Chapitre 41 : Faustine


Je ne vois plus rien. Le brouillard envahit tout l'espace et mes jambes se dérobent à chaque pas que je fais. Mais je sais qu'il est là. Il faut que je le retrouve. Je sais qu'il compte sur moi et je ne supporte pas l'idée de le laisser tomber. Pourtant, je suis incapable d'avancer. Je regarde tout autour de moi et des ombres apparaissent derrière l'épaisse fumée. Mais une voix résonne dans l'air, une voix que je reconnaitrais parmi toutes.

-Miles ! je hurle à m'en déchirer les poumons.

-Faustine ! me répond une voix, différente cette fois.

Je fronce les sourcils. Ça n'a pas de sens. La voix retentit dans mon oreille comme si quelqu'un était à côté de moi. Mais il n'y a personne. J'ai beau tourné dans tous les sens, je suis seule avec les ombres.

-Faustine, réveille-toi.

J'ouvre les yeux et reste paralysée. Peeter est penché au-dessus de moi et me caresse doucement le front. Mais je ne suis pas certaine que ce soit réel. Pendant un long moment, j'ai l'impression d'avoir de nouveau perdu mes souvenirs. De ne plus savoir qui je suis et où je me trouve. De ne plus savoir quelle réalité est la bonne.

-Où est Miles ? je murmure d'une voix étouffée par l'émotion.

-Il est en vie, me rassure Peeter. Mais il est toujours prisonnier de Max.

Je tente de me redresser péniblement mais Peeter me repousse contre la table froide sur laquelle je suis allongée.

-Où est-ce qu'on est ?

-De quoi est-ce que tu te souviens exactement ?

Mon regard fait le tour de la pièce, et je la vois enfin : Rune. Ses yeux sont rouges et brillants alors qu'elle se tient dans un recoin de la pièce sombre. Dès la première seconde, je sais qu'elle est redevenue elle-même. Les expressions de son visage, la façon dont elle se tient, tout me rappelle ma meilleure amie.

Une vague de soulagement et de reconnaissance m'envahit alors que je réalise qu'elle est en vie et qu'elle va bien. Je ne perdrais pas Rune et ne serais pas responsable de sa mort. J'ai du mal à croire que quelque chose puisse enfin aussi bien tourner.

-Viens-là, je lui dis gentiment et je la prends dans mes bras dès qu'elle est à portée de main.

Elle se penche suffisamment pour que je n'ai pas à me redresser mais je sens quand même une douleur aigüe dans mon abdomen. Ça devient une habitude.

-Tu ne m'en veux pas ? demande Rune avec une pointe d'étonnement. Même si ce n'était pas moi, je n'arriverais jamais à oublier cette image.

-Je suis juste tellement contente de t'avoir retrouvée, Rune.

Elle s'écarte doucement et pousse un soupir de soulagement. Peeter et Jake m'observent attentivement et je sens que quelque chose ne va pas. Le froncement de leurs sourcils ne me dit rien qui vaille.

-Qu'est-ce qu'il se passe ? je demande en me relevant malgré les protestations de Peeter.

Ce dernier hésite à répondre, comme s'il jaugeait à l'avance ma réaction. Mais Jake, lui, n'est pas aussi patient. Je me tourne donc vers lui et l'affronte du regard.

-Max nous a laissé un message, dit-il. On doit ramener May et l'enregistrement à la base militaire du Secteur 9 avant minuit ou...

Un silence morbide plane un instant autour de nous et je conclus pour lui.

-Ou il tue Miles. Parfait. Quelle heure est-il ?

-Un peu plus de seize heures, lance Abby que je n'avais pas remarqué jusqu'ici. Et félicitations pour la surveillance de la porte. On entre ici comme dans un moulin !

Le visage de Jake s'illumine à son entrée et Rune me lance un regard entendu.

-Hey James, me lance-t-elle. Ravie de voir que tu es toujours parmi nous.

-Tu ne te débarrasseras pas de moi aussi facilement, je réplique. Bon alors, vous avez un plan, pas vrai ?

Peeter et Jake se lancent un regard gêné et Peeter s'approche de moi pour m'aider à descendre de la table. Je grimace beaucoup, mais la douleur est supportable.

-Tu as toujours l'enregistrement ?

-Bien sûr.

Peeter soupire de soulagement.

-Alors voilà le plan.

***

Une demi-heure plus tard, nous traversons silencieusement la zone désaffectée. Abby a pris la tête des opérations puisqu'elle seule sait où nous nous trouvons et connait le périmètre. Rune m'aide à me déplacer, ma blessure étant toujours sensible. Enfin, Peeter et Jake veille sur nous, tels deux gardes du corps.

