Chapitre 13
Le regard du roi est teinté d'une affection qui semble trop profonde pour être feinte. Pourtant, malgré tous mes efforts pour fouiller dans ma mémoire, rien ne m'évoque un quelconque lien avec le royaume de Lumia.
— Si je peux me permettre... Comment cela se fait-il que nous nous connaissions ? Je ne me rappelle pas être déjà venue dans ce palais.
Un sourire mélancolique étire ses lèvres. Il s'appuie légèrement contre le dossier de son trône, comme s'il s'apprêtait à narrer une histoire qu'il a gardée en lui trop longtemps.
— Et pourtant, mon enfant, tu y as passé presque autant de temps que dans ton propre royaume. Tu as toujours été comme une fille pour moi.
— Je... je ne comprends pas, je murmure, les sourcils froncés. Si cela était vrai, j'en aurais forcément gardé des souvenirs.
Il réfléchit un moment avant de poursuivre, comme s'il pesait ses mots avec soin.
— Tes parents et moi étions de très bons amis et il était naturel pour nous que nos enfants en fassent de même. Alexander et toi étiez inséparables. Vous passiez vos journées à courir dans ces couloirs, à inventer des jeux, des histoires... Nous pensions même, à un moment, que vous finiriez par vous sauver du château pour vous marier en cachette.
Je reste figée, suspendue à ses lèvres.
— Vous étiez si jeunes, si insouciants... Jusqu'à cette horrible tragédie.
Il marque une pause, et son regard se perd, comme s'il revivait un souvenir douloureux.
— Malheureusement, vous avez été attaqués, reprend-il d'une voix plus grave. Alexander a été gravement blessé en tentant de te protéger.
— Il a été blessé... à cause de moi ?
La culpabilité se fraye déjà un chemin dans ma poitrine. Le prince est peut-être arrogant, mais ce n'est pas pour autant que je lui souhaite du mal. Après tout, il m'a sauvé la vie.
En réponse, le roi secoue doucement la tête.
— Rien de tout cela n'était ta faute. Tes parents ont été terrifiés par cet incident. Ils ont jugé qu'il valait mieux vous séparer, pour vous protéger tous les deux.
Je détourne les yeux, incapable de soutenir son regard.
— Je ne comprends pas pourquoi je ne me souviens de rien...
Le roi se penche légèrement en avant, ses traits empreints de tristesse.
— Ce n'est pas à moi de raconter cette partie de l'histoire, dit-il simplement.
— Mais...
— Pas de mais. Chaque chose arrive en temps voulu.
Ces révélations me troublent plus que de raison. Une partie de moi veut rejeter cette histoire, la qualifier d'impossible. Mais je sens au fond de moi qu'il dit la vérité. Une part entière de mon passé m'échappe, et cela m'effraie autant que cela m'intrigue.
— En tout cas, je vois que tu n'as pas changé, reprend-il d'une voix plus légère. Toujours aussi fougueuse que ta mère. Tu as également hérité de son collier.
À cette mention, mon cœur se serre. Mon père a tant souffert de sa disparition qu'il ne parle d'elle que très rarement, n'ayant sans doute pas la force d'affronter la profondeur de son chagrin. J'ai espoir que le roi de Lumia, qui l'a de toute évidence bien connue, pourra m'en apprendre plus sur cette femme qui me manque tant.
— Que savez-vous de ce collier ?
Il tend la main pour le toucher, un air nostalgique sur le visage. La pierre brille légèrement à son contact, provoquant une sensation de chaleur contre ma poitrine.
— Ta mère était une femme exceptionnelle, forte et douce à la fois. Je lui avais offert ce talisman protecteur comme cadeau de noces. Il appartenait à la première reine de Lumia.
Son sourire se fane lentement.
— Naïvement, j'ai pensé que cela lui assurerait une vie paisible. Mais même la magie la plus puissante ne peut empêcher la mort de frapper.
Je serre la pierre entre mes doigts, sentant à la fois un profond réconfort et une douleur indescriptible. Le roi me regarde avec des yeux brillants de larmes contenues. Sa peine me serre le cœur mais je ne sais pas quoi dire pour apaiser son chagrin.
— Merci d'avoir partagé cela avec moi.
Il secoue légèrement la tête, comme pour chasser l'émotion qui l'envahit.
— Tu devrais aller rejoindre mon fils, dit-il finalement. Il n'est pas connu pour sa patience, et je suis à peu près certain qu'il attend devant la porte depuis le début de notre conversation.
