Chapitre 80

Notre voyage a été plus long que prévu, mais après deux jours et deux nuits, nous arrivons enfin à destination. La lumière dorée du crépuscule baigne les sous-bois tandis qu'Alexander nous mène à travers les arbres, scrutant chaque recoin à la recherche d'un endroit propice pour établir notre campement. La forêt est dense et le sol, recouvert d'une épaisse couche de mousse, étouffe nos pas dans un silence presque surnaturel.

Lorsque il repère une zone où les arbres sont un peu plus clairsemés, Alexander ralentit l'allure, donnant le signal d'arrêt. Nous descendons de nos montures avec soulagement, nos corps endoloris réclamant une pause bien méritée après ce long voyage. Rapidement, le prince ordonne à ses hommes de décharger nos affaires. Plus vite le camp est dressé, plus vite nous pouvons élaborer notre stratégie d'attaque. Les gardes s'activent immédiatement, dressant les tentes et allumant les feux de camp avec une efficacité remarquable. Les chevaux sont attachés à des arbres et abreuvés, et l'air se remplit bientôt des odeurs familières de bois brûlé et de potage en préparation.

Une fois les premières tâches accomplies, le prince se glisse à mes côtés, déposant un baiser sur mon front avant de se joindre à ses gardes pour les aider. Cet homme ne s'arrête décidément jamais, et je ne peux m'empêcher de l'admirer pour son dévouement sans limite. Pendant que le camp prend forme, je m'éloigne discrètement du groupe, trouvant un vieux tronc d'arbre sur lequel m'asseoir. Je ferme les yeux, laissant mes pensées vagabonder, bercée par le murmure apaisant de la nature environnante. Quelque chose dans ces lieux me semble étrangement familier, bien que je sois certaine de n'avoir jamais mis les pieds dans cette partie du royaume. Peut-être encore un rêve dont je n'arrive pas à me souvenir ?

— Enora ? m'appelle le prince à voix basse.

En rouvrant les yeux, je le trouve accroupi devant moi, la tête légèrement penchée.

— Cela fait deux fois que je vous appelle, vos pensées doivent être vraiment plaisantes pour que même moi, je ne puisse vous en distraire, dit-il avec une expression mi-inquiète mi-amusée sur le visage.

Je me redresse, lui offrant un sourire d'excuse.

— Je veux juste vous prévenir que je pars repérer les lieux avec quelques gardes. Ne faites pas de bêtises, je n'aimerais pas être obligée de vous attacher à mon retour.

— Pff... Comme si j'allais me laisser faire, je souffle en lui frappant le bras.

— Vous voir essayer de vous défendre ne rendra la chose que plus amusante, réplique-t-il en se relevant, ajustant sa ceinture autour de sa taille.

Je lève les yeux au ciel, lui montrant à quel point ses menaces n'ont aucun effet sur moi. Il me fait un clin d'œil avant de rejoindre ses hommes, ricanant doucement dans sa barbe. J'aurais aimé partir avec eux et voir moi-même à qui nous avons affaire, mais je dois d'abord régler quelque chose ici. Quelque chose que j'ai retardé trop longtemps.

Me levant du tronc d'arbre, je m'approche d'un des gardes, le prévenant que je vais faire un tour et que je n'ai pas besoin de compagnie. L'homme hésite un instant avant d'acquiescer, m'adressant un regard empli de prudence.

— Fais attention, Votre Majesté. Ne vous éloignez pas trop, me conseille-t-il.

Après l'avoir remercié d'un signe de tête, je m'éloigne du campement et m'aventure dans les bois environnants. Alors que mes pas résonnent dans le calme de la forêt, je sens un léger fourmillement naître au bout de mes doigts. Il s'intensifie à chaque pas, se propageant lentement jusqu'à devenir une impression diffuse d'énergie frémissant sous ma peau. Quand je trouve enfin un endroit assez isolé, je me laisse tomber au sol, ouvrant ces vannes que j'ai retenues trop longtemps. Seule dans cette forêt, je peux m'abandonner entièrement, chose que je n'ai jamais réussi à faire jusqu'à présent. Au palais, même si tout le monde m'encourage, la peur de les décevoir me paralyse, m'empêchant de me donner au maximum. Mais maintenant, avec la bataille imminente, je n'ai plus le droit à l'hésitation. L'urgence de la situation m'oblige à dépasser mes limites.

