire enrager ! Un immense soulagement l'envahit et, péniblement, elle entrouvrit les paupières avant de grogner :

— Qu'est-ce que tu fiches là, casse-pieds ?

Rassuré de voir que sa sœur avait conservé un peu de mordant malgré son état déplorable, Matthew prit un air enjoué pour lui cacher son inquiétude.

— Salut à toi, ô frangine de mon cœur ! Je vois que tu es toujours de bonne humeur quand tu te réveilles !

— La ferme, Matt ! J'ai mal, gémit Alyssandra.

— Tu m'étonnes ! Si tu voyais ta tête, ma caille ! Pire qu'après une gueule de bois. Ça doit danser la sarabande dans ta caboche.

— Pas... la tête. Enfin si... mais pas seulement... Punaise, j'ai... j'ai mal... par... partout...

Le sourire de Matthew s'effaça aussitôt. Ce n'était pas normal. Sandy n'était pas spécialement douillette, au contraire elle était même plutôt dure à la douleur d'habitude. Il l'observa attentivement quelques secondes. Le visage figé, il lui demanda :

— Où as-tu mal ?

— Partout. J'ai... j'ai l'impression que mon corps est en... feu. Ça me brûle.

Le pilote appuya à plusieurs reprises sur la sonnette d'appel et tenta de réconforter sa sœur :

— Pas de panique sœurette. Je reste avec toi, le toubib va arriver. Il va te donner ce qu'il faut pour calmer la douleur.

Le médecin accourut au chevet d'Alyssandra, accompagné d'une infirmière. Ils firent sortir Matthew le temps d'administrer à la jeune femme des antidouleurs par voie de perfusion. Un quart d'heure plus tard, Alyssandra allait bien mieux et était plus lucide. Matthew estima qu'elle était en état de soutenir une conversation sérieuse.

— Sandy, est-ce que tu sais pourquoi tu es là ?

— Non. En fait, je ne me souviens de rien. Mais à voir les marques sur mes poignets et les traces que j'ai sur le corps, je suppose que j'ai dû passer un sale quart d'heure, non ?

— C'est le moins qu'on puisse dire ! laissa échapper le pilote.

— Si je n'avais pas ces marques de ligatures, je dirais que j'ai eu un accident, mais je suppose que ce n'est pas le cas.

— Effectivement. Tu n'as vraiment aucun souvenir ?

— Je... Non, répondit Alyssandra en détournant la tête.

Son frère capta son regard fuyant et comprit que sa sœur ne lui disait pas l'entière vérité.

— Sandy ! Pas à moi, petite caille ! De quoi te souviens-tu ?

— Ce ne sont pas des souvenirs. Juste des bribes de rêves sans importance.

— Dis-moi, sœurette.

— Mais ça n'a ni queue ni tête ! J'ai comme... comme des flashs, des sensations bizarres.

— Raconte-moi, Sandy.

— J'étouffe, j'ai l'impression de me noyer. Ça tire dans tous les sens, il y a de l'eau et un bateau qui va vite et puis...

— Et puis ?

— Il... il... Benji. Je vois Benji, mais Benji plus grand, comme il sera peut-être adulte, mais en même temps... ce n'est... ce n'est pas vraiment lui. Il y a aussi des visages de Seals que j'ai déjà côtoyés. J'ai le sentiment qu'il ne faut pas que je parle, que je dois me concentrer.

— Et puis ?

— C'est idiot, complètement idiot !

— Non, Sandy, ne t'arrête pas ! Quoi d'autre ?

— J'ai... j'ai l'impression d'être protégée par... par Woody. Tu vois, ça n'a aucun sens !

— Oh si, Sandy, ça a du sens !

— Mais non ! Le père de Benji est mort, MORT !

— Brickman t'a raconté des conneries, Sandy.

— Oui, je sais que l'armée a voulu me cacher sa véritable identité pour protéger sa famille. Je sais que Woody était marié quand on a... quand on a couché ensemble. J'ai vu le dossier. Le père de Benji s'appelait Peter Morganson.

— Pas du tout ! Brickman t'a raconté n'importe quoi. Le père de Benji n'est pas mort.

Alyssandra écarquilla les yeux sous l'effet de surprise.

— Tu délires, là ?

— Oh non ! Je peux te garantir que ton Woody est bien vivant et qu'il est allé jusqu'en Colombie pour te récupérer !

— Mais que... qui ?

— Je crois que tu le reconnaîtras facilement, il devrait revenir te voir très bientôt.

— Matt... tu es sûr de toi ?

— Oui.

— Woody... MON Woody est vivant ?

— Oui et c'est un Seal du DEVGRU.

— Comment sais-tu cela ?

— Tout simplement parce que je l'ai rencontré avant son départ pour la Colombie.

— Dis-moi qui c'est ! exigea Alyssandra.

— Je pense qu'il vaut mieux que tu laisses les souvenirs revenir ou que tu le découvres par toi-même, sœurette.

— Matt, il y a quelque chose que je ne comprends pas. Comment as-tu su que ce type était le père de Benji ? C'est lui qui te l'a dit ?

