Chapitre 8 - Faustine
Ironiquement, après avoir passé la journée à désirer dormir plus que tout, je n'arrive pas à trouver le sommeil. Les heures passent sans que mon esprit accepte de lâcher prise. Je suis allongée dans le noir depuis plus de quatre heures, les yeux clos, en position foetal. J'ai l'impression d'être en veille, alors que j'aimerais m'éteindre complètement.
Mais trop de pensées se bousculent dans ma tête. Seule dans la chambre au premier étage, je pense à Jake, qui a bien voulu dormir sur le canapé. Je n'aurais pas supporter de passer la nuit dans le même lit que lui, ou même à proximité. Même s'il a l'air inoffensif, une partie de moi me fait garder à l'esprit qu'il a pu être une menace dans le passé.
Je n'arrive pas à comprendre comment je peux être autant moi-même, alors que je n'ai aucun souvenir depuis la Tour. J'ai tellement conscience de qui je suis, que ne pas savoir comment je le suis devenue ne me dérange plus autant qu'il y a quelques heures. Lorsque j'étais frêle, apeurée et faible.
Je me concentre sur ce que je sais et sur ce que l'on m'a raconté et que je peux prendre pour un fait acquis : je m'appelle Faustine, j'ai dix-huit, j'ai été Révélée Unique l'année dernière mais cette année, on m'a attribué Jake comme Partenaire. A cause de l'attaque des journalistes sur scène, je dois attendre pour recevoir mon Orientation. Le gouvernement m'a maintenu dans la Tour pendant plusieurs jours, sans manger, sans boire, sans sommeil. Le fils du gouverneur m'a injecté quelque chose qui me fait perdre la mémoire. Et il me tabassait. Par plaisir.
Savoir qu'il a été kidnappé et qu'il ne risque plus de me faire du mal pour un bon moment m'aide à me calmer lorsque l'angoisse saisit tous les membres de mon corps et brouille ma vision.
Je sais que Myla cherche à me protéger. Et pourtant, je ne suis pas certaine que me laisser avec Jake aille dans ce sens, même si pour l'instant, il ne m'a donné aucune raison de me méfier de lui. Du moins, depuis que nous sommes arrivés ici.
La dernière chose dont je suis certaine, c'est qu'il faut que je retrouve ce Peeter. Que c'est lui qui détient toute la vérité. Qu'il n'y a que lui que je pourrais croire. J'ignore ce qu'il y a entre nous exactement, mais je suis sûre qu'il y a bien quelque chose. Une sensation de déjà-vu s'empare de moi et ne me quitte plus.
Alors me voilà, à quatre heures du matin, à énumérer les choses que je tiens pour acquises et celles dont je ne sais encore rien. Par exemple, je ne sais pas ce que je vais faire. Ce que je devrais faire. Quelque chose me dit que je ne suis pas du tout à ma place ici. Mais comment pourrais-je me sortir de cette situation maintenant que j'y suis? Devrais-je passer le restant de ma vie avec Jake, en espérant que nous puissions construire une vie ensemble?
Je ricane intérieurement. Bien sûr, je vais passer ma vie avec une personne qui me détestait, m'a probablement fait du mal, ne voulait rien à voir avec moi, simplement parce qu'à présent, il prétend que nous avons été ami et qu'il ne me déteste pas.
Qui étais-je avant la Tour?
Tout ce que j'obtiens comme réponse, c'est que j'étais Unique.
Peut-être qu'au fond, je le suis vraiment. Je ne crois pas être faite pour Jake. Mais plus que ça, je ne crois pas être le genre de personne à vouloir de cette vie : un Partenaire, un bureau où me rendre chaque jour, une jolie maison où rentrer le soir... des enfants.
L'évocation de cette dernière possibilité me hérisse les poils. Il est hors de question que Jake et moi... Je n'arrive même pas à finir ma phrase. Tout mon corps se révulse à cette idée.
Et pourtant, s'il a été assez prévenant pour me laisser la chambre cette nuit, acceptera-t-il de rester sur le canapé pour le restant de sa vie? Le pourrais-je à sa place? Pourrions nous acheter un autre lit à mettre dans le bureau?
