Chapitre 3 - Peeter


Comme le sable qui glisse entre les doigts, Faustine m'échappe à nouveau.

Ma colère n'a d'égale que la douleur qui me tenaille le ventre. Le chaos autour de nous semble monter d'un cran alors que les vrombissements des hélicoptères résonnent dans le ciel.

Myla me dépasse en courant et s'engouffre dans la voiture gouvernementale restante. Il me faut plusieurs secondes pour réagir et pour m'élancer vers le véhicule. Déjà, le moteur tourne et la jeune femme attend que j'arrive à son niveau pour fermer les portes à clés, me laissant dans l'impossibilité de la rejoindre. Alors que je m'échine sur la portière, Myla descend légèrement sa vitre et plonge ses yeux sombres dans les miens.

-Tu devrais partir Peeter. Toi et Miles, vous devez vous enfuir immédiatement.

-Laisse-moi monter, il faut rattraper Faustine et Jake ! je perds patience.

-Fais-moi confiance Peeter, insiste-t-elle. J'ai un plan.

Sa manière de répéter mon prénom me tape sur les nerfs. Je vois bien qu'elle tente de m'amadouer en me transperçant du regard. J'ai déjà vu l'effet qu'elle peut avoir sur certaines personnes. Mais ça ne fonctionne pas sur moi.

-Ouvre cette porte Myla, je menace.

-Trouve Miles et partez d'ici avant qu'il soit trop tard. Je m'occupe de Faustine. Dans trois jours, je vous contacterais pour vous dire où elle est et comment la récupérer. Mais si vous vous faites capturer avant, il n'y aura plus rien à faire, ni plus personne à sauver.

Sur ce, elle referme la vitre et démarre en trombe, me laissant seul derrière.

Je tente d'empêcher ma rage d'exploser, mais j'ai du mal à me retenir de frapper quelque chose. Ou de hurler.

Je ne fais pas confiance à Myla et je ne compte pas sur elle pour aider Faustine. Savoir qu'elle se trouve avec Jake, sans défense, affaiblie, me rend complètement dingue. Mais je n'ai pas d'autres choix que d'avancer.

Je récupère mon arme à ma ceinture, et m'élance vers le côté de la scène d'où se mélangent toujours les cris des assaillants et des victimes. Je cours le plus vite possible, discrètement, concentré sur les bruits de balles qui sifflent autour de ma tête. Régulièrement, je me baisse ou roule sur le côté pour éviter des soldats ou leurs armes. J'essaie de me repérer dans tout ce raffut mais j'ai du mal à me concentrer.

J'observe chaque visage que je croise en espérant tomber sur Miles. Il ne m'a pas dit ce qu'il comptait faire et j'ignore à quel genre de diversion il pensait. Mais je sens la tension montrer d'un cran et remarque que d'autres camions de la Milice viennent de se garer à proximité. Des dizaines de soldats en descendent deux par deux, et s'éparpillent sur le terrain.

Avec cette fois, de vrais armes.

Je réalise qu'à chaque seconde qui passe, mes chances de sortir d'ici s'amenuisent. Je devrais peut-être m'enfuir, tout simplement. Mais ma conscience refuse de laisser Miles derrière moi. S'il n'était pas le père de Faustine, j'y aurais peut-être songé plus longuement. Mais cet homme est le seul en qui j'ai confiance. Nous avons le même but. Et je dois aussi reconnaître que je l'apprécie.

Qu'est-ce que Miles ferait à ma place?

Il trouverait un poste d'observation. Un endroit dégagé, et sûr.

Sans cesser de courir, je m'élance sous un des camions de renfort et rampe pour me placer au milieu, invisible aux autres. Je vérifie pendant quelques secondes que personne ne m'a vu me faufiler en-dessous et pause mon bras devant moi, relevant ma manche pour dégager le bracelet. Pour mieux réussir à me concentrer, je dois m'assurer que Faustine va bien.

L'image grésille étrangement, comme si elle subissait des interférences. Heureusement, elle se stabilise suffisamment pour que la silhouette de Faustine se dessine. Elle est recroquevillée sur le siège avant, dos au conducteur. Dos à Jake.

C'est déjà ça.

J'éteins l'hologramme et recouvre le bracelet pour plus de sûreté. Maintenant, il faut que je trouve un plan. J'observe les alentours et constate que tous les soldats se regroupent vers la scène. Si j'attends que tous les camions soient déchargés, j'aurais la voie libre pour courir dans l'autre sens. De là, je pourrais trouver un endroit sûr. Eventuellement, je pourrais voler un camion dont les vitres sont blindées et parcourir l'esplanade dedans à la recherche de Miles. Pas très discret, mais probablement efficace.

J'attends encore que le flux de soldat diminue, et je rampe à nouveau pour sortir, avant de m'élancer le plus rapidement possible dans la direction opposée à tous les autres. Je m'en sors plutôt bien et visualise le dernier camion garé sur la droite.

Seulement, un des soldats m'a vu et me barre la route.

-Hé ! s'exclame-t-il. Tu es le type de la télé. C'est toi qui es recherché !

Alors que cette idée fait son chemin dans tête, il se retourne pour hurler ma position. Alors je me jette sur lui, nos corps s'abattant durement sur la terre humide. Il prend rapidement l'avantage et se place sur moi pour abattre son poing sur ma mâchoire.

