Chapitre 33 : Jake
Le trajet m'a semblé interminable.
Je me précipite hors de la voiture dès que j'en ai l'occasion et profite de l'air pur et vivifiant de la forêt. Nous sommes arrivés au camp dont nous parlait Snowden. Il se loge dans une petite clairière protégée par de grands arbres et de multiples buissons. Mais en dehors de ça, il n'y a rien qui puisse nous permettre de nous défendre en cas d'attaque.
Une ou deux tentes ouvertes sont érigées pour protéger la nourriture et les documents de l'humidité, ainsi que quelques appareils. Une large bâche kaki est suspendue entre les arbres pour abriter les réfugiés en cas de pluie. C'est d'ailleurs en dessous que l'on trouve des lits de camps à même le sol.
Tout le reste n'est qu'un fouillis de gens, de petits feux de camps, de casseroles, bidons d'eau, vêtements, seaux, renversés ou assemblés pêle-mêle dans une cohue infernale.
-Alors c'est ici que l'on est censé être en sécurité ? je raille en observant le Sergent Snowden sortir May de la voiture.
Cette dernière essaie de résister mais c'est peine perdue. Myla reprend sa place à ses côtés et réussit à la calmer d'un simple geste. Sa docilité soudaine calme un instant mes envies de meurtre. Je n'ai pas oublié que c'est elle qui est responsable de tout. Que c'est elle qui m'a manipulé et fait chanter.
-Pour l'instant, nous n'avons pas mieux, confirme-t-il. Miles a foutu une sacrée pagaille dans les autres rassemblements et je ne sais pas encore à quel leader je peux me fier pour confier la gestion du camp. Tu voudrais te porter volontaire, peut-être ?
-Non, merci, ça ira.
Je m'étire, laissant mes membres douloureux se dégourdir. La deuxième voiture finit par nous rejoindre et je regarde avec étonnement Faustine, Peeter et Maggie en émerger.
-Où est Miles ? je demande presque en même temps que le Sergent.
Faustine ne dit rien et nous passe devant pour aller se perdre dans les buissons. Je n'ai pas eu le temps de lire l'expression sur son visage mais je jurerais que quelque chose de grave est arrivé. Peeter la regarde s'éloigner avant de nous rejoindre.
-Il est allé affronter Max, dit-il au Sergent.
-Tout seul ?
-Il n'a pas voulu que nous l'accompagnons. C'est une affaire personnelle entre lui et Max. Si vous voulez bien m'excuser, je vais rejoindre Faustine.
-Ramène-là ici. Personne ne doit se promener seul aux alentours tant que nous n'avons pas dressé de protections, d'accord ? Je vais envoyer des éclaireurs vérifier que nous à quelques kilomètres de toute civilisation.
Peeter acquiesce et disparait à son tour dans les buissons. Je commence à le suivre quand le Sergent me rappelle.
-On va avoir besoin de toi ici, me dit-il. Va voir ce que tu peux faire pour aider.
A contrecœur, je fais demi-tour et m'enfonce dans les méandres du camp, à la recherche de quelque chose à faire. J'ai la désagréable impression d'être un enfant à qui l'on vient de donner un ordre. Il semblerait que je ne sois utile que pour les corvées.
Je ramasse un seau avant de me rendre compte de ce qu'il contient. L'odeur est insoutenable et je le lâche en laissant un liquide sombre s'en déverser.
-Hé ! Qu'est-ce que tu fais ! hurle une voix féminine dans mon dos. On va marcher dedans après ! Ce n'est vraiment pas malin !
Je me retourne pour découvrir une jeune femme à la peau brunie par le soleil et aux cheveux de jais, rassemblés en une tresse qui lui tombe sur l'épaule. Ses yeux noisettes lancent des éclairs.
-Vous faites vos affaires dans des seaux et c'est à moi que tu dis que ce n'est pas malin ? je réplique. Et vous les laissez là, en plein milieu ?
-Nous n'avons pas le droit de nous éloigner du camp. Mais nous ne tenons pas à vivre au milieu des excréments.
Son air exaspéré m'amuse. Elle redresse le seau en se pinçant le nez et je m'esclaffe.
-Vous n'avez jamais pensé à creuser un trou ? Les toilettes sèches, ça existe.
