Chapitre 9
Pendant de longues secondes, un silence pesant plane autour de nous. Le souffle court, je suis encore secouée par ce qu'il vient de se passer. Depuis que le prince a lâché ma main, une sensation étrange, presque douloureuse, a pris place dans ma poitrine. Comme si une connexion fragile mais essentielle venait d'être brisée. J'en viens presque à me demander si la captivité n'a pas affecté mon esprit, déformant ma perception de la réalité.
Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, la main du prince saisit brusquement mon visage. Ses yeux orageux semblent presque transpercer mon âme, et malgré moi, mes muscles se crispent. Il ne dit pas un mot, instaurant une tension palpable.
— Alexander ! Que faites-vous ? Lâchez-la !
Je voudrais protester, mais les mots meurent dans ma gorge. Des picotements presque désagréables parcourent ma peau, comme si son toucher réveillait quelque chose au plus profond de moi. J'essaie de me dégager, mais sa prise se resserre, me faisant grimacer.
— Sorcière, grogne-t-il à voix basse.
Le mot résonne comme une gifle. Mon esprit vacille entre l'incrédulité et l'indignation. Pourquoi diable pense-t-il que je suis une sorcière ?
Victor intervient, posant une main ferme sur l'épaule du prince.
— Alexander, cela suffit !
À contrecœur, il finit par relâcher mon visage. Je recule d'un pas, une main sur ma mâchoire douloureuse, et je lui lance un regard noir.
— C'est une sorcière, répète-t-il froidement
— Je ne suis pas une sorcière.
Son expression reste impénétrable, ses yeux d'acier toujours fixés sur moi.
— Alors explique-moi pourquoi ta peau a brûlé la mienne. Tu n'es pas noble. Tu n'as pas de pouvoirs. Ce qui ne laisse qu'une seule option : la magie noire.
Un frisson me parcourt. Je ne sais pas quoi répondre. Une partie de moi veut leur crier la vérité. Mais une autre, plus prudente, me retient. Ils ignorent encore mon identité, et il vaut mieux que cela reste ainsi. Je ne sais pas combien de gens croient à cette prophétie, ni combien de gens seraient prêts à me nuire en son nom. Et ces deux hommes, bien qu'ils m'aient sauvé la vie, ne semblent pas prendre les choses à la légère. Je préfère rester prudente en attendant de connaître leurs véritables motivations.
— C'est ce qu'il me semblait.
— Je vous répète que je ne suis pas une sorcière.
Alexander passe une main dans ses cheveux en bataille, son exaspération évidente. Il semble lutter avec des pensées contraires, son regard brillant d'incertitude.
— Peu importe, tranche-t-il finalement, sa voix glaciale mettant fin à la discussion. Nous vous interrogerons au palais.
— Au palais ? répète Victor, surpris.
Alexander ne lui accorde même pas un regard.
— Aux dernières nouvelles, ces deux femmes sont des esclaves en fuite. Nous les ramenons au palais de Lumia. À partir d'aujourd'hui, elles serviront là-bas.
Victor plisse légèrement les yeux mais il ne dit rien de plus. Hannah se rapproche de moi, son regard cherchant le mien. Elle attend une réaction, une protestation peut-être. Mais je suis aussi dépassée qu'elle par la tournure des événements. Quelques instants auparavant, j'avais perdu tout espoir de m'en sortir indemne. Et maintenant, je me retrouve face à ces deux hommes, tiraillée entre la méfiance et la reconnaissance. Tout cela me paraît irréel, comme un rêve qui menace à tout instant de se transformer en cauchemar.
— Allons-y, ordonne sèchement le prince Alexander.
La rigidité de sa posture et la froideur de son ton me donnent des frissons, mais pour l'instant, je n'ai guère d'autre choix que de lui obéir. À côté de lui, lord Victor s'affaire à récupérer les chevaux abandonnés par les brigands. Il s'approche ensuite pour nous aider à nous mettre en selle.
— Merci.
— Avec plaisir.
Une fois tout le monde installé, nous nous mettons en route. Le bruit des sabots résonne dans l'air, rythmé par le bruissement des feuilles sous la brise. Tandis que le paysage défile, je ne peux m'empêcher de jeter un coup d'œil à mes compagnons de fortune, me remémorant rapidement tout ce que je sais à leur sujet.
