Chapitre 84
Sans compter le fait que je n'ai aucunement l'intention de tomber entre les bras du prince Alban, je commence à penser qu'Alexander a tort sur toute la ligne.
— Alexander, je pense que vous vous méprenez, je commence avec prudence. Vos parents ne préfèrent pas Alban. Il n'y a qu'à voir la façon dont votre père vous regarde pour voir tout l'amour et toute la fierté qu'il éprouve à votre égard.
— Alors pourquoi ne m'ont-ils jamais laissé faire ce que je voulais ? répond-il, ses sourcils se fronçant dans une expression douloureuse.
— Vous ne vous êtes jamais dit que c'était peut-être parce qu'ils avaient peur pour vous ? Vous avez failli mourir sous leurs yeux... je toupie, secouant doucement la tête. Chaque parent réagit différemment quand son enfant est en danger. Les miens ont préféré me cacher la vérité, les vôtres vous ont surprotégés.
Je plante mon regard dans le sien, voulant lui transmettre toute ma sincérité.
— Ce n'est pas qu'ils ne vous aiment pas, au contraire, c'est qu'ils vous aiment à tel point qu'ils sont incapables d'envisager leur vie sans vous.
— Je n'avais jamais vu les choses de cette façon, murmure-t-il en réponse. Dire que cela fait des années que je tiens mon frère pour responsable de mes malheurs...
— Vous ne devez pas vous blâmer, vous n'aviez pas toutes les pièces du puzzle à l'époque. Et puis s'il est là aujourd'hui, n'est-ce pas la preuve qu'il ne vous en veut pas ?
Il me regarde, un conflit intérieur clairement visible dans ses pupilles.
— Vous avez sans doute raison, acquiesce-t-il finalement. Mais je dois lui présenter des excuses. Dès que toute cette histoire sera terminée, je ferai en sorte de tout arranger.
Je reconnais là l'homme que j'aime, franc et loyal.
Quand nous retournons au campement, il pose une main sur l'épaule de son frère, le surprenant par cette action soudaine. Puis, d'un geste décidé, il demande à ses hommes de se rassembler près du feu. Il se tient là, le visage grave, laissant son regard traîner sur chacun d'eux, comme s'il cherchait à lire jusqu'aux profondeurs de leurs âmes.
— Je sais que beaucoup d'entre vous se questionnent sur la raison qui m'a poussé à demander ce rassemblement, mais je tiens à vous parler une dernière fois avant que nous ne levions le camp. Vous savez tous pourquoi nous sommes ici aujourd'hui, pourquoi nous nous apprêtons à attaquer cette base. Enora court un grand danger. Elle risque sa vie à cause d'une poignée d'hommes qui vivent en dehors de la réalité. D'une confrérie qui ne respecte ni les règles du royaume, ni même le sens commun.
Alexander marque une pause, laissant ses paroles planer dans le silence du campement.
— Si nous prenons une vision plus large, c'est tout le continent que cette secte met en danger. Elle tente de monter les royaumes les uns contre les autres, de déclencher des guerres, de diviser les peuples... Nous ne pouvons pas la laisser faire. Nous ne pouvons pas la laisser jouer avec nos vies comme s'il s'agissait de vulgaires pions sur un échiquier.
Son regard se pose sur moi, ses yeux brûlant de détermination.
— Nous avons tous juré de protéger les faibles et les indigents, de les secourir même au péril de nos vies. Et aujourd'hui, il est venu l'heure de respecter notre promesse. Pour nos royaumes, pour nos familles, nous ne reculerons devant rien !
Le prince se tient droit devant ses hommes, le menton relevé avec fierté. Les flammes du feu de camp dansent derrière lui, rendant sa silhouette encore plus impressionnante. Il dégage un tel charisme que cela en est presque écrasant.
— Ensemble, nous sommes plus forts. Ensemble, nous sommes invincibles. Il est temps de montrer à ces vauriens qu'ils ont eu tort de nous sous-estimer.
Les hommes restent quelques instants bouche bée par le discours du prince, mais quand ils reprennent leurs esprits, ils se mettent à hurler en chœur, frappant dans leurs mains et scandant le nom d'Alexander dans un tumulte de tous les diables. Même son frère se met à applaudir, un sourire fier étirant ses lèvres. Moi-même, je me retrouve prise dans l'euphorie du moment, criant le nom de mon compagnon de toutes mes forces.
— Maintenant, allons leur montrer de quoi nous sommes capables !
Le prince se retourne et d'un geste fluide, dégaine son épée. Je ne tarde pas à le suivre, le sentiment d'urgence me poussant en avant. Je laisse mes pouvoirs prendre le contrôle de mon corps, repoussant tous mes doutes au fond de mon esprit. L'heure n'est plus à l'hésitation, il est temps que je fonce. Les gardes nous emboîtent rapidement le pas. Nous nous déplaçons en parfaite synchronisation, comme si nous ne formions plus qu'une seule entité. Le silence pèse lourdement autour de nous, enveloppant la forêt d'une aura presque inquiétante. Pas un seul cri d'animaux, pas un seul craquement de branches. Même le son de nos pas est étouffé par l'épais tapis de mousse, comme si la nature retenait son souffle, consciente du danger.
En arrivant sur place, nous nous retrouvons face à un silence de mort. L'endroit est tout aussi désert que la forêt que nous venons de traverser. Seules subsistent au sol quelques traces de passage : une épée rouillée, des parchemins froissés, une flasque renversée... Tout autour de nous semble mort, ce qui ne fait que renforcer l'atmosphère oppressante. À ce moment-là, un éclair déchire le ciel, me faisant sursauter. Mes mains agrippent nerveusement les plis de ma robe tandis que je tourne la tête vers Alexander, cherchant des réponses dans son regard. Mais il semble tout aussi désemparé que moi.
— Où sont-ils ?
Le prince secoue la tête, son expression impénétrable.
— Je ne sais pas, mais restez sur vos gardes. Ce silence n'est pas naturel.
Il y a à peine plus de deux heures, toute la base grouillait d'agitation. Il est impossible que ces hommes aient disparu en si peu de temps. Pas sans l'aide de la magie. La tension monte dans l'air, palpable. Je commence à me dire que nous sommes peut-être tombés dans un piège quand un bruit de branche brisée retentit derrière nous, suivi du sifflement menaçant d'un projectile. Nous nous retournons juste à temps pour esquiver une première flèche, réalisant avec horreur que nous avons été encerclés.
Autour de nous, nous pouvons maintenant apercevoir une vingtaine d'hommes cachés dans les fourrés, habilement camouflés derrière les épais branchages. Nous nous sommes fait prendre comme des débutants. Mais même si la situation ne s'annonce pas aussi simple que prévue, nous sommes loin d'avoir dit notre dernier mot.
— Êtes-vous prête ?
Le souffle court, je croise le regard d'Alexander, y lisant la même détermination que celle que je sais briller dans mes yeux.
— Plus que je ne l'ai jamais été.
Il hoche la tête et lève son épée vers le ciel, annonçant ainsi le début de la bataille.
— Alors, allons-y !
La bataille ne fait que commencer.
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