Est-ce vraiment important de penser à ça maintenant?
Je soupire et me retourne pour la énième fois. Un mince rayon de lumière traverse la pièce pour se poser sur le mur au-dessus de ma tête. Je sens sa présence, même les yeux fermés. J'entends le vent qui souffle dans les branches à l'extérieur, couvrant la respiration de Jake au rez-de-chaussée. J'ai pleinement conscience de la sensation du coton sur ma peau et de la chaleur qui se répand dans mes membres.
Je sens tout ça. Et j'ai l'impression que le destin se joue de moi, me laissant m'imprégner, pour la seconde fois, d'une désagréable sensation de déjà-vu.
Instinctivement, je passe les doigts sur mon poignet et ouvre les yeux pour contempler le symbole inscrit sur ma peau. Les courbes fines se rejoignant, la précision du tracé, la noirceur de l'encre.
Un flash me revient.
Deux yeux gris, légèrement bleuté à la lumière, me fixe intensément. Je vois le reflet des flammes dans son regard. Nous sommes dans une pièce chaleureuse, un salon peut-être. L'expression de son visage est douloureuse. Il attend une réponse que je suis incapable de lui donner. Et je sens le regret envahir chaque partie de mon être, prenant mon coeur en otage.
Je le vois si clairement que j'ai l'estomac qui se serre. Je peux presque sentir la chaleur de son contact quand je me penche vers lui et que nos lèvres se touchent. Mon coeur s'emballe et je sors de ma transe, gardant en mémoire un détail : le bracelet qu'il portait.
Je me redresse sur le lit et regarde celui que je porte au poignet. C'est la seule chose que j'ai gardé sur moi à la Tour. Une lumière bleue gît doucement sous la pierre centrale. Je n'arrive pas à me souvenir de ce que c'est. Mais je sais que c'est important. Que j'ai conçu cette chose.
Je passe un long moment à me creuser la cervelle. Je devrais m'en souvenir. Ca ne devrait pas être si compliqué de me rappeler quelque chose que j'ai construit. La frustration ne tarde pas à me rendre folle. J'ai envie de me griffer le visage, de m'arracher les cheveux, de hurler à m'en casser la voix.
Je finis par prendre la lampe de chevet et par la balancer contre le mur à côté de la fenêtre. La porcelaine éclate en mille morceaux dans un fracas incroyable. Mais ça ne suffit pas à calmer ma rage. Je lance l'autre lampe, les coussins, les livres, tout ce qui me tombe sous la main. Je finis même par me lever et aller fracasser la chaise du bureau sur le sol.
La porte s'ouvre à la volée et Jake entre précipitamment dans la chambre. Il allume la lumière du plafond qui m'aveugle un instant. En rouvrant les yeux, je remarque l'air affolé de Jake et sa respiration saccadé. Son torse nu se lève et se baisse si vite, que j'ai peur qu'il fasse une crise cardiaque. Il me dévisage, d'abord avec inquiétude, puis avec colère.
-Mais qu'est-ce qui se passe ici? hurle-t-il. Tu m'as fait une de ces peurs !
-Je n'en peux plus, je crie tout aussi fort. Je n'en peux plus, je veux me souvenir !
-Qu'est-ce que...
-Je vais devenir folle ! Qu'est-ce qu'ils m'ont fait ? QU'EST-CE QU'ILS M'ONT FAIT ?
Jake lève les mains devant lui en signe d'apaisement et s'approche doucement du lit, qu'il laisse entre nous comme une barrière de sécurité.
-On va discuter, calme-toi...
Sans l'écouter, je fais les cent pas et tire sur mes cheveux le plus fort possible. La douleur me parvient de loin, j'y suis presque insensible. Mais lorsqu'une petite mèche se décroche de ma tête, je réalise que je viens de complètement perdre la tête. Avec horreur, je laisse tomber les cheveux sur le sol et recule vers le lit.
Dans un silence gêné, Jake s'assoie d'un côté et moi de l'autre.
-Ca va? demande Jake au bout d'un moment.
