Lorsque nous quittons la tente du conseil, la lumière du jour pointe le bout de son nez.

Je suis épuisé d'avoir passé la nuit à discuter, ou plutôt, à écouter l'offre de la Résistance. Miles semble avoir pris dix ans en l'espace de quelques heures. Ses traits sont tirés et des cernes noires se dessinent sous ses yeux.

La femme, qui répond au nom d'Ida, nous suit au dehors et s'étire doucement. Je sens son regard qui pèse sur moi, mais je m'efforce de ne pas la regarder en retour. Je sais qu'elle aimerait me poser quelques questions. Mais je sens qu'il y a quelque chose d'autre qu'elle aimerait me dire, et je ne supporterais pas d'entendre un mot de plus. Pas avant d'avoir dormi, et d'avoir récupérer Faustine.

-Vous pouvez rester ici pour vous reposer, nous annonce-t-elle d'une voix douce. La nuit a été longue et vous serez en sécurité ici.

C'est vrai que nous n'avons plus vraiment d'endroit où aller. Et je ne serais pas contre me reposer avant de reprendre la route. Mais je comprends bien que son offre n'est pas complètement désintéressée. En restant, elle aura peut-être l'occasion de me coincer pour m'interroger.

-Merci, répond Miles en baillant. Nous allons rester un peu dans ce cas. Jay est dans la voiture.

Il lui tend les clés et elle les donne presque immédiatement à son bras droit, l'homme à la queue-de-cheval qui s'appelle Fenrik. Je repense à ce qu'Ida lui a fait subir tout à l'heure, comme si elle pouvait faire exploser son cerveau par la pensée. J'en frissonne.

-Myla vous contactera demain, comme prévu. J'envoie un de mes agents lui communiquer notre nouveau plan. Dans quelques heures, Faustine sera de nouveau avec vous et nous vous laisserons tranquille. Ce qui veut aussi dire, que s'il vous arrive quoique ce soit, nous ne tenterons pas de vous sauver. Est-ce bien clair ?

-Limpide, je réponds en serrant les dents et Miles acquiesce à son tour.

Elle nous indique une tente où nous pouvons nous reposer et, malgré le fait qu'être enfermé nous rendra vulnérable en cas d'attaque, je suis trop épuisé pour protester. Nous entrons sous la bâche où se trouvent plusieurs lits de camps alignés. Sans se consulter, nous nous installons sur ceux du fond.

Miles s'allonge presque immédiatement et je m'assois pour allumer le bracelet. Je sais que ce n'est pas une bonne idée, mais cela fait trop longtemps que je ne l'ai pas vu. Et la savoir avec Jake me rend toujours fou de rage.

L'hologramme s'affiche comme à son habitude, et Faustine est endormie dans un grand lit... seule. Cette simple vision me soulage d'un poids. Ce n'est qu'après que je remarque que la pièce dans laquelle elle se trouve est sans dessus-dessous. Je me demande ce qu'il s'est passé mais je ne m'attarde pas trop sur le sujet.

Comme disait Miles, je me ferais du mal pour rien en supposant le pire.

Demain, Faustine sera avec nous et nous partirons le plus loin possible de la Tour, du Secteur 9 et de toutes ces histoires. Je ne sais pas encore ce que Miles prévoit de faire, mais j'espère qu'il viendra avec nous.

-Repose-toi, petit, m'intime Miles. Reprends des forces.

-Tu crois qu'on peut leur faire confiance ? Qu'ils tiendront parole ?

-On ne peut pas leur faire confiance, répond-t-il en soupirant. Mais ils tiendront parole.

-Comment peux-tu en être si sûr ? j'insiste.

-Ils voulaient se servir de Faustine contre le Gouvernement. Utiliser le fait qu'elle ait été... maltraitée, kidnappée, accusée, pour dénigrer le Système. Mais avec Jay en leur possession, ils ont non seulement un otage précieux, mais aussi un moyen de connaître beaucoup d'informations. Ce que Faustine ne peut pas leur apporter. S'ils arrivent à convaincre Jay de faire une vidéo où il confesserait certains crimes...