Le prince Alexander, premier héritier du trône de Lumia, est un nom que tout le monde connaît. Ses exploits guerriers et sa beauté presque irréelle en ont fait un véritable héros. Pourtant, l'homme que je vois devant moi n'a rien d'un prince charmant. Son visage est fermé, marqué par une intensité qui ne laisse aucun doute quant à son tempérament. Je commence à comprendre pourquoi il s'évertue à fuir tous les rassemblements de la cour.
Quant à lord Victor, il est connu pour être l'un des nobles les plus influents à la cour du roi. Fin stratège, il a aidé par le passé à résoudre bon nombre de conflits. Cependant, je dois admettre qu'il est bien loin de l'image du vieil homme bedonnant que je me faisais de lui. Avec ses traits harmonieux et ses manières élégantes, il incarne une noblesse naturelle. Mais derrière son sourire charmeur se cache une acuité qui ne me trompe pas.
— Puis-je connaître vos noms ? demande-t-il d'un ton léger, interrompant le fil de mes pensées. Avec toute cette agitation, il semble que j'ai oublié mes bonnes manières.
— Je m'appelle Alice, et voici mon amie Hannah, je dis prudemment, jaugeant sa réaction.
— Alice... répète-t-il doucement. Un nom aussi ravissant que la personne qui le porte.
Son regard se pose sur moi avec une intensité qui me fait rougir malgré moi. Je n'ai pas l'habitude que quelqu'un flirte aussi ouvertement avec moi. Les gens qui me côtoient ont tendance à mesurer chacun de leurs mots, craignant de m'offenser. Cette spontanéité, bien qu'inattendue, est presque... agréable.
Mais cette chaleur est brusquement refroidie par le prince Alexander. Il décoche un regard glacial à son compagnon, une tension palpable s'installant entre eux. Mais lord Victor, loin d'être impressionné, se contente de hausser légèrement les épaules.
— Vous avez eu de la chance que nous soyons dans les environs, reprend-il avec désinvolture, tentant de dissiper la tension. Cette route est rarement empruntée.
Je lève un sourcil, intriguée.
— Vraiment ? Alors, que faisiez-vous ici ? Une chasse improvisée, peut-être ?
Un rire s'échappe de ses lèvres, égayant l'atmosphère par sa chaleur et sa spontanéité.
— Pas de belette à pourchasser aujourd'hui, malheureusement. En fait, si vous voulez tout savoir, nous revenons du royaume d'Amara.
Voyant l'expression de surprise sur mon visage, il poursuit rapidement ses explications.
— Nous y étions pour l'anniversaire de la princesse Enora. Mais, à notre arrivée, on nous a informés que les festivités avaient été annulées. Vous comprendrez que le prince est... disons, quelque peu contrarié d'avoir fait le voyage pour rien.
Il conclut ses paroles avec un léger haussement d'épaules, observant attentivement ma réaction. Je me fige, les mots résonnant dans ma tête. Une lueur d'intérêt passe dans les yeux du Lord, mais il n'insiste pas pour connaître la raison de mon trouble.
Le reste du trajet se déroule dans une ambiance confortable, seulement rythmé par quelques bavardages et par le martèlement régulier des sabots. À mesure que nous progressons dans les terres de Lumia, le paysage se transforme radicalement. Les vastes forêts verdoyantes s'effacent peu à peu, cédant la place à de hautes collines, presque dépourvues de végétation. La nature devient plus sauvage, plus brute. Des torrents impétueux dévalent sauvagement les pentes abruptes des montagnes pointant à l'horizon. Une fine couche de neige recouvre le sol, scintillant à la lumière du crépuscule. Ce royaume, si différent de mon pays natal, exerce sur moi un étrange pouvoir. Il me fascine, me fait me sentir comme une enfant qui découvre le monde pour la première fois.
À plusieurs reprises, je surprends les yeux gris du prince posés sur moi, intenses et troublants comme un ciel d'orage. Il détourne le regard à chaque fois, mais son masque d'indifférence ne trompe personne. Il semble tout aussi dérouté que moi par cette étrange tension qui semble nous lier. Comme si nos destins étaient entrelacés d'une manière que nous ne pouvions pas encore expliquer.
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