Chapitre 89

Nous franchissons lentement le seuil du manoir, nos pas résonnant dans le silence du vestibule. L'intérieur de la bâtisse est l'exact reflet de son extérieur : sombre et lugubre. La pièce est plongée dans une pénombre épaisse, comme si les ténèbres elles-mêmes s'agrippaient aux murs décrépis. L'air est lourd, imprégné d'une abominable odeur de renfermé. Et les meubles, recouverts de poussière, semblent figés dans le temps.

— Personne n'a amené de torche ? grogne Alexander, sa voix résonnant comme un écho dans le hall silencieux. On ne voit rien du tout par ici.

Ses yeux scrutent chaque coin sombre du vestibule. Deux gardes partent en courant chercher de quoi éclairer la pièce, leurs bottes martelant le sol poussiéreux. En attendant leur retour, je décide de mettre à profit mes nouveaux pouvoirs. Je me concentre, essayant de faire confluer ma magie au niveau de mes mains. Lorsque je sens des picotements apparaître au bout de mes doigts, je sais que je suis sur la bonne voie. Quelques instants plus tard, un doux rayonnement commence à s'échapper de mes mains, devenant de plus en plus fort jusqu'à en être presque éblouissant. Je lève mes paumes vers le ciel, laissant échapper de petites bulles de lumière qui se mettent rapidement à emplir la pièce, dissipant les ténèbres environnantes.

Le vestibule, autrefois plongé dans l'obscurité, est maintenant baigné d'une lumière douce et rassurante. Pourtant, une tension persiste dans l'air, comme si les murs eux-mêmes cachaient des secrets inavoués, n'attendant qu'à être découverts.

— Pourquoi aurait-on besoin de torches quand on a Enora ? plaisante Victor, son regard pétillant alors qu'il observe les sphères lumineuses flotter dans l'air.

Il tend la main vers l'une d'elles, voulant la toucher du bout des doigts, mais se retire rapidement en gémissant de douleur.

— Aïe, Enora, contrôlez ces choses, ça fait mal, geint-il.

Je ne peux m'empêcher de rire devant sa moue boudeuse.

— En plus, cela vous amuse. Vous verrez quand je vous ferai goûter à mes pouvoirs.

— Non, merci, je réponds avec un sourire complice.

Tout comme Alexander, Victor maîtrise la magie dite des chevaliers. De ce que j'ai pu voir jusqu'à présent, sa spécialité consiste à créer des ondes de choc, projetant ses ennemis à grande distance rien qu'en les frôlant avec le bout de sa lame. Et à vrai dire, je n'ai pas véritablement envie d'en faire l'expérience.

— Venez tous les deux, nous n'avons pas de temps à perdre, nous rappelle Alexander d'une voix ferme.

Il divise ses gardes en petits groupes, leur donnant des instructions précises.

— Fouillez chaque recoin, ordonne-t-il avec autorité. Nous devons être sûrs qu'il n'y a aucune menace cachée dans ce manoir.

Pendant ce temps, je commence à explorer les pièces une à une, m'aventurant prudemment dans les couloirs sombres et poussiéreux. Toutes les salles où je passe sont d'une banalité affligeante. Des meubles anciens, des toiles d'araignée, des affaires abandonnées à même le sol... Rien ne semble sortir de l'ordinaire. Pourtant, je ne peux m'empêcher de ressentir une sensation étrange, comme si quelque chose n'était pas à sa place.

Dans la bibliothèque sombre et délabrée, mes yeux sont attirés par un livre posé négligemment sur une étagère. Je tends la main pour le saisir, effleurant sa couverture du bout des doigts, mais mon geste provoque une distorsion étrange.

— Alexander ! je crie, le ton empreint d'urgence. Venez voir, il y a quelque chose par ici !

Il accourt à mes côtés, suivi de quelques gardes alertés par mon cri. Son regard se pose sur moi, empli de questions silencieuses.

— Regardez, je murmure, tandis que mes doigts effleurent à nouveau la couverture du livre, faisant vaciller la réalité devant nos yeux.

Une onde invisible semble parcourir la pièce, faisant vibrer les rayons de lumière autour de nous, révélant que ce que nous avons sous les yeux n'est en fait qu'un mirage.

— Un sort de dissimulation... murmure-t-il.

— Exactement. Quelqu'un a manipulé et dévié les rayons lumineux pour créer une illusion, nous faisant voir autre chose que ce qui se trouve réellement dans la pièce. J'ai déjà vu Tobias faire usage de ce type de magie, mais pour jeter un sort d'une telle envergure, il faut posséder une maîtrise phénoménale de la magie de lumière. Ce n'est pas à la portée de tout le monde de recouvrir un manoir entier.

Alexander hoche lentement la tête, l'expression grave.

— Et est-ce que vous savez comment l'annuler ?

Je soupire, m'étant attendue à cette question.

— Il est bien sûr possible pour un mage d'annuler le sort de quelqu'un d'autre, mais ça demande beaucoup de puissance, surtout pour un sortilège comme celui-ci. Je n'ai pas encore assez de maîtrise pour accomplir quelque chose comme ça, je dis, réfléchissant quelques secondes. Mais il y a peut-être un autre moyen.

Alexander me fixe intensément, attendant que je continue mes explications.

— Pour jeter un sort aussi conséquent, et surtout pour être sûr que les effets persistent dans le temps, le mage a forcément dû cacher un objet réservoir dans le manoir, j'explique, sentant l'excitation monter en moi à mesure que je leur expose mes idées. C'est un objet qu'il a chargé de magie, ce qui lui a ensuite permis d'amplifier ses propres pouvoirs. Si nous réussissons à le trouver et à le détruire, j'ai grand espoir que le sortilège se dissipe, ou tout du moins, se fragilise suffisamment pour que je puisse l'annuler.

— Alors qu'attendons-nous ? s'exclame Victor avec impatience. Partons à la recherche de cet objet réservoir.

— J'aime ton enthousiasme, mais nous ne savons même pas à quoi il ressemble, répond Alexander en levant un sourcil, sceptique.

— Ce n'est pas faux, j'admets, réfléchissant rapidement à une solution. Mais un objet contenant une aussi grande quantité de magie sera forcément perceptible par les autres mages. Il nous suffit de laisser nos sens nous guider.

Nous échangeons un regard lourd de sens avant de nous lancer à la recherche de l'objet qui maintient ce sort en place. Je leur conseille de fermer les yeux, de laisser parler leurs instincts de mages, de rechercher cette sensation singulière, ce frisson de magie. Pour ma part, je prends la décision de me déplacer de pièces en pièces, frôlant au passage un maximum d'objets du bout de mes doigts. Néanmoins, après de longues minutes de recherche infructueuse, je commence à désespérer.

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