Une douleur aiguë traverse tous le côté gauche de mon visage et j'arrive à peine à parer le coup suivant. Ce n'est que lorsqu'il essaie d'appeler à nouveau de l'aide que je trouve l'énergie nécessaire pour le renverser. Je place derechef mes mains sur sa gorge pour l'empêcher de proférer le moindre son. Mais rapidement, les veines de son front ressortent et sa peau vire au rouge écarlate. Je ne peux pas faire ça.

Je relâche ma prise et décide de me relever pour m'enfuir. J'ai à peine fait quelques pas que je l'entends se relever. Surtout, j'entends précisément le moment où il arme son pistolet. Alors je me tourne vers lui, l'arme à la main, et tire.

Je sais que c'était lui ou moi. Mais voir son corps s'effondrer sur le sol me bouleverse. En général, je m'arrange pour blesser mes adversaires. Mais je n'ai jamais tué par préméditation comme je viens de le faire. J'ai tué un homme, sans réfléchir, sans hésitation, par instinct.

L'horreur de mon geste me pousse à jeter l'arme le plus loin possible de moi et je regarde ma main comme si elle m'avait trahi. Mais je me reprends. J'ai fait ce que j'avais à faire. Alors je récupère l'arme et cours vers le dernier camion.

Au moment où je l'atteins, une voiture débarque en trombe et se gare juste à côté de moi. La portière passager s'ouvre à mon attention. Je vois Miles se pencher et m'ordonner de monter, et je m'exécute derechef. Son visage est salement amoché, du sang dégouline du haut de sa tête.

-Qu'est-ce qui t'es arrivé? je m'exclame alors qu'il redémarre.

-Un petit différend, explique-t-il brièvement. Et toi? T'es salement amoché.

Je me souviens à peine des coups que m'a donnés le soldat. Celui que j'ai tué.

-Question de survie, je marmonne en frottant ma mâchoire.

A cet instant, un gémissement attire mon attention vers l'arrière. Je me retourne et découvre un homme allongé sur la banquette, à peine conscient. Son visage se couvre de terre et de sang, et laisse même apparaître quelques hématomes naissants. Je l'observe avec attention, persuadé de connaître cet individu. Il porte l'uniforme de l'escouade du Gouverneur. Sous la crasse, ses cheveux sont si clairs que le sang dessus est écarlate.

-C'est Jay Balder?

-Yep. C'est bien lui, répond-t-il d'un ton nonchalant.

-Tu as perdu la tête? je m'écris, ma voix emplie d'une colère sourde. Qu'est-ce que tu as fait?

Miles soupire et entame un virage si serré, que je me retrouve projeté contre la vitre passager. Il pousse une exclamation de soulagement en constatant qu'il a évité un obstacle de près.

-Je te l'ai déjà dit, gamin. J'ai créé une diversion.

-Tu as kidnappé le fils du gouverneur ! j'explose. En quoi est-ce que c'est une diversion? Ils vont nous tomber dessus et nous tuer !

-Où est Faustine? contre-t-il.

-Elle...

Je déteste sa manière de changer de sujet à son avantage. Exactement comme Faustine le fait.

-Jake l'a enlevé. Myla est à leur poursuite. Elle m'a dit qu'elle nous contacterait dans trois jours pour nous rendre Faustine.

Les mots qui sortent de ma bouche me brulent et je baisse les yeux sur mes mains. J'ai échoué.

-Elle le fera, assure Miles. Elle est de notre côté.

-Personne n'est de notre côté. Elle est avec la Résistance.

Miles grimace et balaye ma remarque d'un geste de la main, plongé dans ses pensées.

-Explique-moi ce merdier, j'ordonne en tentant de garder mon sang-froid.

-Une diversion est une manœuvre visant à attirer l'adversaire vers une zone différente de celle sur lequel il compte attaquer.

-Je sais ce qu'est une diversion. Je n'ai pas besoin de définition, je siffle.

-Et bien, au lieu de mettre toutes ses unités à la recherche de Faustine, il devra bien d'abord s'occuper de retrouver son fils, pas vrai?

Je vois où il veut en venir. Il essaie de faciliter la fuite de Faustine. Dommage que cela facilite aussi celle de Jake.

-Et nous?

-Pour l'instant, nous sommes dans la voiture de cette enflure donc les autorités ne pensent pas à un enlèvement. Lorsqu'ils le feront, nous aurons déjà remis Jay à la Résistance. Ce sera leur problème. Et puis, je ne crois pas qu'ils sachent que tu es sorti de terre...

-D'accord, tu cherches à diviser les angles d'attaque.

-Tu sais ce qu'on dit... Diviser pour mieux régner...

-Je ne suis pas certain que c'est ce que ça voulait dire à la base, je marmonne.

Il hausse les épaules, satisfait.

-Tant que c'est efficace...

Nous quittons enfin les chemins pour rejoindre la route, et notre véhicule prend de la vitesse.

-Mais Faustine est avec Jake.

Il note mon inquiétude d'un regard et m'envoie un regard compatissant.

-On va la retrouver, m'assure-t-il. On la retrouve toujours.

J'acquiesce en déportant mon regard vers la vitre, espérant qu'il ait raison.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top