-Puisque que tu sais tout mieux que nous, tu n'as qu'à le faire toi-même.
Elle s'en va mais revient quelques minutes plus tard avec une pelle qu'elle me lance. Je la rattrape au dernier moment alors qu'elle s'essuie les mains sur son débardeur noir. Je note le treillis kaki qu'elle porte et plisse les yeux.
-Tu viens d'un Centre Militaire ? je demande.
-Ouai, et alors ?
-Alors c'est vrai tout ce que l'on dit ? Tous les Uniques sont mis dehors ?
-Nous avons le choix, contre-t-elle un peu plus doucement. Suivre les ordres et aider à arrêter les Uniques récalcitrants. Ou les rejoindre en prison.
-Et pourtant tu es là.
Elle me jette un regard plein de fierté mêlé à une certaine amertume.
-J'ai réussi à m'enfuir avec quelques membres de mon équipe. La Résistance a envoyé des messages pour nous prévenir de ce qui allait arriver. Maintenant, si tu as fini ton interrogatoire, je dois te laisser. Tu as du travail de toute façon.
-Comment est-ce que tu t'appelles ? je demande tout de même alors qu'elle me tourne le dos.
-Je m'appelle Abby.
-Abigaïl, donc ?
-Je viens de te dire... Laisse tomber. Appelle-moi comme tu veux, mais construis-nous ces foutus toilettes superman.
Je rigole pour l'agacer et Abby s'en va en tapant des pieds. Pelle dans la main, je me mets à chercher un endroit légèrement excentré pour commencer ma construction. Ce n'est pas une tâche bien reluisante, mais au moins, je suis occupé et utile. En plus, j'ai toujours adoré l'idée de vivre dans les bois, et donc, d'utiliser les méthodes naturelles de survie en pleine nature.
Au bout de quelques heures, j'ai creusé un trou suffisamment large et profond pour la trentaine de personnes présentes dans le camp. Il faudra bien sûr refaire la même chose dans quelques jours ou semaines, mais je ne pense pas que l'on restera ici bien longtemps de toute façon.
Abby revient me voir pour me donner de l'eau et un sandwich mais repart presque aussitôt. Je continue mon assemblage en motivant quelques personnes pour aller couper du bois. Je récupère des planches d'anciennes constructions et utilise tout ce qui me tombe sous la main. Egalement, je prends soin de ramasser tous les copeaux de bois que je trouve pour les lancer dans mon trou. Avec un peu d'équipements et d'aide, nous arriver à monter un banc fermé dans lequel nous découpons un trou au centre. Je garde le bois pour supplémentaire pour refermer les toilettes improvisées : même s'il ne devrait pas y avoir d'odeur, je préfère quand même pouvoir recouvrir l'assise.
-C'est pas mal superman, raille Abby en m'apportant un fruit. Au moins, tu peux te rendre utile.
-Tu en doutais ? je réplique avec un large sourire. Et qu'est-ce que tu fais ici, toi ?
-Je récupère, nettoie et charge les armes qu'il nous reste. Viens voir.
Avec plaisir, je quitte mon côté du camp pour rejoindre les tentes. Au sol sont exposées toutes sortes d'armes, du plus petit pistolet au sniper.
-Je les comptabilise ainsi que le nombre de munitions, vérifie qu'elles fonctionnent toutes. Et je fais un rapport. Ensuite, j'aiguise les armes blanches.
Une saisissante collection de poignards et de sabres jonchent les tables de fortune.
-Impressionnant, je commente.
-C'était déjà mon rôle dans le Centre Militaire. Rien de très compliqué. Et toi ? Tu faisais quoi avant d'arriver ici ?
Je baisse les yeux, hésitant. Est-ce que je dois lui dire la vérité ? Est-ce que ça compte maintenant ?
-Je n'ai pas assisté à ma Révélation. Enfin, pas à celle où je devais aller. Mais on a fini par me retrouver et j'ai dû faire les tests mais... je n'ai pas eu le temps de recevoir mon Orientation.
Je lève les yeux pour découvrir l'expression inquisitrice d'Abby.
-Tu es Jake Sullivan ! s'exclame-t-elle enfin. Le Partenaire de Faustine James ! J'ai vu la transmission de ta Révélation !
