Chapitre 54
Pendant les minutes suivantes, Alexander raconte tout ce qu'il sait de cette organisation. C'est-à-dire pas grand-chose. Mon grand-père l'écoute attentivement, cherchant dans ses paroles quelque chose qui pourrait lui mettre la puce à l'oreille.
— Je n'ai jamais entendu parler de cette Confrérie, dit-il finalement, ses yeux trahissant une certaine frustration. Peut-être parce qu'elle n'a jamais sévi dans le royaume de Caerleon. Je suis désolé de ne pas pouvoir vous aider davantage dans cette affaire.
Le prince soupire de déception. Il avait mis tellement d'espoir en mon grand-père, attendant tellement de lui, qu'il ne peut s'empêcher d'être déçu. Cependant, avant que le découragement ne prenne totalement le dessus, le vieil homme reprend calmement la parole, son visage s'éclairant d'une nouvelle résolution.
— Je ne suis peut-être pas en mesure de vous donner plus d'informations, mais je connais quelqu'un qui pourrait vous aider.
Je tourne la tête vers lui, pleine d'espoir.
— Qui donc ? je questionne, ma voix vibrante d'impatience.
— Mon vieil ami Marius. Je peux vous indiquer où le trouver, ce n'est pas très loin d'ici, mais je préfère vous mettre en garde, il n'est pas très commode.
Ces mots ne me rassurent guère, mais si je veux obtenir des réponses, je ne peux pas me permettre de faire la fine bouche. Voyant l'expression sur mon visage, mon grand-père essaie aussitôt d'apaiser mon inquiétude.
— Je te rassure, il n'est pas méchant, seulement un peu abrupt de prime abord. C'est juste un vieil ermite qui a perdu l'habitude de recevoir de la visite. Mais si vous lui dites que vous venez de ma part, cela devrait le dérider un peu.
— D'où le connaissez-vous ?
— C'est une longue histoire, mais je vais te la raconter si cela t'intéresse.
Je hoche vivement la tête, impatiente d'en savoir plus sur la vie de cet homme que j'affectionne tant.
— Ma rencontre avec Marius remonte à bien des années. J'ai fait sa connaissance au cours d'une partie de chasse. Je n'étais pas très doué à l'époque, et je faisais fuir tous les animaux avant même d'avoir pu m'approcher suffisamment pour les avoir dans mon viseur. Pourtant, en dépit de mon manque flagrant de talent, j'étais extrêmement arrogant, et pour rien au monde, je n'aurais accepté les conseils de qui que ce soit. Enfin, jusqu'à ce que ce jeune homme arrive et remette en question tout ce que je pensais savoir. Il m'a donné une leçon, pas seulement de chasse, mais également d'humilité. Il m'a appris à ne jamais regarder quelqu'un de haut, et surtout, à ne jamais refuser l'aide de quelqu'un sous prétexte d'en savoir plus que lui. C'est à partir de ce jour que nous sommes devenus amis.
— Mais pourquoi est-il parti du royaume de Caerleon ? je demande, perplexe.
— Nous allons y venir, répond-il avec un petit sourire. Comme je le disais, Marius et moi sommes devenus très proches. Nous passions beaucoup de temps ensemble, principalement dans les bois, plus rarement en ville, mais jamais au palais. Cependant, un beau jour, alors que ma cheville était blessée, il a tenu à s'assurer que je rentre en toute sécurité.
Il a les yeux perdus dans le vide, revivant d'anciens souvenirs. Les flammes de la cheminée projettent des ombres dansantes sur son visage marqué par le temps.
— C'est ainsi qu'il fit la connaissance d'Anastasie, ma plus jeune sœur, et qu'il en tomba irrémédiablement amoureux. Ses sentiments pour elle étaient purs, profonds, et surtout réciproques. Ils commencèrent à se voir en cachette, mais bien vite, mon père découvrit leur aventure et la condamna fermement. Marius était un homme simple, un homme du peuple, et mon père était un vieil aristocrate orgueilleux. Il refusa catégoriquement de laisser sa fille fréquenter un simple roturier. Mais c'était sans compter sur la fougue et la détermination d'Anastasie, qui refusa de laisser qui que ce soit lui dicter sa conduite. Marius et elle s'enfuirent dans le royaume d'Amara pour être libres de vivre leur amour. Ce fut la dernière fois que je les vis.
Son visage se plisse dans une expression douloureuse, et à ce moment-là, je comprends que son histoire ne va pas bien se terminer.
— Quelques années plus tard, j'ai appris qu'Anastasie était morte, tuée sous les coups de bandits qui avaient pris d'assaut leur village. Depuis ce jour, Marius s'est exilé au fond de la forêt. De temps en temps, j'envoie quelqu'un vérifier qu'il va bien, et à chaque fois, il accueille mon éclaireur à grands coups d'épée. Quelque part, cela me rassure, cela me montre qu'il n'a pas encore complètement abandonné.
Je prends quelques instants pour réfléchir aux paroles de mon grand-père. Ce Marius a eu une vie très difficile, personne ne peut le nier. Et j'en suis désolée pour lui. Mais je ne comprends pas bien en quoi il pourrait nous aider. Si cela fait vraiment des années qu'il vit en ermite, je ne vois pas comment il serait capable de nous apporter quelque information que ce soit sur la Confrérie des Ombres.
Ne voulant pas vexer mon grand-père, je me retiens toutefois d'exprimer ces pensées à voix haute. Alexander, cependant, n'a pas le même tact.
— Sans vouloir vous offenser, j'ai du mal à saisir comment cet homme pourrait nous être utile, dit-il avec un scepticisme évident.
Je lui donne un léger coup de coude, mais il me regarde avec incompréhension. Quel imbécile. Heureusement, le roi ne semble pas offusqué. Au contraire, il semble même amusé par la franchise du prince de Lumia.
— Marius connaît ces bois mieux que personne, et si quelqu'un peut vous donner des informations sur la Confrérie, c'est bien lui. Il est peut-être solitaire, mais il est loin d'être coupé du monde. Croyez-moi quand je vous dis que ses oreilles traînent partout. Si quelqu'un trouble les terres du royaume, il est impossible qu'il ne soit pas au courant.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top