Chapitre 61
Au bout de ce qui semble être une éternité, les cris de douleur cessent, remplacés par un silence presque assourdissant. L'air de la cabane est saturé d'une odeur de sang, le sol jonché des corps des brigands. Alexander se tient au milieu de ce chaos, son épée ensanglantée pendant mollement à son côté.
— Enora, sortez le temps que je nettoie tout ça, dit-il d'une voix étrangement plate, dénuée d'émotion.
Il me tourne le dos, refusant de me regarder, comme si croiser mon regard pouvait le condamner. Ses épaules sont légèrement affaissées sous le poids de ses actes, mais il reste immobile, comme figé dans le temps. Je m'approche timidement de lui et pose ma main contre son dos, lui apportant mon soutien silencieux. Il frissonne légèrement à mon contact, mais ne bouge pas, ses yeux toujours fixés sur le sol.
— Alexander... je murmure, ma voix à peine plus haute qu'un souffle.
Il ne répond pas, ses mâchoires serrées trahissant sa lutte contre ses démons.
— Je vais sortir, mais avant ça, laissez-moi vous dire à quel point je suis fière de vous. Vous avez fait ce qu'il fallait pour me protéger. Pour nous protéger.
Je prends une profonde inspiration, tentant de maîtriser mes propres émotions.
— Vous m'avez promis d'être mon épée face à l'adversité, et maintenant, c'est à mon tour de faire une promesse. À partir d'aujourd'hui, je serai votre bouclier, Alexander. Laissez-moi partager votre fardeau. Reposez-vous sur moi comme je me repose sur vous. Nous sommes une équipe, et ensemble, nous affronterons tout ce qui se dressera sur notre chemin.
Il ne me répond pas, mais son expression s'adoucit légèrement, signe qu'il m'a entendue. Il laisse échapper un petit soupir, comme si tout le poids du monde glissait de ses épaules. Je jette un dernier regard à sa silhouette avant de sortir de la cabane, le laissant accomplir la mission qu'il s'est fixé.
Dehors, la pluie continue de se déverser du ciel, et la forêt elle-même semble retenir son souffle, comme si elle se recueillait après cette scène de violence. Rapidement, un grand fracas retentit dans la clairière, suivi d'une odeur de brûlé qui me fait froncer les narines. Peu après, le prince apparaît à ma vue. Son visage est éclaboussé de sang et ses cheveux collent à sa peau à cause du déluge qui s'abat sur lui. Son apparence est un véritable désordre, et pourtant, je ne peux m'empêcher de le regarder avec admiration.
Il s'est battu pour moi. Il a même tué pour moi. Et Seigneur que je l'aime.
Les flammes qui s'élèvent derrière lui ne font que rajouter au côté surréaliste de la scène qui se déroule devant mes yeux. Voyant que son regard a enfin retrouvé son éclat, je me rapproche de lui et enlace doucement ses épaules, soulagée que son esprit ait cessé de le tourmenter. Ses bras s'enroulent instinctivement autour de ma taille, et il se penche en avant, baissant légèrement la tête pour plonger son regard dans le mien.
— Merci, murmure-t-il.
Nous restons ainsi un moment, savourant simplement la présence de l'autre.
— Maintenant, nous savons où trouver leur repaire, dit-il à voix basse. Mais il va nous falloir des renforts avant de les attaquer.
— Alors retournons au palais, je propose.
— Nous avons promis à Victor de ne pas voyager de nuit, répond-il en secouant la tête. Je ne crains pas particulièrement sa colère, mais je n'ai qu'une parole. Le mieux est de demander le gîte à Marius et de partir dès le lever du soleil.
— Comme vous voulez, je souffle, souriant doucement dans l'obscurité de la nuit.
Il attrape ma main et nous dirige vers la cabane du vieil homme, marchant doucement dans la forêt humide. À notre arrivée, Marius est endormi sur le porche, son visage faiblement éclairé par la lueur de sa lampe. Le bruit de nos pas le réveille en sursaut, et instinctivement, il attrape l'épée posée à côté de lui. Cependant, son expression se détend rapidement en nous reconnaissant, et il relâche son attitude défensive. Nous voyant revenir indemnes, il comprend rapidement que les bandits sont morts et nous adresse un sourire entendu. Il nous guide à l'intérieur, proposant à Alexander d'aller se changer dans la chambre tandis qu'il s'installe avec moi près du feu. La chaleur réconfortante de la cheminée soulage mes membres engourdis par le froid et la pluie. Je rapproche mes mains du feu, savourant cette sensation de bien-être.