Je grimace doublement. Je n'ai pas du tout envie de parler de ça.
-Tout était truqué, je réponds d'une petite voix. Et je ne suis pas son Partenaire.
-Officiellement, tu l'es ! insiste-t-elle.
-Et officiellement, tu es une vraie emmerdeuse !
Sur ce, je quitte la tente. Je ne sais pas pourquoi cette histoire me met toujours autant sur les nerfs alors que j'ai décidé de laisser Faustine et Peeter être ensemble. Je devrais ne plus m'en soucier et pourtant, le fait d'avoir été utilisé, d'avoir obtenu ce que je voulais dans les pires conditions... me laisse toujours un sentiment amer de malaise grandissant. Je repense à ma trahison, à mon désir de tuer Peeter ou même Faustine pour obtenir ce que je voulais : ma liberté ou son amour.
Je chasse ces pensées moroses en m'activant à une nouvelle tâche. Je ramasse et rassemble toute la vaisselle que je peux trouver et demande à quelques femmes de bien vouloir m'aider à tout laver.
-Nous n'avons presque plus d'eau, me prévient l'une d'elle.
-Alors il faut aller en chercher. En attendant, récupérez ce que vous pourrez pour laver tout ça. Alcool, savon, charbon, tout ce que vous trouverez.
Je cherche le Sergent Snowden qui se trouve en pleine conversation avec Myla. Ces deux-là continuent de garder May, à présent solidement attachée à un poteau, bâillonnée.
-Il n'y a plus d'eau, je dis en les interrompant. Vous n'avez pas pensé à poser votre camp près d'une rivière ?
-Les points d'eau sont surveillés par les patrouilles de la Milice. Ils envahissent les Zones Zéros de jour en jour. Ce n'était pas prudent de s'en approcher.
-Alors il faut envoyer une équipe en récupérer.
-Bien, tu te portes volontaire, je suppose ?
Je hausse les épaules et soupire.
-Il faut bien que je m'occupe.
-Demande à Abby de t'accompagner. Elle sélectionnera quelques personnes pour vous aider.
A son regard, je comprends qu'il sait déjà que je la connais. Je m'éclipse donc pour aller la retrouver et lui soumet l'idée.
-D'accord, on se retrouve à l'orée des bois, côté sud, dans dix minutes.
J'acquiesce et quitte à nouveau la tente. Pendant ce temps, je demande à quelques personnes de ranger le camp en rassemblant toutes les affaires d'un même type à un endroit. Le lointain sourire du Sergent Snowden me confirme sa satisfaction. Je ne fais pas ça pour lui cela dit. Mais je dois garder l'esprit occupé.
Autrement, je serais bien capable d'empirer à nouveau la situation. De préméditer le meurtre de May ou de poursuivre Faustine et Peeter dans les bois. D'ailleurs, je ne les vois toujours pas et plusieurs heures sont passées.
A ce moment, Abby me rejoint avec une dizaine d'autres jeunes.
-Pas d'adulte capable de se battre ? je note.
-Ils sont plus lourds et moins discret que nous. Ça te pose un problème, superman ?
-Aucun.
Mais je songe toujours à la disparition prolongée de Faustine et Peeter et j'aurais aimé que quelqu'un d'expérimenté nous accompagne. Pourtant, je ne dis rien. J'espère les retrouver par moi-même et leur prouver que je suis digne de confiance.
Nous pénétrons dans les bois et le froid nous envahit. A l'abri de la lumière, l'humidité nous pénètre jusqu'aux os. Ce doit être la fin d'après-midi mais ici, les ombres des arbres laissent planer une certaine obscurité.
Abby prend la tête de notre groupe et nous demande de rester aussi silencieux que possible. Nous marchons en file indienne, veillant à bien regarder autour de nous. Au bout de quelques minutes, nous entendons enfin le bruit d'un ruisseau. Nous avons tous des gourdes, des seaux et des barils de quelques litres à remplir. Le chemin retour sera d'autant plus difficile que nous serons lourdement chargés.
