Chapitre 20
Nous avançons dans la vaste forêt enneigée, nos souffles se mêlant à l'air froid de l'hiver. Le vent mordant s'infiltre dans mes cheveux et me gifle le visage, me forçant à resserrer mon manteau autour de moi. Nous sommes à la fin de l'hiver, et pourtant, le froid continue de me transpercer jusqu'aux os, me laissant grelottante malgré mes multiples couches de vêtements.
Cette chevauchée, cependant, n'est pas comparable à la précédente. Contrairement à son tempérament taciturne habituel, le prince m'a posé une multitude de questions sur ma vie quotidienne dans le royaume d'Amara. Sans doute cherche-t-il à me faire parler pour mieux m'évaluer ? Ou peut-être s'intéresse-t-il vraiment à moi ? Avec lui, impossible de savoir. Son ton calme et maîtrisé ne trahit jamais ses véritables intentions.
Soudain, un frisson incontrôlable me traverse soudain, et mes doigts s'accrochent instinctivement aux rênes pour m'empêcher de tomber. Sentant mon malaise, il pose sa main gantée sur la mienne, un contact à la fois rassurant et déroutant.
— Halte ! tonne-t-il d'une voix forte.
Les gardes obéissent immédiatement, stoppant leurs chevaux. Alexander descend de sa monture avec une aisance qui contraste avec la raideur de mon corps gelé. Sans attendre, il se retourne vers moi et, d'un geste fluide, me soulève pour me poser au sol. Je pousse un soupir de soulagement, sentant enfin mes membres se détendre après notre froide chevauchée. Je frotte énergiquement mes mains l'une contre l'autre, tentant vainement de les réchauffer.
Alexander m'observe brièvement avant de se détourner et de se diriger vers ses hommes. Après leur avoir donné quelques instructions, il s'enfonce dans les bois, deux gardes sur les talons. Je reste plantée là, hésitant un instant à le suivre, mais mon corps frigorifié refuse de coopérer. Je me rapproche alors d'Hannah, prenant garde à ne pas glisser sur une plaque de verglas. Elle tremble de tout son corps, ses bras minces enroulés autour d'elle dans une tentative désespérée de conserver un peu de chaleur. Ses lèvres sont presque bleues, et ses joues, habituellement roses, sont marquées par le froid mordant. J'attrape ses mains dans les miennes, essayant de lui transmettre le peu de chaleur qu'il me reste.
L'expression de lord Victor s'assombrit en nous voyant dans cet état. Il se tourne vers un garde et lui demande, ou plutôt lui ordonne de lui donner son manteau. Il le dépose sur les épaules de mon amie, avant d'ôter sa propre veste pour tenter de me réchauffer.
— Vous n'êtes pas obligés de faire ça... je proteste entre deux claquements de dents.
— Un gentleman ne laisse jamais une femme dans une mauvaise posture. Et puis, ne vous inquiétez pas, j'ai survécu à bien pire.
Devant son insistance, je capitule et le remercie avec un léger sourire. La chaleur du manteau m'enveloppe immédiatement, et un sentiment de soulagement me gagne quand je niche mes mains dans les grandes poches. Malgré ma culpabilité de le voir endurer le froid par ma faute, je n'échangerais cette chaleur pour rien au monde.
Fidèle à lui-même, lord Victor s'efforce d'égayer l'atmosphère. Il entame une série d'anecdotes, toutes plus loufoques les unes que les autres, nous arrachant à Hannah et moi quelques éclats de rire.
Mais notre légèreté est de courte durée. Alexander refait surface, les bras chargés de bois et le regard plus sombre que jamais. Il s'approche de nous, son visage se fermant un peu plus à chaque pas qu'il fait. Quand il arrive à notre niveau, il laisse tomber les branches avec fracas, attirant tous les regards.
— Je vois qu'on s'amuse bien par ici, lâche-t-il d'un ton glacial.
Ses yeux passent sur chacun de nous avant de se fixer sur moi. Son expression, déjà fermée, se durcit encore davantage à la vue du manteau de Victor posé sur mes épaules.
— C'était bien la peine que j'aille chercher du bois, ajoute-t-il avec amertume.
Je reste interdite, incapable de comprendre son irritation. Pense-t-il que Victor et moi étions en train de flirter ? C'est ridicule. Et puis d'abord, pourquoi est-ce qu'il s'en soucierait ?