Je me lève à contrecœur, incapable de trouver les mots pour lui exprimer ma gratitude.
— Je vous remercie pour votre temps, votre majesté, je dis en m'inclinant respectueusement.
— Enora ? m'interpelle le roi alors que ma main effleure déjà la poignée
Je me retourne lentement pour lui jeter un regard par-dessus mon épaule.
— Sache que tu seras toujours en sécurité dans ce palais, assure-t-il d'une voix douce. Tu es une source de lumière pour ce royaume et nous te protégerons, quoi qu'il arrive.
Ses paroles me touchent bien plus que je ne voudrais l'admettre. Je hoche la tête et lui murmure un remerciement avant de quitter la pièce.
En ouvrant la porte, je tombe nez à nez avec Alexander, qui comme l'avait prédit son père, attendait ma sortie. Il arpente le couloir comme un lion en cage, les bras croisés sur sa poitrine, grommelant dans sa barbe des paroles dont la signification m'échappe. Quand il m'aperçoit enfin, il s'avance vers moi d'un pas rapide, son regard brûlant d'impatience et de frustration.
— Qu'est-ce que tout cela signifie ? s'exclame-t-il, désignant la porte derrière moi d'un geste brusque. Pourquoi mon père voulait-il te voir ? Est-ce à propos de l'enlèvement de la princesse ? Tu sais quelque chose à ce sujet, n'est-ce pas ?
— Non, rien du tout ! je proteste, levant instinctivement les mains pour me défendre.
— Dis-moi la vérité !
Avant que je ne puisse réagir, il attrape fermement mon visage entre ses doigts, me forçant à croiser son regard. Ses yeux, si intenses, cherchent des réponses là où je n'en ai pas. La chaleur de son contact irradie sur ma peau, de plus en plus intense. Un vertige violent me saisit, comme si le sol se dérobait sous mes pieds. Alexander me lâche sous le coup de cette sensation presque désagréable, mais me voyant vaciller, il passe fermement ses bras autour de ma taille pour me stabiliser.
— Alice ! s'écrie-t-il, sa voix teintée d'une panique inhabituelle. Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Pourquoi es-tu si pâle ?
Je tente de répondre, mais les mots meurent sur mes lèvres. Mes jambes flageolent, et je m'accroche désespérément à sa chemise,pour ne pas m'effondrer.
— Ça... ça ne va pas...
Même à mes propres oreilles, ma voix semble faible. Une vague de panique m'envahit alors que je tente de comprendre ce qui est en train de se passer. Une énergie étrange semble circuler entre nous, un flot puissant qui traverse mon corps sans que je ne puisse le contrôler. Une douleur brûlante surgit soudain dans ma poitrine. Je lâche un gémissement tandis que la pierre de lune commence à luire d'une lumière vive, presque aveuglante.
— Qu'est-ce que... ton collier ?!
La voix d'Alexander est tendue, mais je ne peux pas répondre.
— Gardes ! hurle-t-il, sa voix éclatant dans le silence du couloir. Quelqu'un ! Venez vite !
Des bruits de pas précipités résonnent suite à l'appel désespéré du prince.
— Sire, laissez-nous l'emmener à l'infirmerie.
Je sens Alexander hésiter. En sentant mes doigts tremblants se cramponner au tissu fin de sa chemise, il resserre son emprise autour de moi.
— Non. Elle reste avec moi.
Il me soulève sans effort et commence à traverser le couloir à grandes enjambées. Mon front repose contre sa poitrine, les battements frénétiques de son cœur résonnant dans mes oreilles.
— Alexander... je murmure faiblement.
— Tiens bon, ordonne-t-il, sa voix ferme masquant mal l'inquiétude qui la traverse.
Une douleur fulgurante explose dans ma tête et un gémissement s'échappe de mes lèvres. Des sons et des images défilent à toute vitesse dans mon esprit, si rapidement que je ne peux pas en saisir même le plus infime détail. C'est comme si tous mes souvenirs essayaient de se frayer un chemin vers la surface en même temps. Ils sont là, insaisissables, comme des fragments d'un puzzle incomplet.
— Alice ! Reste avec moi !
Sa voix me parvient comme à travers un brouillard épais. Je lutte pour rester consciente mais mes forces m'abandonnent peu à peu. Les yeux inquiets du prince sont ma dernière vision avant que l'obscurité ne m'emporte.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top