Sans perdre de temps, nous remplissons tous nos récipients en silence tandis qu'Abby et un autre gars surveillent les alentours, armes de pointe en main. Nous étalons toute notre récolte sur le côté et divisons le poids à porter. Avec un autre garçon, nous dénichons deux branches solides d'arbre bien solides (ce qui nous vaut le regard désapprobateur d'Abby qui se plaint du bruit que l'on fait) et passons les anses des récipients dedans. Ainsi, nous pouvons porter les branches sur nos épaules qui elles-mêmes soutiennent les réserves d'eau. Nous accrochons le reste à nos ceintures et les derniers portent les gourdes à la main.
Nous avançons bien plus lentement qu'à l'aller et nous faisons également beaucoup plus de bruits, ce qui insupporte notre gardienne. Elle nous demande alors de nous arrêter.
-Nous allons procéder par équipe, chuchote-t-elle. Vous faites un boucan infernal tous ensemble. Jake et Rick, vous portez le plus lourds donc vous allez passer devant.
-Non, je préfère passer en dernier, je réplique. Si vous avez besoin d'aide, je préfère être là.
Et puis, je n'ai pas encore retrouvé Faustine et Peeter. Mais j'évite de le mentionner.
Abby soupire mais hausse les épaules. Elle envoie donc d'autres garçons et, deux par deux, notre groupe se réduit à nous trois.
-On va pouvoir y aller, dit-elle.
Mais au moment où nous reprenons les branches sur nos épaules, plusieurs bruits étranges se font entendre. Comme des bruits de lutte.
Je lâche tout, persuadé qu'il s'agit de Faustine et Peeter. Je cours malgré les désapprobations d'Abby qui me suit. Mais quand j'aperçois enfin la source des bruits, je me jette à terre.
Plusieurs hommes armés et vêtus de noir tiennent en otage des Résistants. L'un d'eux a voulu s'échapper mais a été rattrapé à temps par l'un des soldats qui lui plante maintenant son pistolet contre la tempe.
-Nous avons ordre de ne pas les tuer, prévient doucement l'un des soldats.
-Un de plus, ou un de moins...
-Il faut d'abord qu'ils soient testés, réplique ce dernier.
Ils parlent tout bas et j'ai peine à entendre le contenu de leur conversation.
-Ok, allons-y alors.
Nous les suivons discrètement mais n'avons pas à aller bien loin. Après une côte difficile à gravir, nous découvrons avec horreur un immense grillage surmontés de fils barbelés qui forment un gigantesque enclos. Des projecteurs sont braqués sur l'intérieur et l'extérieur de la prison. Car c'est ce que nous avons sous les yeux : une prison.
Des centaines de soldats, tous habillés en noir, montent la garde et trainent des prisonniers dans des cages à peine assez grandes pour eux. Un par un, certains sont envoyés dans des tentes, probablement pour les fameux tests.
-Il faut que l'on aille prévenir tout le monde, murmure Abby, allongée à mes côtés. Ce camp est à quelques centaines de mètres du nôtre. C'est étonnant qu'ils ne nous aient pas déjà repérés.
-Ou alors, ils attendent le bon moment pour nous tomber tous dessus, je commente.
-En tout cas, c'est une question de temps avant que nous nous fassions capturer. Il faut rentrer.
Je m'apprête à acquiescer quand j'entends des bruits de pas, un peu plus loin. Rick nous a suivis et nous cherche, visiblement perdu. Il se prend le pied dans une branche et chute de l'autre côté de la colline, tout droit vers le camp de prisonnier.
Nous retenons notre souffle alors que les soldats se retournent vers lui.
-Ils vont nous repérer, s'alarme Abby.
-File. Maintenant. Je vais les ralentir.
-Tu n'es pas obligé de jouer les héros, s'indigne-t-elle.
-Il faut que tu ailles prévenir tout le monde, je réplique. On n'a pas le temps de tergiverser. Et puis, ça te donnera raison de m'appeler superman.
-Jake...
-File, maintenant.
Elle pose un rapide baiser sur ma joue et recule discrètement en rampant.
-Je reviendrais vous chercher, dit-elle avant de disparaître.
Et alors que des soldats ont déjà capturé Rick, je note que d'autres escouades se dirigent vers le haut de la colline. Je me lève donc, et décide de les attirer plus loin. 4
En me souvenant qu'en théorie, ils ne peuvent pas me tuer.
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