Chapitre 4 - Faustine


-Il va bien falloir que tu me parles.

Je reste silencieuse, tournant résolument le dos à l'homme qui vient de m'enlever. Je sens qu'il commence à perdre patience.

-Qu'est-ce qu'ils t'ont fait Faustine ? insiste-t-il d'une voix neutre.

Le simple fait d'y penser me renvoie à un sentiment d'horreur, bien que je n'arrive pas à avoir des souvenirs précis de ce qu'il m'est arrivé ces derniers jours. Je sais que la faim me tenaille douloureusement le ventre. Je sais que malgré le chauffage, je tremble toujours de tous mes membres. Et j'ai aussi vaguement conscience que l'on m'a tenu éveillée volontairement, ce qui rend la notion de tout ce qui m'entoure extrêmement floue. Aussi, c'est l'envie de dormir qui l'emporte sur tout le reste.

Et pourtant, je fais tout mon possible pour rester éveillée. Pour lutter contre la lourdeur de mes paupières. J'ignore qui est l'homme assis à côté de moi et mon instinct me dicte de ne pas baisser ma garde.

J'essaie de te sauver la vie.

Ses paroles résonnent dans ma tête. J'aimerais savoir ce qu'il voulait dire par là. Et en même temps, je suis sûre d'une chose : la jeune femme et ce Peeter cherchaient à m'aider. Si cet homme m'a éloigné d'eux, c'est que ma sécurité n'est pas son seul intérêt.

La voiture continue de s'éloigner et je regarde dans le rétroviseur lorsque je remarque qu'une voiture noire nous suit. Je me garde bien de partager cette observation.

-Pourquoi est-ce que tu refuses de parler ? s'agace-t-il après une nouvelle minute de silence.

Je crois que, même si je voulais parler, je n'y arriverais pas. Cela me demanderait trop d'effort d'articuler, ou même d'émettre un son. Pour l'instant, je me contente d'essayer de respirer et de ne pas m'évanouir.

Cependant, lorsque je sens sa main sur mon bras, je sursaute avec une telle vigueur qu'il perd le contrôle du véhicule pendant une seconde. Mon cœur bat à toute allure et je me pousse le plus possible contre la vitre pour mettre un maximum d'espace entre nous.

-Et merde Faust, s'exclame-t-il en reprenant contenance. Je n'allais pas te faire de mal !

Je l'observe, méfiante.

-Ne me touche pas, je réussis à glisser entre mes dents.

-Ok, comme tu veux. Mais parle-moi, d'accord ?

Il passe une main maladroite dans sa chevelure brune et ce geste réveille quelque chose en moi. Je n'arrive pas à mettre un mot dessus, mais j'ai soudainement l'impression que lui et moi nous connaissons bien plus que ce que j'imaginais. De la lassitude ou de l'inquiétude passe sur son visage lorsqu'il me regarde à nouveau et je détourne les yeux.

-Je n'ai rien à dire, je murmure.

-Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? redemande-t-il, d'une voix plus douce cette fois.

-Je ne sais pas.

Il s'apprête à répliquer avec agacement, mais un coup d'œil vers moi suffit à le convaincre que je ne mens pas. Son expression change du tout au tout. Plongé dans ses pensées, il semble réfléchir à sa prochaine question.

Je n'aime pas l'idée de subir un interrogatoire. D'autant que je n'ai aucune réponse à apporter. Alors je vérifie que la voiture noire nous suit toujours avant d'ajouter d'une petite voix :

-Qui es-tu ?

Il manque à nouveau de faire une embardée mais ne lâche pas le volant. Le choc se lit sur son visage. Je le vois sonder mon visage pour savoir si je suis sérieuse, et lorsqu'il comprend que j'ignore qui il est, son visage s'assombrit.

-Jake.

Ses lèvres restent entrouvertes, comme s'il hésitait sur la façon de se définir. Ce nom ne me dit strictement rien.

-Tu ne te souviens vraiment pas ? demande-t-il d'une voix timide. De rien ?