Ce n'est qu'après plusieurs kilomètres que nous réussissons enfin à trouver une voiture qu'Abby s'empresse de voler. C'est une petite voiture familiale mais nous n'avons pas d'autres choix. Le déplacement en voiture est plus difficile pour moi car chaque soubresaut du véhicule m'arrache une exclamation de douleur. Peeter me fixe, les traits crispés, de plus en plus inquiet. Il ne voulait pas me déplacer mais il n'a pas insisté quand je lui ai dit que je devais sauver Miles, coûte que coûte.

En entrant de nouveau dans les Secteurs, nous devenons tous étrangement silencieux. Comme si le fait d'émettre le moindre son pourrait nous trahir. Les rues sont étonnamment désertes et aucun barrage ne nous barre la route.

C'est comme si le monde s'était arrêté de tourner.

Tout est vide, morne et terne. Aucune lumière ne brille à l'intérieur des maisons et des bâtiments. Aucune voiture ne croise notre chemin. Aucun piéton ne se balade sur les trottoirs. Il n'y a aucun bruit, aucun signe de vie.

-Est-ce que... Est-ce que le Secteur 10 a été vidé ? demande Rune avec appréhension.

-Je ne sais pas, répond Abby. Il y a encore quelques jours, tout allait bien ici. Mais ça n'a rien d'étonnant. Nous sommes en guerre.

Un autre silence suit cet échange et les rouages de mon cerveau se mettent à fonctionner à pleine vitesse. Qu'est-ce qui pourrait expliquer qu'un Secteur entier ait été déserté ? L'est-il vraiment ou une partie de la population se cache-t-elle ? Et si c'est le cas, de qui se cachent-ils ? Toutes ces questions resteront sans réponse jusqu'à ce que l'on ait retrouvé Miles, je le sais. Et pourtant, une partie de moi meurt d'envie de descendre de voiture et d'aller voir ce qu'il se passe.

C'est en entrant dans le Secteur 9 et en reconnaissant l'endroit que je comment à m'agiter nerveusement. Car nous n'avons pas réfléchi à ce qui allait se passer. Max a le contrôle de la situation. Il pourrait très bien prendre l'enregistrement et nous tuer tous.

Trop de choses se bousculent dans ma tête pour que j'arrive à réfléchir clairement. L'inquiétude de voir mes proches en danger, la peur que ce soit déjà trop tard pour Miles, l'angoisse des rues vides et abandonnées...

-Nous y sommes presque, nous informe Abby en accélérant un peu.

Je découvre le champ que j'avais une fois tenté de traverser sous un soleil de plomb avant que Jake ne décide finalement de m'y amener. Le premier jour où j'avais décidé de résoudre l'énigme que représentait Peeter en me rendant à la base. Le moment où je savais que tout changerait, qu'il n'y aurait plus de retour en arrière.

Jake doit suivre le cours de mes pensées car il acquiesce silencieusement en plongeant ses yeux dans les miens. Il était déjà le pion de May à ce moment-là. Mais sans son aide, je n'aurais jamais réussi à approcher Peeter. En fait, j'ai du mal à le reconnaître, mais le rôle qu'il a joué n'a pas été que néfaste pour moi.

La dernière fois que je me trouvais dans la base, je recevais une balle dans l'abdomen malgré la protection de Peeter. C'était à la fois le plus beau moment et le pire de toute ma vie. L'impression que le temps s'était arrêté, que nous étions enfin connectés. Puis la douleur, la peur, la fuite. Quelle ironie que Max ait justement choisi cet endroit.

Quoique ce n'est pas plus surprenant que ça : après tout, c'est bien Max qui menait cette attaque ce jour-là. Et s'il avait réussit à me capturer, les choses auraient été bien différentes.

Le véhicule s'arrête devant l'énorme portail noir, désormais ouvert. Et alors que nous sortons de la voiture, un spectacle désolant s'offre à nous. C'est comme si l'endroit avait été bombardé. Il ne reste plus aucun bâtiment debout.

Nous entrons doucement dans l'enceinte de la base, sur nos gardes. Les garçons reprennent leur rôle de garde du corps et n'avance qu'en ayant sécurisé le terrain. Rune et moi suivons tandis qu'Abby surveille nos arrières. La cour est jonchée de morceaux de murs, de mobilier et de toutes sortes d'objets. Là, un coin de bureau et des feuilles calcinés. Plus loin, un bout de matelas et des vêtements réduits en simples loques.

L'air semble rare dans cet endroit où les odeurs montent au nez. L'odeur de brûlé, celle des produits chimiques, et... une odeur de mort.

Nous dépassons la cour pour contourner le bâtiment principal. La lune éclaire suffisamment pour que nous puissions voir où nous mettons les pieds, mais le brouillard nous empêche de voir au loin.

