Chapitre 2
Un jour plus tôt
Le soleil émerge lentement à l'horizon, inondant le palais d'Amara d'une douce lumière dorée. Les murs en pierres claires semblent presque scintiller sous les rayons du matin, donnant à la bâtisse une allure digne d'un conte de fées. Une grande tour s'élève dans les airs, et de larges fenêtres, ornées de vitraux colorés, laissent entrer la lumière et éclairent les salles richement décorées.
À l'extérieur, une cour spacieuse et un jardin verdoyant surplombent les ruelles du village en contrebas. La petite bourgade est encore profondément endormie, contrastant avec l'effervescence qui règne à l'intérieur du château.
Car, malgré l'heure plus que matinale, l'activité est déjà à son comble dans le palais. Hommes et femmes se bousculent, courant de pièce en pièce dans une cacophonie monstrueuse, pressés par l'urgence des préparatifs de la grande fête à venir.
Loin de cette agitation, une jeune femme dort à poings fermés dans son grand lit à baldaquin. Elle semble perdue dans des rêves agréables, son expression paisible, ses longs cheveux bruns tombant en cascade sur son oreiller.
Cette jeune femme, vous l'aurez peut-être compris, n'est autre que moi-même.
C'est à ce moment-là que Hannah, ma fidèle servante, fait irruption dans ma chambre, me tirant brusquement de mon sommeil.
— Mademoiselle Enora, votre père vous a fait demander dans le petit salon, dit-elle d'une voix chantante.
— Encore cinq minutes... je marmonne en tentant de me réfugier sous les draps.
Mais le rire clair de Hannah, léger comme un carillon, dissipe tout espoir de replonger dans le sommeil.
— Je doute que vous vouliez faire attendre le roi, surtout aujourd'hui.
Un soupir m'échappe. Elle a raison, évidemment.
Avec résignation, je repousse les couvertures et m'assieds sur le bord du lit, frottant mes yeux encore fatigués. Hannah m'aide rapidement à enfiler mon peignoir avant de me guider vers la coiffeuse. Elle entreprend de dompter ma longue chevelure, se munissant de son peigne comme d'une arme face à une bataille perdue d'avance. Parfois, je me demande comment elle fait pour garder ses cheveux blonds si impeccablement ordonnés, elle qui court toute la journée d'un bout à l'autre du palais.
Une fois mes cheveux arrangés, il est temps de passer à l'épreuve suivante : le corset. Hannah s'affaire à serrer les laçages, et je prends une profonde inspiration en sentant les armatures se refermer. La pression est douloureuse, chaque respiration devient un effort presque insupportable, mais je garde le silence. Aujourd'hui, plus que jamais, je n'ai pas le droit de flancher.
Ce soir, plus d'une centaine de personnes afflueront au palais pour célébrer mon vingtième anniversaire. Une fête qui aurait dû être une source de joie, mais qui ne m'apporte que crainte et angoisse. Je peux déjà sentir leurs regards peser sur moi, analysant chacun de mes gestes, guettant la moindre erreur, le moindre faux pas. Le poids de leurs jugements est presque palpable, et en toute honnêteté, je ne peux pas vraiment leur en vouloir. Après tout, comment une mage sans pouvoir pourrait-elle prétendre être la future dirigeante du royaume d'Amara ?
Habituellement, les premières capacités d'un mage de lumière se révèlent le jour de son seizième anniversaire, ou au plus tard, dans les quelques jours suivant cette date. Mais ces pouvoirs, que l'on dit inhérents à ma lignée, n'ont jamais fait leur apparition chez moi.
Ni lumière ni éclat. Juste un silence cruel, un vide qui me dévore un peu plus chaque jour.
Et pourtant, je refuse de m'avouer vaincue. Je continue de m'entraîner en secret presque quotidiennement, passant des nuits entières à espérer produire une petite étincelle, des matinées à répéter des incantations que ma bouche finit par connaître par cœur... Chaque matin, j'affronte mon reflet, cherchant la force de continuer malgré tout. Parce que je dois prouver ma valeur. Non seulement à eux, mais aussi à moi-même.
Hannah ajuste une dernière fois les plis de ma robe avant de se redresser avec satisfaction.
— Voilà, mademoiselle. Prête à affronter le monde ?
— Absolument.
Un sourire étire ses lèvres, mais son regard attentif continue de scruter mon visage, cherchant sans doute à deviner le fond de mes pensées.
— Merci pour ton aide, je lui dis doucement avant de quitter la chambre.
Je me hâte de traverser les couloirs. Les lourds tapis étouffent le bruit de mes pas, et seul le murmure lointain des domestiques en pleine activité parvient à mes oreilles.
Mon anniversaire est peut-être un rappel cruel de mon absence de magie, mais c'est surtout une journée que je passe avec mon père. Depuis ma plus tendre enfance, il prend le temps de déjeuner avec moi et de m'écouter parler comme si rien d'autre n'avait d'importance. Et à mon plus grand bonheur, aujourd'hui ne fait pas exception. À peine ai-je passé la porte du salon qu'il m'enveloppe dans ses bras chaleureux. Son étreinte me serre avec la force tranquille qui lui est propre, son parfum familier parvenant à mes narines et me tirant un sourire.