-Je me souviens de Peeter, je lâche.

La douleur sur son visage me frappe. J'ai l'impression de lui avoir lancé un couteau en plein cœur. Tellement d'émotions passent sur ses traits que j'ai du mal à les assimiler. Souffrance, tristesse, colère... Après avoir poussé un soupir exaspéré, il émet un rire étrange.

Au début, je ne suis pas certaine qu'il rit. Puis il balance la tête en arrière et ses traits se détendent. J'ai l'impression qu'il est devenu fou.

-C'est juste... C'est juste tellement ironique, articule-il entre deux rires.

Je m'apprête à lui demander pourquoi quand je vois la voiture qui nous précède emprunter la voie de gauche et se mettre à notre niveau. La fenêtre fumée côté passager descend, et la jeune femme de tout à l'heure apparaît. Elle tient une arme dans sa main et la pointe sur la tête de Jake.

-Maintenant, tu t'arrêtes, ordonne-t-elle d'un ton qui ne souffre aucune réplique. Immédiatement.

Mon cœur bat la chamade à présent. J'espère que Jake va s'arrêter et que je vais pouvoir rejoindre la jeune femme. Mais pour le moment, il se contente de l'ignorer. Ce n'est que lorsque l'autre voiture vient frotter contre la nôtre que Jake se décide à se garer sur le bas-côté.

Je m'empresse de quitter la voiture, même si le froid assaille mes poumons et ma peau dès que je suis dehors. Je tombe à quatre pattes, couvrant mes vêtements de neige. Des éclats de voix retentissent sans que je les écoute. Puis la jeune femme vient m'aider à me relever et m'emmène pour m'installer à l'arrière de sa voiture.

Avant qu'elle ne referme sa portière, je lui lance un regard implorant.

-Est-ce qu'on retourne voir Peeter ? je demande d'une petite voix.

Elle semble surprise que je me souvienne de lui. Son froncement de sourcils m'indique qu'elle n'est pas particulièrement ravie que ce souvenir me soit revenu. Je la croyais pourtant de son côté... et du mien.

-Non, Faustine. Je vous ramène chez vous.

Je me revois sur la scène, quelques instants plus tôt. Je me souviens qu'elle me demandait de lire un texte, et qu'ensuite, on pourrait rentrer à la maison. Mais lorsque j'avais demandé où est-ce que c'était, elle était restée interdite.

Cette femme ne me ramène pas chez moi. Ça aussi, c'est une certitude.

La portière se referme, me laissant perdue dans mes pensées. Jake s'installe devant moi, et la femme prend place au volant.

Au lieu de démarrer, elle plonge vers la boîte à gants et ressort plusieurs objets qu'elle pose sur ses genoux. D'abord, elle me tend quelque chose. Une barre de céréales.

-Il faut que tu manges un peu. Nous augmenterons tes rations au fur et à mesure, pour vérifier que ton estomac accepte la nourriture.

J'ai tellement faim que je déchire le papier et engouffre la barre de céréales en trois bouchées. Je ne me sens pas mieux, mais j'ai au moins la satisfaction d'avoir autre chose qu'un goût de bile dans ma bouche.

Ensuite, elle me tend une bouteille d'eau.

-Il faut que tu t'hydrates aussi. Garde-la avec toi et bois aussi souvent que possible.

J'acquiesce, et bois quelques gorgées. Mon ventre proteste et gargouille mais personne ne fait de commentaires. Après s'être assurée que mon estomac ne ferait pas des siennes, la jeune femme remet le moteur en marche et nous abandonnons l'autre voiture sur le bas-côté.

-On peut savoir ce que vous lui avez fait ? murmure Jake si bas que je suis étonnée de pouvoir l'entendre par-dessus les bruits de la voiture.

-Elle a subi pas mal d'injections, se contente-t-elle de répondre. Pour la maintenir éveillée.

-Et pour lui effacer la mémoire ? ajoute-t-il, cynique.

La jeune femme serre les dents et ne réponds rien. Jake soupire et se retourne vers moi. Je ferme immédiatement les yeux et fais semblant de dormir.