Je ferme les yeux, me concentrant sur la source de ma magie. Peu à peu, je sens mes pouvoirs prendre possession de mon être, inondant chaque centimètre de mon corps de leur puissance et de leur force. Au bout d'un certain temps, les fourmillements s'apaisent, laissant place à une agréable sensation de plénitude. J'ai l'impression que chaque pièce du puzzle a enfin trouvé sa place, que tout prend enfin un sens. Maintenant que ma magie et moi ne faisons plus qu'un, je me sens plus complète que jamais.

Levant une main tremblante, j'expérimente mes nouveaux pouvoirs. Des bulles de lumière jaillissent de mes doigts, s'élevant doucement dans les airs et illuminant l'espace autour de moi. Un sourire émerveillé éclaire mon visage, l'impatience gagnant mon être à la perspective de découvrir ce que je suis désormais capable de faire. Mais mon enthousiasme est rapidement interrompu par une voix qui brise le silence paisible de la clairière.

— Enora...

Je sursaute et me retourne vivement, cherchant l'origine de cette voix mystérieuse, sans succès. Je ferme les yeux un instant, craignant d'être en train de sombrer dans la folie. Mais, derrière mes paupières closes, l'image d'une femme s'impose à moi. Une femme qui me ressemble étrangement. Ses yeux sont remplis de fierté alors qu'elle me regarde avec un léger sourire sur le visage.

— Je m'appelle Anastasie, dit-elle d'une voix douce et mélodieuse.

Sous le choc, je réponds presque machinalement, ma voix légèrement tremblante.

— Enchantée, Anastasie.

Son nom sonne si bien dans ma bouche que j'ai l'impression de l'avoir toujours connu, de l'avoir toujours eu au bout de la langue sans avoir été capable de le prononcer.

— Je suis navrée de n'avoir aucune bonne nouvelle à t'annoncer, dit-elle d'une voix teintée de tristesse, ses sourcils se fronçant légèrement. Tout ce que je peux te dire, c'est que ce qui t'attend ces prochains jours ne sera pas facile. Tu découvriras bien vite que tu n'es qu'au début de ton aventure. Mais sache que quoi qu'il arrive, je serai à tes côtés à chaque instant, présente pour t'épauler dès que tu en ressentiras le besoin.

Je hoche la tête, entendant ses paroles sans véritablement les écouter. Mon esprit est ailleurs, trop inquiet pour que j'arrive à me projeter plus loin que demain.

— Et Alexander ? je demande, préoccupée par le sort de mon compagnon.

— Ne t'en fais pas pour lui, assure-t-elle d'un ton apaisant. Il est fort, il saura s'en sortir.

— Je l'espère sincèrement...

Je peux voir dans son regard qu'elle comprend exactement ce que je ressens. Elle sait ce que cela fait d'être inquiète pour son âme-sœur, terrifiée à l'idée qu'il lui arrive malheur et qu'elle soit obligée de vivre sans lui. Cela a dû être atroce pour elle d'être séparée de son compagnon pendant si longtemps tout en sachant qu'il est là quelque part, trop loin pour qu'elle puisse l'atteindre.

— Ne t'inquiète pas pour moi non plus, je vais bien. Tout ce que tu as à faire, c'est te concentrer sur la bataille et revenir en un seul morceau.

— Vous pensez qu'on sera capable de les vaincre ?

Même si notre avenir est incertain, je veux croire qu'il y a une lueur d'espoir.

— J'en suis persuadée, répond-elle avec une conviction inébranlable. Et quand tu verras enfin Alexander au plus grand de sa force, tous tes doutes s'envoleront.

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