Chapitre 38

Je demeure immobile, comme pétrifiée. Au fond de moi, j'espérais encore que cette prophétie ne soit qu'une invention de Tobias, une histoire façonnée par son esprit malade pour tenter de justifier ses actions. Mais en un instant, mon père a réduit tous mes espoirs à néant. Sentant mes jambes fléchir, je retourne m'asseoir près d'Alexander, recherchant du réconfort dans sa présence. Il attrape doucement ma main dans la sienne, percevant immédiatement mon malaise.

— Je suis désolé de ne pas t'en avoir parlé plus tôt, souffle mon père d'une voix rauque, chargée de remords.

— Alors la prophétie existe vraiment ?

— J'en ai bien peur...

Il marque une pause, cherchant ses mots.

— Lorsque tu es née, avec ta mère, nous étions au comble du bonheur, commence-t-il, un léger sourire éclairant brièvement son visage. Nous t'avions attendue tellement longtemps, tu étais la concrétisation de notre amour. Selon les traditions de ta famille maternelle, nous t'avons amenée voir un oracle pour que tu reçoives sa bénédiction. Malheureusement, au lieu de t'accorder force, sagesse ou bien beauté, l'homme nous a délivré des fragments d'une ancienne prophétie.

— Que disait-elle ? le coupe Alexander, impatient.

Mon père lui jette un bref regard avant de poursuivre calmement son récit.

— Dès le premier instant, nous avions su que tu étais spéciale, nous n'avions tout simplement pas réalisé à quel point. J'avais bien sûr entendu parler de cette légende lorsque j'étais petit, mais je pensais qu'elle n'était que cela, une légende. J'avais tellement peur que ma petite fille soit entraînée dans de sombres machinations que j'ai préféré garder le silence à ce sujet, espérant ainsi te protéger de ce dangereux destin.

— Vous ne comptiez jamais m'en parler ?

Ma voix tremble de manière presque imperceptible, mon cœur serré à l'idée que mon père ait pu me cacher une chose aussi importante.

— Bien sûr que si, mon enfant. J'avais prévu de te parler de la prophétie le lendemain de ton anniversaire. Mais malheureusement, tu avais déjà disparu.

Je ne sais plus quoi dire face à ces révélations, mon esprit en ébullition tente de saisir l'ampleur de ce que mon père vient de me dévoiler.

— Et Alexander alors ? Pourquoi ne pas m'avoir dit que je le connaissais ?

Celui-ci se tend à l'entente de son prénom.

— C'était pour votre bien, répond simplement le roi.

— Racontez-nous tout depuis le début, s'il vous plaît, intervient le prince.

Il baisse la tête, ses cheveux bruns tombant devant ses yeux, m'empêchant de croiser son regard et de déterminer ce qu'il ressent réellement.

— Je connais ton père depuis bien des années. Nous nous sommes rencontrés lors d'une fête, et nous sommes rapidement devenus inséparables. Nous étions comme des frères, faisant tout ensemble, les cours, la guerre, et même tomber amoureux. Malheureusement pour lui, c'est moi qui ai réussi à conquérir le cœur de la belle princesse de Caerleon, ajoute-t-il avec un sourire. Tout ça pour dire que nous étions très proches, et que c'est pour cette raison que vous vous êtes rencontrés avant même de savoir marcher. Nous avons fait en sorte que nos enfants passent le plus de temps possible ensemble, grandissant en connaissant le bonheur d'avoir une grande famille. Nous pensions avoir réussi jusqu'au jour où cet accident est arrivé...

Il s'interrompt, son regard se perdant dans le lointain avant de revenir vers mon visage.

