Chapitre 21
Alexander
En arrivant sur la place centrale de la petite bourgade, plusieurs villageois viennent à notre rencontre, leurs visages marqués par la curiosité et une pointe d'appréhension. Après une brève discussion, l'un d'eux nous indique la direction de l'auberge la plus proche.
L'établissement, bien que modeste, dégage une atmosphère chaleureuse. Les murs en bois brut et les lanternes vacillantes donnent au lieu un air rustique mais accueillant. Le gérant nous fait servir de grands bols de potage fumant, dont l'odeur réconfortante efface un instant la fatigue du voyage. Pendant qu'il ordonne à ses employés de préparer nos chambres, je me recule un peu sur ma chaise, tentant d'avoir une meilleure vision de l'homme en face de moi. Hors de question de perdre de vue la véritable raison de notre venue.
— Quand nous sommes arrivés, j'ai entendu des murmures au sujet de la princesse Enora, je commence d'une voix calme. Est-il arrivé quelque chose à Son Altesse ?
Le visage du gérant s'assombrit aussitôt, ses épaules s'affaissant légèrement sous le poids de l'inquiétude.
— Vous n'êtes donc pas au courant ? souffle-t-il, secouant la tête. La pauvre princesse...
— Que s'est-il passé ?
— Eh bien... Ce ne sont que des rumeurs, bien sûr, mais... certains disent qu'elle a été enlevée par des hommes de Lumia. Dans son propre palais. Quelle horreur ! J'espère seulement qu'ils ne lui ont pas fait de mal...
À ses mots, je sens une colère sourde monter en moi, et je sais sans l'ombre d'un doute que mon regard a tourné à l'orage. Mes poings sont serrés le long de mon corps, mes ongles s'enfonçant durement dans mes paumes. Alice, assise à côté de moi, perçoit le changement. Ses grands yeux noisette cherchent les miens, emplis d'une inquiétude qu'elle ne tente même pas de dissimuler. Je réprime l'envie de saisir sa main pour tenter de me calmer.
Le gérant, visiblement aveugle à mon changement d'humeur, continue sur sa lancée.
— Le roi est dans tous ses états. Il a envoyé des hommes fouiller chaque recoin de la forêt. Certains disent que les chevaliers eux-mêmes...
— Quelle forêt ? je demande brusquement, coupant son monologue sans la moindre trace de remords.
Il s'interrompt, décontenancé, et me dévisage comme si mes mots l'avaient frappé.
— Il me semble vous avoir posé une question, je répète, ma voix basse mais vibrante d'autorité.
— Je... Euh... Près du palais, à l'ouest, balbutie-t-il finalement.
— Nous nous y rendons au plus vite pour leur apporter notre aide.
Sans attendre de réponse, je me lève de ma chaise et ordonne qu'on m'indique ma chambre. Alors que je me dirige vers l'escalier, je demande à une serveuse une bouteille de vin. Elle s'exécute sans un mot, et je m'éloigne, la bouteille en main, mes pas résonnant lourdement dans le silence de l'auberge. Quand j'atteins le palier, il ne me faut pas longtemps pour trouver le numéro de ma chambre. Je pénètre dans la modeste pièce et m'installe sur le lit, étendant mes jambes sur les draps sans même prendre la peine de me déchausser.
D'un geste sec, je dégaine mon épée et brise le sceau de la bouteille, jetant la lame au sol dans un immense fracas. Portant le goulot à mes lèvres, je bois avidement, le regard perdu dans le vide. Le liquide amer brûle ma gorge, mais ça m'est égal. Ce n'est pas le plaisir que je cherche, mais un répit à mes pensées chaotiques, ne serait-ce que pour un instant.
Les flammes crépitantes de la cheminée projettent des ombres dansantes sur les murs de pierre, comme un reflet de mon propre tourment intérieur.
Je sais que je ne peux pas me permettre de flancher, surtout pas maintenant, mais mes responsabilités me pèsent de plus en plus lourdement. Les mots de mon père résonnent dans mon esprit, un rappel constant de mes obligations envers mon peuple et mon royaume. Malgré tous mes efforts pour prouver ma valeur en tant que futur roi, je ne peux m'empêcher de me demander si je suis vraiment à la hauteur.
— Pourquoi faut-il que tout soit si compliqué ?
Je ferme les yeux, et malgré moi, le visage d'Alice surgit dans mes pensées. Je laisse échapper un flot de jurons. Pourquoi cette femme m'obsède-t-elle autant ? Elle est là, dans chaque recoin sombre de la chambre, dans chaque gorgée de vin amer. Le simple fait de penser à elle fait naître en moi une tempête d'émotions contradictoires. Des sentiments que je suis loin d'être prêt à affronter.
— Alice...
Même si mon père m'a ordonné de l'emmener, je ne peux pas nier que c'est ce que je désirais, ne pouvant supporter l'idée qu'il puisse lui arriver malheur en mon absence. Mais maintenant, je commence à regretter ma décision. Si la princesse a vraiment été enlevée dans l'enceinte même du palais, alors nous sommes confrontés à des ennemis bien plus redoutables que je ne l'avais pensé. Et j'ai exposé Alice à tous ces dangers.
Je me redresse brusquement, irrité par ma propre faiblesse. Cette femme n'a rien d'exceptionnel, alors pourquoi mon esprit me ramène-t-il sans cesse à elle ? Cette attirance est une distraction. Je ne peux pas me le permettre, pas maintenant. Pourtant, malgré toutes mes bonnes résolutions, mes pas finissent par me mener devant la porte de sa chambre.
Une partie de moi sait que c'est une erreur. Mais à cet instant, je ne suis plus le prince héritier, le stratège ou le guerrier. Je ne suis qu'un homme, incapable de résister à la tentation. Demain, je prendrai les mesures nécessaires pour la mettre en sécurité. Mais ce soir, juste ce soir, je veux juste profiter de sa présence à mes côtés.
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