— Quel est le problème ? Lord Victor a seulement voulu m'aider.
— Ce n'était pas à lui de le faire, rétorque-t-il en jetant un regard noir à son ami. C'est à moi que mon père a confié ta protection. Je dois assumer cette responsabilité.
Il arrache brutalement le manteau et le jette à Victor, ses gestes empreints d'une colère à peine contenue. Avant que je ne puisse protester, il pose son propre manteau sur mes épaules.
— C'est mieux ainsi, déclare-t-il d'un ton sec.
Je ressens une confusion grandissante face à ses agissements. Pourquoi cet accès de colère ? Serait-il... jaloux ? C'est insensé. Le prince et moi ne sommes rien l'un pour l'autre.
Et pourtant, son geste, aussi abrupt soit-il, laisse une impression étrange dans mon cœur.
Continuant sur sa lancée, Alexander me guide vers le feu, ses gestes brusques mais étrangement précautionneux. Il attrape mes mains glacées entre les siennes et, pendant quelques instants, le silence est seulement ponctué par le crépitement des flammes. Je sens mes joues reprendre lentement des couleurs et mes muscles se relâchent.
Quand il semble satisfait du résultat, il recule de quelques pas, me libérant de son étreinte.
— Ne te fais pas d'illusion. Je n'ai simplement pas envie de m'encombrer d'une domestique malade, ajoute-t-il, son ton dénué d'émotion contrastant étrangement avec ses gestes prévenants.
Sa remarque me pique autant qu'elle me déstabilise. Bien sûr. Et maintenant, quoi ? Il va aussi offrir sa chemise à l'un de ses gardes pour s'assurer qu'il n'attrape pas froid ?
Je lève la tête et croise son regard, intense et impénétrable, qui semble me signifier que cette parenthèse est terminée. Je m'apprête à lui rendre sa veste, mais il me fait signe de la garder. Avant de se détourner, il me tend la paire de gants qu'il avait retirée plus tôt.
— Votre majesté, je ne peux pas les accepter. Vos mains vont geler en tenant les rênes, je proteste précipitamment, cherchant à lui rendre les gants.
Ses doigts se crispent, trahissant son propre inconfort face au froid qui nous entoure.
— Je préfère ça que de devoir t'amputer trois doigts avant même d'avoir atteint notre destination, déclare-t-il, une expression neutre sur le visage.
— Mais...
— Ne m'oblige pas à me répéter.
Ses yeux laissent percevoir un soupçon d'inquiétude, bien qu'il s'efforce de toutes ses forces de le dissimuler. Un mélange de gratitude et de gêne me submerge tandis que je glisse mes mains dans ses gants encore chauds.
— Merci, je murmure, ma voix à peine audible.
Il répond d'un hochement de tête presque imperceptible avant de tourner les talons pour se diriger vers sa monture. Je le suis rapidement, et comme plus tôt dans la journée, Alexander me hisse sur son cheval avant de monter à son tour. La route reprend, et alors que nous avançons sur les chemins caillouteux, le silence entre le prince et moi devient plus glacial que le vent qui souffle entre les branches.
De temps en temps, je jette un coup d'œil vers les gardes derrière nous, et lord Victor en profite pour me faire de grands signes, arrachant à mes lèvres quelques éclats de rire étouffés. Puis, dans un geste calculé, il accélère légèrement pour approcher son cheval du nôtre.
— Mademoiselle, peut-être souhaiteriez-vous changer de cavalier ? commence-t-il avec un sourire espiègle. Je serais honoré de vous escorter, si tel est votre désir.
Je n'ai pas le temps de dire quoi que ce soit qu'Alexander, sans même tourner la tête, répond sèchement :
— Hors de question. Elle reste avec moi.
Le ton est glacial et le regard qu'il lance à son ami aurait suffi à faire fuir même un guerrier aguerri. Mais lord Victor se contente de rire, visiblement amusé par la réaction de son ami.
Ce n'est que quelque temps plus tard, alors que le soleil commence à décliner à l'horizon, que nous atteignons enfin la première zone habitée. Au loin, nous pouvons apercevoir de la fumée s'échapper des chaumières, me donnant immédiatement envie de me blottir sous une couverture et ne plus jamais en sortir. Le prince fait signe aux autres hommes d'accélérer la cadence, pressé de mettre pied à terre.
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