Chapitre 90
— Ce manoir est tellement vaste, c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin, je soupire, sentant la frustration monter en moi.
— Faisons une pause, me suggère Alexander. Si nous recommençons notre fouille à tête reposée, nous aurons peut-être plus de chance de mettre le doigt sur l'indice qu'il nous manque.
Ce qu'il dit n'est pas dénué de sens, mais je suis bien trop têtue pour m'avouer si vite vaincue. Je secoue la tête avec obstination, pas encore prête à arrêter les recherches.
— Cet objet doit forcément être quelque part, je murmure pour moi-même. Si j'étais un mage et que je voulais renforcer mes pouvoirs, de quoi est-ce que je me servirais ?
— Un vase ? tente Victor.
— Trop fragile, je rétorque en secouant la tête. Il ne faut pas un objet qui risque de se briser au moindre geste maladroit.
— Et un livre ? propose-t-il de nouveau.
— Les livres sont chargés de connaissances, ce qui est déjà une forme de magie. Il est impossible de s'en servir comme objet réservoir.
— Peut-être un tableau alors ? suggère Alban.
Le prince cadet s'est fait discret depuis la fin des combats, mais son intervention est un véritable éclair de génie. Un tableau est une sorte de personnification, comme un double de l'individu qui y est représenté. Il n'y a pas meilleur moyen pour un mage d'amplifier ses pouvoirs que de se servir d'un tableau de lui. Il nous suffit maintenant de trouver quelle peinture est celle qui maintient le sort en place. Le plus logique serait qu'elle se trouve en plein milieu du manoir, pour répartir uniformément l'enchantement.
Pressée de vérifier la théorie d'Alban, je pars en courant, grimpant les escaliers deux à deux. Arrivée dans la pièce que je pense être la plus centrale de la maison, l'air semble électrique, chargé d'anticipation. Je regarde autour de moi, scrutant les murs avec fébrilité, à la recherche du moindre indice. Trois peintures sont accrochées dans la pièce, mais une seule représente un homme. Je me dirige rapidement vers elle, mon instinct me criant qu'elle est la clé de notre problème.
Une fois devant le tableau, je ressens une énergie mystérieuse émaner de l'œuvre. Je tends la main, hésitant un instant avant de la toucher. Comme je m'y attends, une vive décharge me traverse dès que mes doigts entrent en contact avec le cadre doré.
— Enora, qu'est-ce qu'il se passe ? s'écrie Alexander en entrant dans la pièce.
Il arbore une expression soucieuse, ses yeux balayant la pièce à la recherche du moindre danger. Victor est à ses côtés, essoufflé, me regardant avec prudence.
Je lève les yeux vers eux, tentant de dissimuler mon excitation.
— Je pense que nous avons trouvé l'objet réservoir, je réponds en désignant le tableau d'un léger mouvement de tête.
— Il n'y a qu'un seul moyen de le savoir, déclare le prince.
D'un geste brusque, il attrape le portrait et le jette violemment au sol, le détruisant à coups de pied. Bien que sa méthode ne soit pas celle que j'aurais employée en première intention, je suis forcée d'admettre qu'elle est diablement efficace. Immédiatement après la première déchirure de la toile, le sortilège commence à se dissiper, révélant peu à peu la véritable apparence de la pièce.
Celle-ci n'a plus rien du petit salon où nous nous trouvions quelques instants plus tôt. À la place, s'étend maintenant une authentique salle d'études. Sur la table centrale, des livres de sortilèges sont ouverts, entourés de plumes et de parchemins. Des crânes d'animaux ainsi que des fioles aux couleurs étranges occupent chaque recoin de la pièce, conférant à l'endroit une atmosphère mystique et envoûtante.
— Comment est-ce possible ? murmure le Duc, abasourdi.
Il se déplace dans la pièce et attrape une fiole entre ses mains, les yeux brillants d'excitation.
— Vous pensez que ça sert à préparer des potions ? demande-t-il, fasciné.
— Je pense surtout que c'est un rein que tu tiens entre tes mains, répond Alexander avec un sourire en coin.
Victor pousse un cri aigu et laisse tomber le bocal qui explose en mille morceaux, répandant un liquide visqueux sur mes chaussures.
— Oh non, c'est répugnant ! je m'exclame en lui lançant un regard noir.
Alexander éclate de rire devant la réaction de Victor, le qualifiant de poule mouillée, tandis que ce dernier boude dans un coin. C'est alors que le prince Alban fait son entrée. Il observe la scène avec incompréhension avant de secouer doucement la tête.
— Peu importe. Alexander, tu ferais mieux de venir voir ce qu'il se passe en bas.
Le prince reprend immédiatement son sérieux et suit son frère vers l'étage inférieur. Dans le vestibule, là où se trouvait auparavant un imposant tapis de laine sombre, s'étendent maintenant des escaliers menant à un sous-sol. Les visages des gardes sont tendus, trahissant une certaine appréhension face à ce qui les attend en bas.
— Ils sont apparus peu après que vous soyez montés, explique Alban. Nous ne sommes pas encore descendus, nous attendions tes ordres.
— Vous avez bien fait, acquiesce Alexander.
Il me jette un coup d'œil avant de reprendre la parole.
— Je vous laisse fouiller les autres pièces du manoir. Pendant ce temps, avec Enora et Victor, nous irons voir ce qu'il se passe en bas.
— Tu es sûr de ne pas vouloir que je vous accompagne ?
— Oui, je préfère que tu restes ici pour superviser les hommes.
Le prince Alban affiche un air étonné avant de reprendre une expression neutre.
— Je ne te décevrai pas, dit-il avec sérieux.
Alexander tapote l'épaule de son frère avant de se diriger vers les escaliers. Il commence à descendre prudemment, sa main fermement accrochée à la mienne. Victor, à quelques pas derrière nous, reste vigilant et prêt à intervenir à la moindre menace. Les marches grincent sous nos pas, renforçant l'atmosphère oppressante qui nous enveloppe. Mon cœur bat de plus en plus fort à mesure que nous avançons. J'ignore ce qui nous attend en bas, mais mon intuition me dit que ce ne sera rien de bon. Mon visage est tendu, mes sourcils légèrement froncés, tandis que je scrute l'obscurité devant nous avec appréhension.
Une fois en bas, nous nous retrouvons dans une pièce obscure et étroite, uniquement éclairée par la lueur vacillante d'une bougie. Devant nous se dresse une imposante porte en bois, ornée de motifs mystérieux. Alors que je m'apprête à l'ouvrir, Alexander m'arrête.
— Attendez, chuchote-t-il.
Je le regarde avec perplexité, mais il se contente de désigner la porte d'un geste de la tête, portant son autre main à son oreille. Je tente d'entendre ce qui a perturbé le prince, et en effet, en me concentrant, je réalise qu'il y a du mouvement de l'autre côté de la porte. Je me tends, agrippant le bras d'Alexander.
Le prince me rapproche de lui puis se tourne vers Victor pour lui signifier de ne plus bouger. Il lève sa main en l'air et commence un décompte silencieux, abaissant ses doigts un à un pour nous laisser le temps de nous préparer. Chacun des battements de mon cœur résonne en rythme dans le silence oppressant du sous-sol.
Trois.
Deux.
Un.
Zéro.
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