6. Ca va aller ! (version éditée)
— Fermez-la, Woody, et écoutez-moi ! chuchota la jeune femme. S'ils viennent pour moi, il ne faut pas qu'ils nous voient côte à côte.
— Pourquoi ?
— Ne posez pas de question ! Ne restez pas à côté de moi ! S'ils entrent, nous devons être le plus loin possible l'un de l'autre. Chacun reste dans son coin et il ne faut surtout pas réagir, quoi qu'ils fassent.
Le journaliste obtempéra. Elle l'entendit traverser la pièce.
— Vous avez peur qu'ils se servent de l'un de nous contre l'autre, n'est-ce pas ?
— C'est possible ! Quoi qu'il se passe, vous ne bougez pas ! C'est clair ?
— J'ai saisi l'idée, c'est bon.
— Maintenant, taisez-vous !
Les deux prisonniers tendirent l'oreille. Ils entendirent des cliquetis de verrous, puis le claquement des portes métalliques. Leurs geôliers avaient ouvert plusieurs cellules et, presque immédiatement, des bruits sourds et des cris retentirent. Les shebabs hurlaient des invectives tantôt en arabe, tantôt en somali et frappaient leurs victimes, cognant encore et encore sur les corps malmenés. Puis le bruit des coups laissa la place aux pleurs et supplications de femmes. Alyssandra se boucha les oreilles pour ne plus entendre les cris et se mit à trembler. Mais, malgré l'écran de ses mains, elle percevait l'horreur que subissaient Kelsey et ses amies. La rage lui tordait le ventre ; si elle en avait un jour l'occasion, elle se ferait un plaisir de s'occuper personnellement de ces salopards ! Elle n'était pas adepte de la torture mais, pour eux, elle ferait une exception ! Elle jubilerait de leur faire bouffer leurs attributs !
Alors qu'elle essayait de se concentrer sur sa colère pour faire abstraction des sons étouffés qui lui parvenaient, elle sentit un bras l'entourer et se retrouva plaquée contre un torse imposant. Instinctivement, elle tendit les mains pour repousser la masse de muscles qui l'enserrait.
— Doucement, Jessi, c'est moi !
— Qu'est-ce que vous foutez là, Woody ? On doit rester chacun de notre côté !
— Inutile de me repousser ! Je ne vais pas vous laisser toute seule à encaisser ce qui se passe là-bas ! Nom d'un chien, vous tremblez !
— Mais s'ils...
— Ils ne viendront pas maintenant, ces fumiers sont occupés.
Sourd aux faibles protestations de la jeune femme, Woody la serra dans ses bras avec force et lui murmura des paroles apaisantes.
— Ça va aller Jessi, on va s'en sortir...
Du bout des doigts, il effleura ses paupières.
— Je ne pleure pas, Woody.
— C'est bien, vous êtes courageuse.
— J'ai surtout la haine.
Pour tenter de détourner l'attention de sa codétenue, le journaliste essaya de la faire parler :
— C'est normal, ce sont vos amies, n'est-ce pas ?
— Amies est un bien grand mot. Mais oui, il s'agit vraisemblablement de Kelsey et ses copines. Même si je ne les apprécie pas particulièrement, je hais ces fils de putes pour ce qu'ils leur font subir. Quand ils nous ont enlevées, je les ai entendus dire qu'elles méritaient d'être châtiées pour leur manque de modestie ! Comme elles allaient faire de la plongée, elles avaient mis des shorts et des débardeurs...
— J'imagine qu'elles ne sont pas passées inaperçues pendant le trajet ?
— C'est le moins qu'on puisse dire. Avant même d'avoir quitté Mogadiscio, nous nous étions déjà fait repérer. Kelsey et sa clique ne passent jamais inaperçues. Je ne dis pas que c'est la raison de notre enlèvement, mais nous aurions dû être plus prudentes.
— Le service de sécurité ne les a pas mises en garde ?
— Même pas ! Je crois qu'ils étaient trop habitués aux frasques de Kelsey.
— Vous avez eu des soucis en cours de route ? Vous avez remarqué quelque chose ?
— Vous voulez dire, est-ce que nous étions suivies ?
— Par exemple. Ou des insultes, des menaces ?
— Non, rien de tel. Grâce à nos gardes du corps, nous n'avons pas eu de problèmes. Les shebabs nous attendaient à l'embarcadère. C'était une embuscade préméditée, j'en suis certaine.
— Ce qui signifie qu'ils étaient au courant que vous alliez arriver.
— Oui. Et il fallait qu'ils soient renseignés par quelqu'un qui gravite autour de Kelsey. Je suppose qu'un membre du personnel, ou alors du club de plongée, a vendu les infos aux shebabs.
— La véritable cible est donc le père de Kelsey.
— Exact ! Ils veulent une rançon ou, plus probablement, exercer un chantage sur lui, en rapport avec son business.
Après quelques minutes de silence, Woody passa doucement la main dans les cheveux de la jeune femme avant de demander :
— Jessi, je peux vous poser une question ?