-Par convaincre, tu entends torturer jusqu'à ce qu'il accepte ?

J'essaie de ne pas juger. Après tout ce qu'ils ont fait subir à Faustine, ils peuvent bien le tuer pour ce que ça m'importe. Mais je trouve que ces méthodes sont devenues trop faciles. Il y a eu bien trop de morts depuis le début de cette histoire. Henry James a été sacrifié, Aaron Zidler assassiné... et tout ça pour quoi ? Leurs morts n'ont servies à rien.

Miles ne répond rien. Il sait que ma question était implicite.

-Je suis désolé que tu ais dû avouer ton secret, je murmure.

-Ne le sois pas. Il y a bien trop longtemps que je porte ce fardeau. Si j'avais dit la vérité à Faustine dès le début, si j'étais intervenu plus tôt, rien de tout cela ne serait arrivé. C'est ma faute.

Il se redresse et frotte son visage dans ses mains, visiblement en proie à un dilemme.

-Mais comment vais-je lui dire ? poursuit-il en tournant son regard vers moi.

Pour la première fois depuis que je le connais, Miles me semble vulnérable. Je soupire et lui envoie un regard compatissant.

-Tu trouveras les mots.

-Est-ce que tu crois qu'elle réussira à me pardonner ?

Encore une fois, je suis choqué par sa sensibilité. Sa fille est vraiment tout pour lui, je le vois maintenant. S'il a fait tout ça, c'était uniquement pour elle. Son association avec la Résistance, sa mission pour nous sauver de la Milice chez Rune, le sauvetage durant sa deuxième Révélation... Il se fiche de renverser le Gouvernement ou de punir le Système. Il veut juste réparer l'erreur qu'il a fait en laissant quelqu'un d'autre avoir la vie qu'il devait avoir.

-Tu n'as pas à te sentir coupable pour ce qui est arrivé, je tranche fermement. Tu l'as dit toi-même. C'était Henry le cerveau de l'opération. Maggie le cœur. C'est eux qui ont échoué à mener leur mission à bien et à la protéger.

-Je ne veux pas qu'elle leur en veuille, je ne peux pas lui dire ça.

-Miles, je le coupe, agacé. Quand je suis allée chez Maggie, elle m'a dit que toute cette histoire est allée trop loin. Que je devais m'enfuir le plus loin possible pendant que je le pouvais encore. Elle s'était résignée à l'idée qu'elle ne reverrait plus jamais sa fille, et elle n'a rien fait pour l'aider.

Il veut prendre sa défense mais je l'en empêche.

-Je n'ai pas connu Henry mais de ce que Faustine m'a dit, dès qu'elle a été Révélée Unique, il a commencé à l'ignorer. Elle en a beaucoup souffert. Il ne lui a rien dit de ses plans, a arrêté de se comporter comme un père le devrait, au moment où elle en avait le plus besoin. Et il est mort en emportant ses secrets dans sa tombe.

Je ne suis pas certain qu'il était au courant de cette partie de l'histoire. Je marque une pause pour lui laisser le temps de digérer l'information. Au bout d'un moment, il acquiesce et me regarde dans les yeux.

-Pourquoi tu me dis tout ça ?

Sa voix est implorante. Mais il se reprend rapidement et fixe le vide devant lui.

-Pour que tu comprennes qu'elle n'avait personne sur qui compter au moment où elle en a eu le plus besoin. Et demain, Faustine aura besoin de nous. De nous deux. Alors pardonne-toi d'ici là, parce que, de mon point de vue, tu es bien la dernière personne à blâmer pour tout ce qui nous arrive.

Il acquiesce, gravement.

-Merci Peeter.

Ces deux petits mots veulent dire bien plus que ce qu'ils évoquent en réalité. Ce n'est pas un simple remerciement. C'est de la reconnaissance.

Sur ce, Miles se rallonge sur sa couchette et croise les bras derrière la tête. Je prends ça comme un signal pour me coucher à mon tour.

Je rallume l'hologramme une dernière fois, et m'endort en m'attardant sur la respiration lente et régulière de Faustine, comme si je me trouvais à côté d'elle.