— Ce pauvre gars n'était même pas au courant de l'existence de Benjamin. Quand je lui ai dit qu'il avait un enfant, il avait l'air d'être sacrément secoué.

— Mais s'il ne le savait pas... Comment, toi, tu l'as su ?

— C'est ta copine Zora qui me l'a appris. Elle a eu des soupçons après ton départ en Colombie.

— Comment cela, des soupçons ? Je lui avais dit pour Peter.

— Apparemment elle se méfiait de Brickman et elle a mené son enquête avec une de ses relations à la CIA. Ce Morganson ne pouvait pas être en Somalie avec toi, car aucun Delta n'a été suivi en soins au retour de cette mission. Seuls des Seals ont été répertoriés. Et ta copine trouvait que Benji avait un air de ressemblance avec plusieurs Seals dont elle s'est occupée.

— Mais enfin, elle ne m'a jamais rien dit à ce propos !

— Peut-être parce qu'avant Benji était un peu différent, il avait une allure plus... bébé.

— En quoi est-il différent subitement ?

— Pendant ton absence, on lui a fait couper les cheveux comme un vrai p'tit gars.

— Qu'est-ce que tu veux dire exactement avec ton « comme un vrai p'tit gars » ? demanda la jeune femme, soupçonneuse.

— Euh... une coupe courte, comme moi !

— Tu n'es pas en train de me dire que les bouclettes de mon bébé se sont transformées en coupe militaire, j'espère ?

— Eh bien... si, confirma Matt d'une voix incertaine.

— Tu as de la chance que je sois clouée sur un lit d'hôpital, parce que je te jure que sinon...

Le jeune homme détourna la conversation.

— Ce n'est pas ça, l'important ! Quand Zora a vu Benji avec les cheveux courts, elle a trouvé qu'il avait des similitudes physiques avec certains Seals dont les dossiers médicaux prouvaient qu'ils pouvaient avoir été en Somalie en même temps que toi. Si j'ai bien compris, elle a utilisé des prélèvements sanguins pour faire une comparaison des ADN, et elle a trouvé le père du petit.

— C'est... c'est certain alors ?

— Oui. Et tu sais, petite caille... Zora ne m'a pas dit son nom. Elle m'a simplement appris qu'il faisait partie de l'équipe qui était chargée de ton extraction. Elle estimait que la ressemblance ne pourrait pas m'échapper.

— Et alors ?

— Elle avait raison. Dès que j'ai regardé tous ces types... j'ai compris de suite que c'était un des deux gars. Des frères. Quand je suis allé les voir pour leur expliquer pourquoi ils devaient impérativement te ramener, l'un d'eux a confirmé qu'il était à Hudur.

— Donc il savait pour... pour moi... pour nous deux ?

— Non, Sandy. Il pensait que tu avais été tuée lors de la frappe aérienne. Non seulement il n'avait pas été averti de la naissance de Benji, mais il ignorait également que tu étais en vie.

Alyssandra se mit à trembler de manière incoercible et ferma les yeux.

— Sandy, ça va ?

— Je n'arrive pas à y croire, murmura-t-elle. Benji a un père et il... il est vivant. C'est... c'est trop de choses en même temps. J'ai du mal à réaliser, je crois.

La jeune femme ouvrit les yeux et regarda son frère à travers les larmes qui brouillaient son regard.

— Matt je suis désolée, je... je suis fatiguée... je...

— OK, je vais te laisser te reposer. Surtout que les parents vont sûrement débarquer dans pas longtemps. Il faut que tu récupères un peu avant l'abordage. Mais avant que je parte, je veux que tu me promettes une chose.

— Ce que tu veux, Matt, souffla Alyssandra.

— Tu ne parles pas de Brickman aux parents – ni de Woody.

Alyssandra fronça les sourcils.

— Comment cela ? Je ne comprends pas.

— Pour l'instant, tu ne dis rien à propos du dernier bobard de ce pourri. Il vaut mieux attendre que tu ailles mieux et que tu aies vu le père de Benji avant qu'on le dise aux parents. Tu connais papa, il risque de partir au quart de tour et d'aller faire un scandale au DEVGRU. C'est d'accord ?

— OK, Matt, on attend d'avoir éclairci la situation avec... avec qui, déjà ?

— Tu ne m'auras pas ! À mon avis, tu le reconnaîtras tout de suite.

— Encore faut-il qu'il vienne ! souffla Alyssandra d'une voix épuisée.

— Il viendra, je n'ai aucun doute.

Matthew se leva et embrassa sa sœur sur le front.

— Bon retour à la maison. Je t'aime, sœurette !

— Moi aussi, frangin. Moi aussi.

Alors que son frère était sur le point d'ouvrir la porte, Alyssandra le rappela :

— Matt ?

Aussitôt, le pilote se retourna et l'interrogea du regard.

— Quoi, sœurette ?

— Merci. Merci pour tout.

Matthew hocha la tête en souriant et quitta la pièce.    

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top