— Oui, allez-y.
— Est-ce que... est-ce qu'ils vous ont... est-ce qu'ils vous ont fait du mal à vous aussi ?
Alyssandra resta un moment silencieuse avant de répondre, la voix étranglée par l'émotion :
— Non. Jusqu'à présent j'ai eu de la chance. Ils ne m'ont pas touchée... Du moins pas comme ça. Mais je ne suis pas certaine que cela durera encore longtemps.
Woody la serra un peu plus contre lui et tenta de la rassurer.
— Vous n'êtes pas comme Kelsey et ses amies. Pas du genre tenue sexy. Je me trompe ?
— Non, c'est vrai. J'ai eu quelques déboires à l'adolescence et j'ai appris à mes dépens qu'il vaut mieux rester sobre et ne pas attirer le regard des garçons.
— Les shebabs n'en auront pas après vous dans ce cas.
— Ça, j'en doute ! C'est un prétexte pour justifier leurs actes. Mais, même si elles ont tendance à mettre des tenues provocantes et à changer de copains comme elles changent de fringues, Kelsey et ses amies ne méritent pas de subir cela.
— Aucune femme ne mérite un tel sort, Jessi. Quel que soit son style vestimentaire ou son comportement amoureux.
Sentant que la jeune femme était parcourue de tremblements incontrôlables, il se plaça dos au mur et l'attira entre ses jambes avant de l'enlacer doucement. Elle se raidit tout d'abord dans ses bras, puis se détendit. Mais quand les cris et supplications reprirent, Alyssandra sursauta. Les plaintes et pleurs qui perçaient les murs de leur cellule lui brûlaient le ventre. Elle avait la sensation qu'on fouillait ses entrailles avec un fer rouge. À chaque nouveau cri, à chaque nouveau sanglot, elle se crispait, impuissante à endiguer les images horribles qui l'envahissaient. Sensible à sa détresse, Woody resserra son étreinte autour du corps de la jeune femme. Au contact de ses muscles durs, Alyssandra se sentit inexplicablement protégée. Pour s'empêcher de gémir, elle se mordit la lèvre et, dans un geste inconscient, planta ses ongles dans les biceps de son codétenu, s'accrochant à lui comme une naufragée à sa bouée.
Les yeux grands ouverts dans le noir et la mâchoire contractée, Woody s'efforçait d'oublier ce qu'il se passait à quelques mètres de là et tentait d'apporter son soutien à la jeune femme qui tressaillait par intermittences. Pour l'apaiser, Woody se balança légèrement tout en murmurant des paroles de réconfort et d'encouragement. Alyssandra blottit son visage dans son cou et se laissa bercer ainsi, s'appliquant à respirer profondément et calmement. Peu à peu, sa rage et son angoisse s'apaisèrent, ses muscles se détendirent ; épuisée, elle finit par s'assoupir. Mais son répit fut de courte durée et elle se réveilla au bout de quelques minutes.
Progressivement, elle prit conscience de la chaleur bienfaisante qui l'enveloppait, de la pression des bras autour de son corps, de la fermeté du torse sur lequel elle s'appuyait. Puis vint la sensation de la barbe qui griffait sa tempe, du souffle calme dans ses cheveux et enfin de l'odeur de la peau de son compagnon d'infortune. Malgré la captivité et ce qu'il avait subi, Woody ne sentait pas mauvais. Il dégageait des effluves divers qu'elle avait du mal à isoler, mais qui se combinaient en une odeur chaude, enivrante, un peu âcre et boisée. Mélange improbable de sang, de transpiration, de musc, de girofle et de cèdre, mais qui n'était pas désagréable. Une fragrance qui la troublait profondément. C'était insensé ! Être avec ce type la fragilisait et la réconfortait en même temps. Avec lui, elle baissait sa garde et devenait beaucoup plus sensible à son environnement. Elle avait l'impression qu'elle réagissait avec plus d'intensité. Et elle devenait plus vulnérable alors que, paradoxalement, elle se sentait protégée dans ses bras.
À la tension qui envahit progressivement le corps abandonné contre lui, Woody perçut le moment exact où Alyssandra sortit de sa torpeur. Sans un mot, il effleura son front de ses lèvres et frotta lentement sa joue contre les cheveux qui exhalaient un discrèt parfum de vanille. Ils restèrent ainsi, blottis l'un contre l'autre, sans parler.
Au bout d'une dizaine de minutes, ils entendirent de nouveau le claquement caractéristique des portes. Alyssandra se raidit. Pourvu que ce ne soit pas son tour maintenant ! Pourvu que son stratagème lui donne encore un peu de répit ! Si le gouvernement envoyait la cavalerie, elle pouvait peut-être espérer passer au travers... mais il fallait vraiment qu'on les tire très vite de là !
— Woody, éloignez-vous ! Vite !
Après lui avoir serré la main avec force, le journaliste souffla :
— Courage, Jessi, ça va bien se passer.
Puis il se leva et traversa la cellule avant de s'accroupir à proximitéde la porte.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top