Chapitre 3

Secouant la tête pour chasser ces pensées invasives, je décide de me mettre en route vers mes quartiers. Les couloirs sont étonnamment silencieux et seul le craquement discret du parquet accompagne la progression. Pour ne pas laisser mon esprit divaguer, je tente de me concentrer sur de petits détails tout autour de moi : le parfum subtil de pivoines qui flotte dans l'air, les reflets d'or sur les moulures, la lumière tamisée qui filtre des fenêtres...

— Mademoiselle ! Attendez, s'il vous plaît !

Je me retourne brusquement, surprise de voir un valet s'approcher de moi, le visage rouge et dégoulinant de sueur. Ses épaules se soulèvent et s'abaissent rapidement sous l'effort, et il lui faut quelques secondes pour retrouver son souffle.

— Pardonnez-moi de vous déranger, mais les cuisinières ont besoin de votre approbation pour la décoration du gâteau, annonce-t-il d'une voix pressée, visiblement soulagé de m'avoir rattrapée. Le roi veut s'assurer que tout soit à votre goût.

Je hoche la tête, à peine étonnée par le perfectionnisme presque obsessionnel de mon père. Avant que je ne puisse répondre, le valet se met en marche, m'invitant à le suivre d'un geste rapide. Ce que je fais sans réfléchir. Pourtant, à mesure que nous progressons dans les couloirs, une vague d'inquiétude s'insinue en moi. Le valet change sans cesse de direction, empruntant des chemins pour le moins inhabituels. Deux possibilités m'apparaissent : soit il ne sait pas où aller — ce qui semble peu probable pour un serviteur du palais — soit il me guide sciemment dans la mauvaise direction. Et cette deuxième option, bien que beaucoup plus alarmante, commence à prendre forme dans mon esprit.

— Où allons-nous ? je demande tout à coup.

— Dans les cuisines.

Son regard fuyant me donne toutes les réponses dont j'avais besoin. Je m'arrête brusquement, le forçant à me faire face.

— J'habite ce palais depuis ma naissance. Je sais parfaitement comment me rendre aux cuisines, et ce n'est pas de cette manière-là.

— Allons, mademoiselle. Venez, nous devons nous dépêcher.

Son ton pressant, presque condescendant, m'irrite au plus haut point.

— Il en est hors de question, je lâche fermement, ma voix coupant court à son insistance. Je ne bougerai pas tant que vous ne m'aurez pas dit la vérité.

Je soutiens son regard, les bras croisés sur ma poitrine, déterminée à ne pas céder. Un éclair de contrariété traverse ses traits, mais il se reprend rapidement.

— Très bien, si vous insistez, dit-il en levant les mains en signe de reddition. Mais ne dites pas que je ne vous ai pas prévenue.

Il marque une pause, comme s'il pesait ses mots avec le plus grand soin.

— Le roi vous a préparé une surprise et m'a demandé de vous y conduire discrètement, mais il faut croire que je suis un moins bon menteur que je ne le pensais.

Il tente un sourire maladroit, accompagné d'un rire nerveux. Son expression défaite provoque en moi une bouffée de remords. Mon père se donne tant de mal pour rendre cette journée spéciale, et moi, j'ai réussi à anéantir tous ses efforts en une fraction de seconde.

— Je vous en prie, ne dites rien à mon père, je tente de me rattraper, les yeux suppliants. Je promets de jouer le jeu.

Le valet hoche la tête, son expression redevenue indéchiffrable.

— Comme vous le souhaitez, mademoiselle. Maintenant, suivez-moi, s'il vous plaît.

Je m'empresse de le suivre, mais mon malaise ne disparaît pas. Le chemin qu'il emprunte nous emmène dans une aile reculée du palais, un coin où personne ne met jamais les pieds. Les couloirs sont sombres, les murs dépourvus de décoration. Même l'air semble plus lourd, chargé d'une odeur de poussière et de renfermé.

Le serviteur s'arrête finalement devant une petite porte en bois et me fait signe de rentrer. J'hésite un instant, ne parvenant pas à me défaire de la sensation que quelque chose ne va pas, mais je finis par chasser mes doutes et je pénètre dans la pièce.

