Chapitre 39
N'attendant pas une seconde de plus, je me précipite à sa suite. Je le trouve en train de faire les cent pas dans les jardins, marmonnant des choses incompréhensibles. Le vent souffle autour de nous, agitant les feuilles dans un murmure lointain.
— Alexander ? je l'appelle doucement, une pointe d'anxiété perçant dans ma voix.
Il se retourne vivement à l'entente de ma voix et se rapproche à grandes enjambées. En quelques secondes, il se tient devant moi, attrapant mes épaules entre ses mains.
— Enora, je ne sais plus quoi faire, je ne sais plus quoi penser. J'ai l'impression que toute mon existence n'est qu'un vaste mensonge.
Je veux le rassurer, lui dire que tout va s'arranger, mais moi-même je ne sais pas ce que l'avenir nous réserve, mes propres doutes et incertitudes menaçant de me submerger. Devant mon absence de réponse, Alexander se remet à arpenter nerveusement les jardins, passant furieusement une main dans ses cheveux bruns.
— Je n'ai jamais souhaité cette vie. Je n'ai même jamais voulu régner sur le royaume de Lumia ! s'exclame-t-il avec frustration.
— Alexander... je tente d'une petite voix.
Il continue son monologue, comme coupé du monde extérieur.
— Tout est de ma faute. Si seulement j'avais réussi à arrêter ce mage, rien de tout cela ne serait jamais arrivé...
— Alexander ! je crie soudain, l'interrompant dans son élan.
Il s'immobilise enfin, son regard se fixant sur moi avec surprise. Je m'approche de lui, saisissant fermement ses mains dans les miennes.
— Je sais que ça fait beaucoup de choses à encaisser, mais j'ai besoin que vous restiez calme, je murmure, mes yeux cherchant les siens. Vous êtes la personne la plus forte que je connaisse, vous êtes tout à fait capable de faire face à cette situation.
Il me fixe intensément, le souffle court, comme s'il luttait pour maîtriser ses émotions.
— Cette prophétie, c'est mon histoire, mon destin, je continue d'une voix légèrement tremblante. Rien ne vous oblige à vous impliquer davantage. Vous avez votre propre vie, vos propres batailles. Personne ne vous en voudra si vous décidez de retourner dans votre royaume.
Il secoue la tête avec tristesse, ses mains serrant les miennes un peu plus fort.
— Vous ne comprenez pas, Enora...
Il ferme les yeux, cherchant ses mots dans le silence des jardins. Lorsqu'il les rouvre, une flamme intense brûle dans son regard, une détermination qui me laisse sans voix.
— Ce n'est pas une question d'obligation, reprend-il, chacun de ses mots pesé avec soin. Je ne veux pas rester à vos côtés parce que je m'y sens obligé, ni parce que mon père m'a ordonné de vous protéger. Je veux rester parce que c'est ce que mon coeur désire. Parce que je ne supporte pas l'idée qu'il puisse vous arriver quelque chose. Parce que vous me plaisez, Enora, avec une force que vous ne pouvez même pas imaginer.
Il s'arrête un instant, prenant une profonde inspiration.
— Et même si je sais que mon attirance n'est pas réciproque, je ne peux me résoudre à vous abandonner à votre sort. Je veux vous soutenir, vous protéger, vous aider à accomplir votre destin. Je serai votre épée, puissante et inflexible, prête à vous défendre envers et contre tout. Alors servez-vous de moi pour alléger votre fardeau.
Ses mots résonnent en moi avec une intensité que je ne peux ignorer. Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine, mes pensées se bousculent dans mon esprit. Incapable de résister à cette attraction magnétique, je me précipite vers lui, enlaçant son cou et posant mes lèvres sur les siennes avec une urgence désespérée. Il reste décontenancé l'espace d'un instant avant de m'attraper par la taille et me plaquer fermement contre son torse. Ses bras se resserrent autour de moi, comme s'il craignait que je ne m'échappe. Puis il approfondit le baiser, passant sa langue sur mes lèvres avec une lenteur délibérée. Chaque fibre de mon être semble renaître à son contact, chaque doute s'évanouissant dans la chaleur de cette étreinte.
Au bout d'un moment, il finit par rompre le baiser et pose son front contre le mien. Nos souffles se mêlent alors que nous tentons difficilement de reprendre contenance. Il plonge son regard dans le mien, m'étourdissant par son intensité.
— Ne dites plus jamais que votre attirance n'est pas réciproque, je murmure contre ses lèvres. Je n'ai peut-être que peu de souvenirs de mon passé avec vous, mais mon attirance, elle, est intacte. J'ai ressenti ce lien entre nous dès la seconde où nos regards se sont croisés. Même si je ne sais pas encore exactement ce que tout cela signifie, je ne veux rien de plus que le découvrir à vos côtés.