Je hoche la tête, trop embarrassée pour dire quoique ce soit. Mais j'inspire un grand coup et m'oblige à ouvrir la bouche.
-Excuse-moi.
-Tu n'as pas à t'excuser Faustine. Je n'aurais pas dû te hurler dessus. J'avais juste peur...
Il laisse sa phrase en suspens, indécis sur le choix de ses mots. Jake finit par soupirer et laisser tomber. Mais j'ai besoin de savoir ce qu'il allait dire.
-Peur de quoi? j'insiste.
-Je ne sais pas... Qu'ils viennent te chercher à nouveau.
-Qui ça, ils?
A son regard apeuré, je comprends qu'il vient de me dire quelque chose qu'il n'aurait pas dû.
-Jake, qui ça, ils? Qui viendrait me chercher?
-Les agents... La Milice.
-Pourquoi le Gouvernement voudrait me kidnapper?
Je me rends compte que je ne me suis encore jamais demandé comment j'avais atterri à la Tour. Qui m'y avait emmené et pourquoi. J'avais présumé que l'on essayait de me soigner. Sinon, pourquoi toutes ces piqûres? Et cette perte de mémoire venait de ces médicaments, peut-être trop dosés. Cela n'explique pas l'attitude de Jay Balder, mais je préférais ne pas y penser.
-Pourquoi l'ont-ils fait? je demande d'une toute petite voix. Qu'est-ce que j'avais fait?
Il soupire et passe sa main sur sa tête, tirant sur quelques mèches au passage. Il passe ensuite la main sur son visage pour y effacer les traces de sommeil.
-Tu as été Révélée Unique et... tu n'étais pas d'accord.
C'est étrange. J'ai du mal à m'imaginer aller contre le Système.
-Pourquoi?
Il serre les mâchoires et je jurerais avoir vu un éclair de colère traverser son regard. Mais il se reprend et détourne les yeux.
-Peeter.
L'évocation seule de son nom fait s'envoler mon coeur. J'essaie de rester impassible mais Jake a du surprendre mon expression car lorsqu'il reprend, il a l'air soudainement agacé.
-Avec Rune, on voulait t'aider à prouver que tu n'étais pas Unique. Tu en étais persuadée. Mais tu ne nous as pas vraiment dit pourquoi. Enfin, à moi, du moins.
-Qui est... Rune?
Il semble étonné que je ne m'en souvienne pas, mais il finit par hausser les épaules.
-Ta meilleure amie. Et la mienne avant que...
Il s'arrête et je vois ses muscles se tendre.
-Une histoire à la fois, reprend-t-il d'un air entendu.
J'acquiesce. Vu que je suis coincé avec lui, je n'ai pas envie de découvrir tout de suite ses mauvais côtés. J'en ai déjà assez vu pour l'instant.
-Bref, poursuit-il plus posément, tu cherchais Peeter parce que tu pensais qu'il y avait quelque chose... En fait, je ne sais pas ce que tu pensais. Mais tu croyais peut-être que c'était ton âme-soeur ou je ne sais quoi...
-Je pensais qu'il m'aiderait à découvrir la vérité, je le coupe doucement. Je me souviens qu'il représentait une sorte d'énigme.
-Tu ne te souviens pas de ta meilleure amie depuis l'enfance, mais tout ce qui le concerne te revient. Même moi, je commence à comprendre que tu avais peut-être raison en fin de compte. Peut-être que vous avez une réelle connexion.
Je vois que ça lui fait mal de l'admettre. Il baisse les yeux et triture nerveusement ses mains. Soudain, j'ai l'impression de voir un petit garçon, déçu et solitaire.
-Alors... Toi et moi...
Comme s'il lisait dans mes pensées, il fait non de la tête.
-Je ne crois pas que nous sommes Partenaires.
Une fois cette phrase dans les airs, une vérité qu'il n'aurait sûrement pas dû prononcer, il se lève et se dirige vers la porte.
-Je suis en bas si tu as besoin de quoique ce soit, dit-il dans l'embrasure, sans me regarder.
Et il ferme la porte, me laissant seule dans le désastre impossible que j'ai fichu dans la chambre et dans mon coeur.
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