Pourtant, dès que mes yeux s'adaptent à la pénombre, je constate que mon intuition ne m'a pas trompée. À l'intérieur, deux hommes m'attendent, leurs silhouettes massives projetant des ombres menaçantes sur les murs dénudés. Mon cœur s'emballe, battant à tout rompre dans ma poitrine, alors qu'une cascade de scénarios envahit mon esprit. Je doute fortement que mon père m'ait préparé un spectacle de lutte dans une pièce sombre et isolée. Ce qui ne peut signifier qu'une chose : on m'a conduite tout droit dans un piège.

Malgré mon angoisse grandissante, je tente de rester aussi calme que possible. Tout du moins, en apparence. Cependant, lorsque l'un des hommes s'avance, ma détermination vacille. Je recule instinctivement, les mains tendues devant moi.

— Reculez ! j'ordonne d'une voix tremblante. Sinon... sinon vous le regretterez !

L'homme ricane en réponse, comme si mes paroles n'étaient pour lui que des murmures insignifiants.

— Écoutez-moi ça, les gars. Un petit chaton qui essaie de rugir.

D'un geste brutal, il m'agrippe par le bras et me plaque contre son torse répugnant. La sensation de sa peau rugueuse sur la mienne me fait frémir de dégoût. Je me débats, frappant, griffant, essayant désespérément de me libérer. Mais son emprise sur mon bras ne faiblit pas. Il me maintient fermement contre lui, appréciant visiblement que je tente de lui résister. Il approche son visage du mien, une lueur sinistre dans le regard, quand un bruit dans le couloir le fait stopper tout mouvement. Il se fige, ses yeux plissés se tournant vers la porte. Je ressens une brève lueur d'espoir à l'idée que quelqu'un vienne me secourir, mais avant que je ne puisse crier, sa main rugueuse se plaque contre ma bouche, étouffant mon appel à l'aide. D'un geste rapide, il fait signe à ses complices de se taire, figeant l'atmosphère dans une tension palpable.

— Je croyais que quelqu'un devait monter la garde ?

Les trois hommes s'échangent des regards désemparés.

— Je croyais que c'était toi ! rétorque l'un d'eux en chuchotant furieusement.

— Tu vois bien que je tiens la fille, crétin ! Comment veux-tu que je surveille le couloir en même temps ?

— Fichtre.

La poignée de la porte tourne lentement, émettant un long grincement, mais personne ne fait le moindre mouvement pour empêcher l'intrus de pénétrer dans la pièce. Quand la porte s'ouvre finalement, une petite voix nous parvient, chargée d'inquiétude.

— Mademoiselle, vous êtes là ?

Hannah. Mon cœur se serre. Ce n'est vraiment pas le moment.

Sa tête apparaît dans l'encadrement, ses yeux s'écarquillant d'horreur lorsqu'elle découvre la scène devant elle. Je tente désespérément de lui faire signe de partir, de s'enfuir tant qu'elle le peut, mais je suis clouée sur place, incapable de bouger.

L'un des hommes réagit finalement, et avec une brutalité inattendue, attrape son bras et referme la porte dans un claquement sourd. Hannah pousse un cri étouffé, mais avant qu'elle ne puisse dire un mot de plus, il l'assomme d'un revers de poing. Affolée, j'essaie de me précipiter dans sa direction, mais la prise que l'homme a sur ma taille est bien trop forte. Ne pouvant m'avancer, j'essaie de crier, mais le son reste prisonnier de ma gorge, étouffé par la main de mon ravisseur.

— Emportons les deux, grogne-t-il. La servante pourrait être utile.

Je lutte encore, désespérée. Je veux les supplier de laisser Hannah tranquille, que c'est moi qu'ils sont venus chercher, mais rien n'y fait, je suis complètement impuissante. L'homme finit par me relâcher, mais avant que je ne puisse bouger, je ressens un coup violent à l'arrière de la tête. Une douleur fulgurante éclate dans mon crâne, me faisant vaciller. Le monde tourne autour de moi, mes forces me quittent peu à peu, et je finis par m'effondrer aux pieds de mon agresseur, inconsciente.

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