Chapitre 57

Ma sensation de malaise s'intensifie, et d'après l'expression d'Alexander, je peux affirmer qu'il a lui aussi senti la présence menaçante dans notre dos. Il vérifie toutefois les alentours, évaluant chaque recoin comme s'il pouvait dissimuler une menace invisible. Nous ne sommes jamais trop prudents.

— C'est plutôt à moi de vous poser cette question, réplique une voix rauque, tranchante comme une lame. Vous feriez bien d'avoir une excellente raison de pénétrer sur mes terres.

Nous nous retournons lentement pour faire face à un homme, son arbalète tendue dans notre direction. Son visage vieillissant porte une expression renfrognée et son regard est voilé de menaces. S'il s'agit bien de l'ami de mon grand-père, il ne nous a pas menti quant à son manque d'hospitalité. L'homme jauge Alexander, le dévisageant de la tête aux pieds. Sa posture est défensive, prête à la confrontation, mais à l'instant où ses yeux se posent sur mon visage, son expression change du tout au tout. Il se fige, un éclair de reconnaissance traversant son regard.

— Anastasie ? murmure-t-il, incrédule.

Il laisse tomber son arbalète et avance lentement vers nous, tendant une main tremblante dans ma direction. Alexander réagit immédiatement et me place derrière lui, son expression mêlant colère et détermination. Il intime à l'homme de ne pas avancer davantage, sa voix s'élevant avec force dans le calme de la forêt.

— Non, ce n'est pas possible, je dois être en train de rêver, chuchote l'homme, plus perdu que jamais.

La main d'Alexander me tient fermement, m'empêchant de bouger. Je peux sentir la tension qui parcourt son corps, faisant trembler ses muscles de façon presque imperceptible. Il est sur le point de perdre le contrôle, et je sais qu'il faut agir vite pour éviter un affrontement inutile. Je place doucement ma main sur son dos, murmurant des paroles apaisantes que lui seul peut entendre.

— Alexander, tout va bien, il ne veut pas me faire de mal.

Il ne m'écoute pas, concentré sur l'homme en face de lui. Après quelques instants de lutte intérieure, il parvient à contenir sa rage et se redresse de toute sa hauteur, fixant l'homme d'un regard que je devine empli de mépris.

— Je ne sais pas ce que vous voulez à Enora, mais si vous souhaitez garder vos deux bras attachés à votre torse, ne vous avisez pas de poser un seul doigt sur elle, crache-t-il d'un ton glacial.

— Enora ? questionne le vieil homme, visiblement troublé.

Il recule d'un pas, comme frappé par les paroles du prince. Après quelques secondes, il semble retrouver ses esprits et frotte ses mains sur son visage avec lassitude. Quand il relève les yeux vers nous, son regard exprime tristesse et résignation.

— Pardonnez-moi, il semblerait que je vous ai confondue avec une vieille amie à moi, dit-il enfin, la voix teintée de souvenirs amers.

Il secoue la tête, comme pour chasser les fantômes du passé, avant de reprendre une expression renfrognée.

— Assez parlé de moi, reprend-il. Qui êtes-vous, et que faites-vous sur mes terres ?

Sa voix a retrouvé une certaine dureté, bien qu'avec un peu moins d'animosité.

Je donne un coup de coude à Alexander, l'incitant à se montrer moins hostile. Il fait un pas en avant et tend une main au vieil homme, l'invitant à laisser ce malentendu derrière eux.

— Je suis Alexander, se présente-t-il. Et voici Enora, ma compagne d'âme.

L'homme regarde sa main avec méfiance avant de l'attraper et de la serrer dans la sienne, ses doigts rugueux se refermant autour de ceux du prince. J'en profite pour me placer aux côtés d'Alexander, posant une main dans le creux de son bras.

— Marius, répond simplement le chasseur, son regard scrutant le nôtre avec une intensité presque inquiétante.

Les deux hommes se toisent un instant avant qu'Alexander ne prenne la parole, sa voix teintée d'une légère hésitation.

— Je vous prie de bien vouloir excuser mon emportement. Je ne suis jamais vraiment enclin à plaisanter avec la sécurité de mon entourage, mais lorsqu'en plus il s'agit d'Enora, je peux devenir un vrai sauvage.

Marius hoche la tête, une compréhension tacite passant entre les deux hommes. Probablement une sorte de code d'honneur masculin, des règles secrètes que je ne suis pas supposée connaître.

— Maintenant que les présentations sont faites, puis-je savoir ce que vous me voulez ? demande le vieil homme en croisant les bras sur sa poitrine.

— Mon grand-père nous a indiqué où vous trouver, en espérant que vous puissiez nous aider dans notre quête, je réponds d'une voix calme.

— Votre grand-père ? relève-t-il, son expression traduisant une curiosité grandissante.

— Oui, le roi Charles de Caerleon, je précise.

Ses sourcils se relèvent sous l'effet de la surprise et toutes les pièces semblent se mettre en place dans son esprit. Je vois une multitude d'interrogations se bousculer dans son regard, mais il réprime sa curiosité et se concentre sur les raisons de notre venue.

— Et en quoi pensez-vous que je puisse vous aider ?

— Auriez-vous entendu parler de la Confrérie des Ombres ? je demande avec un mélange d'intérêt et d'appréhension.

Son visage se ferme à l'entente de mes paroles, ses traits se durcissant instantanément. Il détourne les yeux, une lueur douloureuse dans le regard.

— Je les connais malheureusement que trop bien, répond-il avec amertume. Pour tout vous dire, j'aurais préféré ne jamais avoir à faire à eux.

— Comment ça ? interroge Alexander, perplexe.

— Ce sont ces êtres abjects qui ont ôté la vie de ma femme.

Le silence retombe, lourd et douloureux, avant que Marius ne reprenne la parole d'une voix tremblante.

— Depuis ce jour, je n'ai de cesse de souhaiter leur mort. Mais ils sont bien trop nombreux, et moi bien trop vieux pour que je puisse espérer les vaincre.

— Ils ont aussi tenté de nuire à quelqu'un à qui je tiens, dit le prince en passant un bras autour de mes épaules, me rapprochant de lui. C'est pour cette raison que nous sommes là, parce que nous voulons leur perte au moins autant que vous, si ce n'est plus.

Le regard de Marius navigue entre le visage d'Alexander et le mien, essayant de juger à quel point il peut nous faire confiance. Ce qu'il voit doit le convaincre, car il commence à se diriger vers sa cabane, nous invitant à le suivre.

— Venez me raconter votre histoire.

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