— Je suis désolé de n'avoir aucune tenue à vous prêter, me surprend Marius.
— Cela ne fait rien. La chaleur du feu séchera mes vêtements.
Il acquiesce d'un léger mouvement de tête, laissant son regard se perdre dans les flammes crépitantes. Une certaine mélancolie enveloppe ses traits, contrastant avec la sérénité du moment.
— Avez-vous pu obtenir les renseignements dont vous aviez besoin ? demande-t-il finalement, brisant le silence.
— Oui, je réponds, un léger sourire effleurant mes lèvres. Alexander sait se montrer très persuasif quand il le souhaite.
— J'en viendrais presque à plaindre ces pauvres hommes, répond-il avec un soupçon de sourire. Mais au final, ils ont eu ce qu'ils méritaient.
Je partage son avis. Personne ne souhaite se retrouver entre les mains du prince, surtout quand il a un objectif en tête. Avec moi, il est doux comme un agneau, mais quand c'est nécessaire, il peut devenir une véritable machine à tuer. Cette ambivalence est presque effrayante, et pourtant, elle fait partie de ce qui le rend si fascinant.
— Je vous suis reconnaissant de tout ce que vous avez fait ce soir, vous savez, reprend Marius, sa voix légèrement tremblante. Même si ce n'était pas votre objectif, en détruisant cette confrérie, vous avez en quelque sorte aidé à venger la mort de mon âme-sœur. C'est quelque chose que je n'ai jamais pu faire. Mais maintenant, grâce à vous, je peux partir l'esprit en paix.
Je reste silencieuse, respectant le poids des émotions qui l'accablent. On m'a toujours dit qu'un homme ne peut pas survivre longtemps à la perte de son âme-sœur, et je n'imagine pas le courage qu'il lui a fallu pour continuer à se battre pendant toutes ces années. J'admire cet homme, son courage et sa résilience. Si je deviens un jour à moitié aussi forte que lui, je pourrai être fière de moi.
Finalement, il prend une grande inspiration et braque son regard dans le mien, ses yeux brillants de larmes qui ne couleront probablement jamais. Ce regard, plein de gratitude et de tristesse, raconte une histoire que je n'oublierai jamais. Il grave en moi la détermination de me battre pour ceux que j'aime.
— Qu'avez-vous prévu de faire ensuite ? demande-t-il d'une voix tremblante.
— Dès demain, nous irons chercher le reste de l'équipe, répond Alexander, revenant dans la pièce en frottant une serviette dans ses cheveux.
Il enfile une chemise propre et nettoie les dernières traces de sang sur son visage. Il s'approche, se place juste derrière moi et commence à éponger doucement mes cheveux, absorbant l'eau qui coule à grosses gouttes sur mes épaules. Le contact de la serviette, combiné à ses gestes précautionneux, est exactement ce dont j'avais besoin.
— Une fois que nous aurons un plan solide, nous attaquerons leur repaire et nous nous débarrasserons de ces vermines, poursuit-il d'une voix confiante. Quand cette menace sera éliminée, nous aurons enfin le temps de nous pencher sur cette histoire de prophétie et d'essayer de comprendre ce qu'elle implique pour Enora.
— Je vous souhaite bien du courage, ce ne sera pas une tâche facile, accorde le vieil homme. Je vais vous laisser vous reposer. Vous trouverez des couvertures dans le coffre près de la porte. Si vous avez besoin de moi, je serai dans la chambre.
Sur ces mots, il quitte la pièce, nous laissant dans un silence confortable. Le crépitement du feu et le clapotis de la pluie créent une atmosphère sereine.
Alexander part chercher de quoi nous couvrir et installe un lit de fortune devant la cheminée. Je le rejoins rapidement, me couchant à ses côtés.
— Dormez, ma douce, demain sera un autre jour, murmure-t-il à mon oreille.
Je ferme les yeux, sentant ses bras se resserrer autour de ma taille. Malgré les épreuves qui nous attendent, à cet instant précis, je me sens en paix.
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