Chapitre 14
Mon sommeil n'est ni doux ni réparateur. J'alterne entre de courtes phases d'éveil et des rêves tous plus déroutants les uns que les autres, comme si des fragments d'un passé lointain cherchaient à se frayer un chemin à travers mes pensées.
Au départ, je me vois enfant, jouant dans les jardins du palais de Lumia. Je ris aux éclats en tentant d'attraper un papillon. Un petit garçon est à mes côtés, me regardant avec des yeux brillants d'admiration, comme si j'étais le centre de son univers. Mon regard s'arrête sur ses yeux gris. Des yeux si particuliers que je serais capable de les reconnaître entre mille. Mon souffle se coupe : c'est Alexander, ou plutôt l'enfant qu'il était. Une version que j'ai dû connaître, il y a de ça bien longtemps. Instinctivement, je tends la main vers lui, essayant d'atteindre cet enfant dont je souhaite tant me souvenir. Mais la vision s'estompe, comme une peinture effacée par la pluie. Quelques instants plus tard, elle laisse place à un autre fragment de ma vie.
Cette fois-ci, je suis plus âgée, peut-être douze ou treize ans. Alexander a bien grandi lui aussi. Il me pourchasse dans les jardins d'Amara, promettant de m'attraper. Je cours à en perdre haleine mais sa détermination est implacable. Quelques secondes plus tard, il m'attrape par la taille. Nos pieds s'emmêlent et nous tombons à la renverse. Il se retourne pour encaisser le coup, me faisant atterrir sur son torse. Nos rires résonnent autour de nous, des rires purs et innocents. L'espace d'un instant, le temps semble se suspendre. Alexander capture mon regard avec une intensité qui me laisse sans voix. Lentement, il lève une main et effleure ma nuque, m'attirant doucement vers lui. Nos visages se rapprochent, et je ferme les yeux, mon cœur battant à tout rompre dans ma poitrine. Mais avant que ses lèvres n'atteignent les miennes, la scène bascule brutalement.
Un nouveau souvenir s'impose, cette fois-ci beaucoup plus douloureux. Je suis adolescente, pleurant au chevet d'un Alexander inconscient. Ses traits sont tirés, sa peau presque grise, et sa respiration si faible qu'elle semble sur le point de s'arrêter. Je suis dévastée, mon corps secoué par des sanglots incontrôlables. Une douleur sourde perce ma poitrine, comme si mon cœur était broyé par une main invisible. Même si cet événement est passé depuis longtemps, je ne peux empêcher mon cœur de se serrer à la vue du prince si pâle et si fragile. Une fois de plus, je tends la main vers lui, espérant cette fois-ci réussir à lui enlever sa douleur. Mais, comme auparavant, ma tentative est inutile. Les contours de la scène se disloquent, remplacés par une obscurité oppressante.
La joie.
La peur.
L'amour.
La destruction.
Mes souvenirs défilent inlassablement derrière mes paupières closes. Chaque fragment me submerge comme une vague, me laissant haletante, incapable de reprendre mon souffle. Je veux crier, mais aucun son ne sort. Tout ce que je ressens, c'est cette douleur sourde.
Je n'en peux plus, je veux que tout s'arrête.
...
À mon réveil, un grand verre d'eau se trouve à mes côtés. Sans hésiter, je l'attrape et le vide d'une traite, reconnaissante que ce liquide vienne calmer la chaleur cuisante qui consume ma gorge. Pourtant, malgré ce soulagement physique, une agitation persiste. Le rêve que j'ai fait est encore vivace dans mon esprit, aussi réel que troublant.
C'est seulement en posant le verre que je prends conscience que la pièce dans laquelle je me trouve m'est une fois de plus complètement inconnue. Ce n'est pas ma chambre au palais d'Amara, ni même la petite chambre des domestiques où j'ai dormi la nuit précédente. C'est un endroit que je n'ai jamais vu auparavant. Où ai-je encore atterri ?
Je scrute la pièce, tentant de rassembler mes pensées. Elle est spacieuse et richement décorée, comme l'on pourrait s'y attendre dans un palais, pourtant, rien ne semble excessif. Les rideaux de velours pourpre absorbent la lumière du jour, créant une atmosphère feutrée. Dans un coin de la pièce, une grande cheminée diffuse une douce chaleur, contrastant agréablement avec le vent glacial qui souffle à l'extérieur. À proximité, une épée est négligemment posée contre un fauteuil, une chemise en satin noir gisant à ses côtés. Son acier poli brille faiblement à la lueur des flammes, accrochant succinctement mon regard avant qu'un élément bien plus important ne capte toute mon attention. Le prince Alexander est là, endormi sur une chaise près du lit. Serait-il possible que je sois dans sa chambre ?
Son visage est paisible dans son sommeil, en divergence totale avec son habituelle expression d'assurance et de détermination. Sans réussir à m'en empêcher, je tends la main pour effleurer ses cheveux en désordre. Ils sont doux sous mon toucher, éveillant une étrange tendresse en moi. Mais ce geste suffit à le tirer de son sommeil.
Il redresse brusquement la tête, et attrape ma main dans les siennes.
— Tu es enfin réveillée !
Je reste figée, incapable de répondre, trop absorbée par la sensation que ses doigts provoquent en moi. Comment se fait-il que je ressente cette étrange sensation dans la poitrine à chaque fois qu'il me touche ? C'est comme si une brise légère caressait mon cœur, réveillant des émotions que je lutte encore pour comprendre. Serait-il possible que ce soit mon ancienne affection pour lui qui tente de refaire surface ?
Voyant mon silence, Alexander fronce légèrement les sourcils, puis, à ma grande surprise, il pose son front contre le mien pour vérifier ma température. Sa soudaine proximité me ramène à la réalité et je me recule précipitamment, rompant le contact.
— Je...je vais bien merci.
Il me fixe, sceptique, avant de poser ses mains sur mes épaules et de me pousser doucement mais fermement contre les oreillers.
— Tu dois te reposer, déclare-t-il d'un ton qui n'accepte aucune contestation.
— Que s'est-il passé ?
— Tu t'es évanouie dans mes bras, répond-il simplement, son regard scrutant le mien comme pour évaluer mon état.
Il marque une pause, ses lèvres se courbant en un sourire en coin.
— Je sais que j'ai un certain effet sur les femmes, mais à ce point-là, je ne m'en serais jamais douté.
Je lève les yeux au ciel et frappe légèrement son bras, feignant l'indignation.
— Ne soyez pas ridicule.
Devant son expression penaude, un rire m'échappe et je ne peux m'empêcher de baisser légèrement un peu ma garde.Qui aurait cru qu'un homme aussi froid et distant pouvait se montrer aussi... charmant ? Depuis quand s'autorise-t-il à être si décontracté en ma présence ? Serait-il possible... Non, il me l'aurait dit s'il m'avait reconnue.
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