— Enora, ma chère enfant, te voilà enfin !
Son visage s'illumine en me voyant, et il recule légèrement pour mieux m'observer, ses mains toujours posées sur mes épaules.
— Tu es ravissante, dit-il avec un sourire sincère.
Ses mots me touchent plus que je ne l'aurais cru. Je lui rends son sourire et, instinctivement, je resserre mon étreinte, comme pour graver ce moment dans ma mémoire. Depuis la mort de ma mère, mon père est tout pour moi. Ces instants avec lui sont rares et précieux, et bien qu'ils ne comblent pas totalement son absence, ils allègent un peu le poids de ma solitude.
Il tire une chaise pour moi, un geste empreint d'une courtoisie qui me fait toujours sourire. Mes yeux dérivent vers la table et sur la multitude de mets qui y sont disposés : viennoiseries, jus de fruits, chocolat... Tout est si appétissant que je ne sais même pas par où commencer.
— Avant de manger, j'aimerais te donner quelque chose, annonce-t-il en brisant le silence.
Il me tend un petit paquet rose, soigneusement emballé. Mon cœur bat plus vite alors que je le prends délicatement entre mes mains. Une impression étrange me fait hésiter une seconde, mais je me mets finalement à défaire précautionneusement l'emballage.
À l'intérieur, un collier en or blanc repose sur un écrin de velours. Une chaîne finement travaillée conduit à un pendentif en pierre de lune, taillé en forme de goutte, dont les reflets nacrés semblent presque trop beaux pour être vrais. Dès que mes yeux se posent sur cet objet, une vague d'émotions m'envahit.
— Père...
Ma voix se brise alors que je lève les yeux vers lui, mes doigts tremblants caressant la surface de ce pendentif que j'ai reconnu presque instantanément.
— Ce collier appartenait à ta mère. Elle aurait voulu qu'il te revienne.
Je sens ma gorge se nouer en voyant la tendresse qui brille dans ses yeux.
— Elle n'est peut-être pas là en ce jour si spécial, mais je sais qu'elle aurait été fière de toi. Fière de la femme que tu es devenue.
Les larmes me montent aux yeux sans que je puisse les retenir. L'émotion me serre la poitrine, me laissant à court de mots, alors, je me contente d'accrocher le collier autour de mon cou. C'est un cadeau infiniment précieux, non seulement pour sa valeur, mais surtout pour ce qu'il représente à mes yeux.
— Merci, je murmure finalement. Je le chérirai, toujours.
Il hoche lentement la tête et détourne le regard, comme pour tenter de camoufler son trouble. Parler de ma mère est toujours douloureux pour lui, je le sais. Sa tristesse est encore trop profonde. Alors, je respecte son silence, déjà reconnaissante de ce qu'il m'a livré aujourd'hui.
En silence, je dirige mon attention vers le repas qui se trouve devant nous. Alors que je me sers une tasse de thé, mon père, d'ordinaire si jovial en ma présence, semble presque distrait. Je le surprends plusieurs fois à m'observer, une ombre voilant son regard. Surprise par sa nervosité inhabituelle, je pose mes couverts et lève les yeux vers lui.
— Vous semblez préoccupé.
Sa main joue nerveusement avec le bord de sa serviette. Il m'examine pendant quelques instants, comme s'il pesait le pour et le contre, avant de secouer la tête.
— Ce n'est rien, finit-il par dire avec un soupir. Ne gâchons pas ton anniversaire.
Ses mots sonnent faux, mais son sourire, bien qu'un peu forcé, m'empêche de creuser davantage. Pour alléger l'atmosphère, il se met à évoquer de vieux souvenirs. Il laisse échapper quelques éclats de rire en se remémorant mes premiers pas et mes maladresses de petite fille. Je ris avec lui, soulagée de le voir de nouveau souriant.
Le temps file, et avant même que je ne m'en aperçoive, plus d'une heure est passée. Son regard se pose sur l'horloge. Ses sourcils se froncent légèrement.
— Vous devez partir, n'est-ce pas ?
Il acquiesce, l'air sincèrement navré.
— Je suis désolé de devoir te quitter aussi vite.
— Ne le soyez pas. Un roi a des devoirs auxquels il ne peut se soustraire.
Un sourire léger éclaire son visage, et il m'enlace brièvement.
— Nous nous verrons ce soir, promet-il en partant.
Je regarde sa silhouette disparaître, laissant le silence du salon m'envelopper à nouveau. Mais ce silence n'a rien de rassurant. Une ombre persiste en moi, un pressentiment qui refuse de se taire. J'ai la désagréable sensation que cette journée, malgré ses éclats de bonheur, marque le début de quelque chose de bien plus grand. Et, peut-être, de bien plus dangereux.
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