— Vous avez été attaqués par un mage noir, et Alexander, voulant te protéger, fut grièvement blessé. Au bout d'une semaine, il ne se réveillait toujours pas, et toi ma fille, tu dépérissais. Tu refusais de quitter son chevet, même pour un instant, arrêtant de t'alimenter et te laissant mourir à petit feu. C'est ainsi que nous avons compris que vous étiez plus que deux adolescents entichés l'un de l'autre : vous étiez destinés à être ensemble. Ton âme ne pouvait supporter d'être séparée de sa deuxième moitié, pas quand elle était dans un tel état de faiblesse, même au péril de ta propre vie. Prise de panique à l'idée de te perdre, ta mère a tenté l'impossible pour sauver la vie de ton âme-sœur. Elle était une guérisseuse très douée, la meilleure de sa génération, mais la magie noire était trop puissante. Elle a réussi à sortir Alexander du coma, mais cela l'a affaiblie à un point inimaginable...

— Vous voulez dire que sa maladie... je lâche dans un souffle, réalisant tout à coup ce qui a réellement fait succomber ma mère.

— Oui, la magie noire était comme un poison dans son corps, la consumant à petit feu. Mais même si elle savait que cela allait lui coûter la vie, elle n'a jamais regretté son sacrifice. Elle était apaisée de savoir que tu pourrais un jour retrouver ton âme-sœur et vivre heureuse à ses côtés. Malheureusement, nous n'avions pas prévu que le jeune prince, en se réveillant, aurait perdu tout souvenir de toi...

Alexander me regarde, ses yeux trahissant un profond désarroi face aux paroles du roi. Dans ses prunelles, je peux lire un mélange d'inquiétude et de confusion, comme s'il cherchait désespérément les mots appropriés pour exprimer ce qu'il ressent.

— Cela n'explique pas pourquoi je n'ai plus aucun souvenir, moi non plus.

Mon père prend une profonde inspiration avant de répondre, la voix empreinte de regrets.

— Nous avons voulu te protéger, t'empêcher de ressentir la douleur de la perte de ton âme-sœur. Ce n'était peut-être pas la meilleure solution, mais nous avons décidé de t'effacer la mémoire. C'est pour cette raison que nous t'avons emmenée chez ton grand-père, dans le royaume de Caerleon. Il a emprisonné tes souvenirs dans le collier de ta mère, effaçant ainsi ta peine et te permettant de continuer ta vie paisiblement.

Mes yeux se posent instinctivement sur le collier, réalisant soudain son rôle dans cette histoire. Cela explique pourquoi il chauffe chaque fois que mes souvenirs menacent de refaire surface. La gorge serrée, je tente de digérer cette information.

— Comment avez-vous pu me faire ça ? Vous avez pensé une seule seconde à ce que je pourrais ressentir ?

Mes larmes menacent de déborder, mais je les retiens de toutes mes forces, cherchant à garder une certaine dignité. Le roi, quant à lui, baisse les yeux, la culpabilité se peignant sur ses traits.

— Nous pensions que cette souffrance ne serait que temporaire et que tout s'arrangerait. Je vois aujourd'hui que c'était une erreur. Je suis désolé, je n'ai jamais voulu te faire de mal. Tu es la chose la plus précieuse que j'ai en ce monde, je cherchais seulement à te protéger.

Ses mots résonnent dans mon esprit. Il me faudra du temps pour digérer tout cela, pour encaisser ce qui m'a été caché durant toutes ces années. Mais malgré ma douleur, je sais déjà que je ne pourrai jamais en vouloir à mon père d'avoir tout fait pour me protéger.

— Et pour ce qui est de la prophétie ?

Il soupire, fermant brièvement les yeux, puis fixe son regard dans le mien.

— Malheureusement, je crains de ne pas vous être d'une grande aide. J'étais tellement préoccupé à l'idée qu'il t'arrive malheur que j'ai repoussé cette histoire au plus profond de mon esprit, ne faisant aucune recherche de peur de découvrir quelque chose qui alimenterait mes angoisses. Mais je vous promets de tout faire pour que vous obteniez les réponses dont vous avez besoin.

En entendant cela, Alexander se lève brusquement, visiblement contrarié, et quitte la pièce sans un regard en arrière. Je reste figée, mon cœur tambourinant dans ma poitrine, partagée entre l'envie de le suivre et celle de poser d'autres questions à mon père.

— Rattrape-le, il a besoin de toi. Nous aurons tout le temps de reprendre cette conversation plus tard.

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