-Où est-ce qu'on va en réalité ? demande-t-il après s'être de nouveau retourné.

-Je ne mentais pas, dit-elle d'un ton neutre. Nous allons chez vous.

-Qu'est-ce que ça veut dire ?

-Vous êtes Partenaires maintenant. Il y a une maison déjà prête qui vous attend.

Jake reste interdit et je me retiens d'intervenir. La panique m'envahit à l'idée de me retrouver définitivement seule avec lui. J'ignore ce qu'elle entend par « Partenaire », mais j'imagine que cela ne joue pas en ma faveur.

-Nous ne sommes pas Partenaires. Et vous le savez très bien.

-Vos symboles sont identiques, non ? Et le Système vous a bien désignés tous les deux, non ?

-Et Peeter ? lance-t-il en baissant la voix.

-Je m'occupe de Peeter, répond-t-elle avec assurance.

Jake reste silencieux un long moment. Je sais qu'il jette régulièrement des regards vers moi, et je fais tout mon possible pour paraître endormie.

-Myla, elle se souvient de lui, murmure-t-il.

-Rien d'étonnant.

Elle accélère légèrement et je lutte contre un haut le cœur. Je me demande ce que signifient ces messes basses au sujet de Peeter. Mais surtout, j'essaie de me souvenir que la jeune femme s'appelle Myla. Il faut que je commence à absorber des informations. Le silence s'installe dans l'habitacle et je crois que je finis réellement par m'endormir. Puis, le moteur se coupe et je sors de mon sommeil.

Nous sommes garés devant une petite maison blanche. Une petite allée déneigée mène à la porte d'entrée à travers un petit jardin. Je détache ma ceinture et ouvre la portière en même temps que les autres.

Myla vient poser une couverture sur mes épaules, et nous conduit jusqu'à la porte. J'essaie d'éviter le regard de Jake que je sens braqué sur moi.

Lorsque nous pénétrons à l'intérieur, je remarque que tout l'intérieur est déjà meublé et décoré comme si des gens vivaient ici. Une sensation de malaise m'envahit lorsque je découvre une photo de Jake et moi, trônant sur le mur au-dessus de la cheminée. Nous avons l'air heureux dessus.

Le sol est entièrement couvert d'un parquet lustré et brillant. J'hésite presque à poser mes chaussures humides et couvertes de boue dessus. Les murs sont tous blancs, décorés ici et là de tableaux ou de guirlandes lumineuses. Un large canapé noir et une table basse occupent le salon, qui s'ouvre sur une cuisine américaine.

-Bienvenue chez vous, s'exclame Myla d'un ton faussement enjoué.

-Ce n'est pas chez moi, je murmure derrière eux.

Myla se retourne et m'étudie un long moment. Je me sens mal à l'aise sous son regard inquisiteur.

-Mais si, finit-elle par répondre avant de se tourner vers Jake. Je vous laisse faire le tour du propriétaire. J'imagine que vous avez besoin de repos.

Elle se dirige vers la porte, en nous laissant derrière elle.

-Je reviendrais demain avec la convocation pour votre Orientation, vu que votre Révélation a été... écourtée. Le gouvernement vous a pardonné votre trahison envers le Système, mais jusqu'à ce que vous soyez complètement réintégrés à la société, vous avez interdiction de sortir d'ici. Des alarmes ont été posées sur chaque porte et chaque fenêtre et dans quelques minutes, des gardes seront postés devant chez vous. Alors, je vous fais confiance pour ne pas commettre de folies.

Elle insiste particulièrement du regard auprès de Jake qui soupire et acquiesce. Il passe une nouvelle fois la main dans ses cheveux et tente d'éviter mon regard.

-Je pense que vous avez des choses à vous dire, conclut-elle. Je vais vous laisser. A demain.

La porte se referme derrière elle, sans que nous ayons répondu quoique ce soit. Un silence de plomb envahit la pièce alors que nous nous retrouvons tous les deux, seuls.

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