Une lueur de soulagement brille dans son regard, me faisant comprendre à quel point il avait besoin d'entendre ces mots. Il se penche vers moi, prêt à m'embrasser à nouveau. Un frisson d'anticipation parcourt ma colonne vertébrale à mesure que je le vois se rapprocher. Je ferme les yeux, attendant ce contact tant désiré. Mais malheureusement, nos gestes sont brutalement interrompus par des bruits de pas. Je me recule vivement, tentant de remettre de l'ordre dans mes cheveux et de retrouver un semblant de prestance alors que Lord Victor surgit derrière nous.
— Oh, je vois que j'interromps quelque chose d'intéressant. Vous m'en voyez désolé, dit-il sans la moindre trace de remords, arborant son habituelle expression narquoise.
J'ai envie de nier, mais le sourire sur le visage du prince ne laisse planer aucun doute quant à ce qu'il vient de se passer.
— J'espère que tu as une excellente raison de venir nous déranger, réplique Alexander, son sourire taquin cachant malgré tout une pointe de frustration.
Victor rigole de bon cœur, et le prince profite de ce moment de flottement pour passer un bras autour de mes épaules. Je suis désormais plus rouge qu'une tomate, et je n'ai qu'une envie : terrer mon visage dans le cou d'Alexander.
— En fait, je commence à avoir très faim... répond le Duc d'une voix traînante.
— Tu es en train de me dire que tu nous as interrompus parce que tu n'es pas capable de supporter les grognements de ton estomac ? demande le prince en avançant lentement vers son ami, un mélange d'irritation et d'amusement se peignant sur ses traits.
Voyant le hochement de tête de son ali, il se lance à sa poursuite, lui criant qu'il va le regretter. Quant à moi, je porte la main à mes lèvres, regrettant d'avoir été interrompue.
— Victor, je vais te tuer !
— Aaah, vous ne me rattraperez pas !
Un sourire amusé flotte sur mes lèvres alors que je regarde les deux gaillards se courir après comme des enfants. Quoi qu'il en soit, je ferais mieux de rejoindre mon père avant qu'il ne commence lui aussi à s'imaginer des choses erronées.
— Tu es enfin là, s'exclame-t-il en me voyant revenir. Comment va Alexander ?
— Il va mieux, je réponds en prenant place près de lui, essayant d'empêcher mes pensées de dériver vers le visage du prince.
— Avant que tes deux amis ne reviennent, j'aimerais te dire quelque chose.
Aussitôt ses paroles quittent ses lèvres, je lui accorde toute mon attention.
— Je vous écoute.
— J'aimerais organiser une fête pour ton retour. Cela ne sera pas aussi grandiose que la célébration qui était initialement prévue, mais je ne peux pas laisser passer ton vingtième anniversaire sans le fêter comme il se doit.
Je suis prise de court par sa proposition, me sentant touchée par son geste.
— Vous n'êtes pas obligé...
Il secoue la tête avec un sourire bienveillant.
— Bien sûr que si, mon enfant. Et puis de toute façon, j'ai déjà donné des instructions aux domestiques pour commencer les préparatifs. La fête aura lieu demain soir, je suis impatient de te voir danser avec ton prince, ajoute-t-il avec un clin d'œil complice.
— Père ! je m'exclame en rougissant légèrement, gênée par sa remarque.
Les deux hommes reviennent rapidement et la soirée se poursuit ainsi, dans les rires et la bonne humeur. Je suis heureuse d'être de nouveau auprès de mon père, mais la fatigue commence à me rattraper. Je n'ai plus qu'une hâte : rejoindre la chaleur de mon lit. Je leur souhaite alors une bonne nuit, embrassant tendrement mon père sur la joue avant de me diriger vers la porte.
— Enora, permettez-moi de vous raccompagner, propose le prince en se levant de sa chaise, interrompant le fil de mes pensées.
J'acquiesce, reconnaissante pour sa compagnie. Nous marchons ensemble jusqu'à ma chambre, nos pas résonnant dans le couloir désert. Arrivée devant ma porte, je ressens une légère appréhension. Je me sens troublée, ne sachant comment me comporter avec lui maintenant que nous avons mis nos cœurs à nus. Alexander s'approche de moi, attrape ma main dans la sienne et la porte lentement à ses lèvres. Ses yeux reflètent une tendresse inattendue tandis que ses lèvres effleurent l'intérieur de mon poignet. Je retiens mon souffle, mon cœur s'emballe sous l'effet du désir qui emplit mon corps.
— Je vous souhaite une bonne nuit, murmure-t-il avant de s'éloigner, me laissant légèrement décontenancée par ce qu'il vient de se passer.
Je reste là un instant, incapable de bouger, submergée par la force des émotions que cet homme fait naître en moi. Puis, avec un dernier regard dans sa direction, je franchis le seuil de la porte, mon esprit encore embrumé par ce geste chargé d'affection.
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