Soudain, des projecteurs s'allument, pointés sur nous. Peeter se rapproche immédiatement de moi tandis que Jake et Abby pointent leurs armes dans toutes les directions. Je me sens très vulnérable tout à coup. Comme si nous venions de nous fourrer dans un piège, tête baissée. Je déteste que Max ait le contrôle. Je déteste avoir à risquer la vie des personnes que j'aime.

Un bruit étrange retentit alors, comme un grésillement lointain. L'écho résonne dans toute la base, se répercutant sur les pans de murs restants, donnant à l'endroit un air encore plus sinistre. Puis une voix s'élève, comme venue d'un autre monde.

-Faussstine Jamesss, siffle la voix puissante de Max.

Elle vient de tous les côtés à la fois et pendant quelques instants, nous nous immobilisons tous, un frisson d'angoisse nous parcourant l'échine. Peeter se colle à moi et je sens son corps se tendre sous la pression. Impossible de savoir où se trouve Max, ce qui rend la menace encore plus grande.

-Tu ne meurs donc jamais, poursuit la voix sur un ton de reproche.

Je ne peux rien répondre. Je suis comme tétanisée, dans l'attente de savoir ce que Max a préparé pour nous. Un mauvais pressentiment s'insinue dans mes veines comme un venin et me glace le sang.

Puis, je lève les yeux et remarque enfin, dans tout ce chaos, un appareil resplendissant de blancheur : un haut parleur. Max a clairement préparé son coup. Il doit en avoir disséminé partout dans la base, après la destruction de la base. Il en a fait son terrain du jeu.
Il avait tout prévu.

-Vous êtes en avance, remarque Max avec agacement. Et je ne vois pas May Ryan.

Jake et Abby se mettent à fouiller frénétiquement les alentours mais aucun signe de Max. Il ne peut pas nous voir... A moins que...

-Des caméras, je murmure aux autres en leur indiquant un petit carré noir avec une lentille à côté du haut parleur. Il y en a partout.

-Qu'est-ce qu'on fait ? demande alors Jake, de plus en plus inquiet.

-Rien, répond Rune sur un ton abattu. Je sais comment il fonctionne maintenant. On va devoir se plier à ses règles... et jouer le jeu. Son jeu.

L'idée d'être un jouet dans les mains de Max me hérisse littéralement les poils, mais nous sommes là pour Miles. C'est lui l'objectif.

-Nous avons l'enregistrement ! je hurle en sortant l'appareil de ma poche et en le tenant au-dessus de ma tête, bien visible.

Un long silence s'abat sur les ruines de la base et nous attendons la suite. Il faut plusieurs minutes à Max pour reprendre, ce qui me fait me demander ce qu'il fabrique.

-Ce n'est pas les conditions que j'avais exposé, lâche-t-il d'un ton menaçant. Je déteste qu'on me fasse perdre mon temps.

Je serre les poings et les mâchoires pour retenir toutes les répliques bien senties qui se bousculent dans ma tête, insultes comprises. Je dois rester calme si je veux pouvoir négocier avec Max.

-Nous avons l'enregistrement, je répète.

Nouveau silence.

-Mettez-le en marche, ordonne-t-il.

Je baisse enfin le bras et m'apprête à appuyer sur le bouton quand je me souviens qu'il ne faut jamais céder sans contrepartie.

-Où est Miles ? je demande haut et fort.

Un rire glaçant résonne dans toute la base et j'ai du mal à contrôler ma peur. Peeter me prend la main et tente de garder son sang-froid pour me rassurer. Mais je commence à penser que, peut-être, Miles est déjà mort depuis longtemps. Et que nous sommes venus ici pour rien.

Puis un horrible bruit, comme un crissement de deux métaux l'un contre l'autre, retentit dans les haut-parleurs et nous obligent à couvrir nos oreilles. La douleur que le son provoque dans ma mâchoire est à peine supportable.

Quand, enfin, le bruit s'arrête, Jake fait un pas en avant. Puis un autre. Il semble écouter quelque chose avec attention. Il s'élance sans prévenir derrière l'ancien mur de la cafétéria et Abby le suit de près. J'arrache un cri de douleur en essayant de les imiter et Peeter me soulève de terre pour courir après eux, Rune sur ses talons.

-Ici ! hurle Jake.

Nous dépassons encore le restant d'un bâtiment et trouvons Abby et Jake devant un hangar, immobiles. La tôle a résisté au choc des explosions bien qu'elle soit noircie, lui octroyant un air sinistre. Au début, je ne vois rien, les projecteurs n'atteignant pas l'intérieur du hangar.

Et puis, en m'habituant à l'obscurité, je vois une forme, suspendue dans les airs.

Le corps de Miles.

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