Chapitre 18 - Faustine
-Où est-ce que l'on va ?
Je finis par poser la question car Peeter m'entraine toujours plus loin dans le Secteur 9 sans un mot. C'est à peine s'il me regarde.
-Chez moi. Enfin... l'ancienne maison où je vivais.
Il semble extrêmement mal à l'aise et évite mon regard. J'aimerais lui demander pourquoi nous nous rendons là-bas alors que, visiblement, il n'a pas du tout envie de s'y rendre. Mais je m'abstiens de tout commentaire. Il va falloir que nous ayons une conversation tous les deux et je préfère garder mes forces pour le moment où il me faudra affronter la vérité.
Nous marchons depuis près d'une heure lorsqu'il ralentit l'allure. Le chemin que nous empruntons ressemble en tout point à tous les autres et pourtant, je sens le corps de Peeter se tendre dès que nous tournons dans sa rue.
Les quelques mètres qui nous séparent de sa maison d'enfance se font dans un silence lourd et pesant. Aucune voiture n'est garée dans l'allée et la maison en brique a l'air abandonné. Mais Peeter s'avance jusqu'au perron, prend une grande inspiration, et frappe plusieurs fois à la porte.
J'entends presque son cœur tambouriner contre sa poitrine alors qu'il retient sa respiration. Alors je fais quelque chose qui, j'en suis sûre, ne me ressemble pas.
Je lui prends la main.
Stupéfait, il expire bruyamment et me dévisage avec inquiétude. Alors je souris. Enfin, ce que j'espère être un sourire mais qui doit plus ressembler à une grimace. Des décharges électriques parcourent mon corps au moment où il me renvoie mon sourire. Et inexplicablement, je me dis que tout ira bien.
Dans le chaos que sont devenues ma vie, mon corps et mon cerveau, une certitude de plus s'ajoute à ma liste : j'aime Peeter. Et il m'aime aussi.
Au bout de quelques minutes sans réponse, Peeter me lâche doucement la main pour fouiller dans sa poche. Il en retire une petite tige métallique et s'accroupit devant la porte d'entrée pour se mettre au niveau de la serrure.
-Surveille les parages en attendant que je crochète la serrure, me demande-t-il calmement.
J'acquiesce et regarde autour de nous. La rue est calme, déserte. Je vérifie que personne ne nous observe derrière les rideaux des maisons environnantes, mais j'ai plutôt l'impression que le quartier a été abandonné il y a longtemps. Il n'y a qu'une petite fille en vélo qui me prouve le contraire, mais elle disparait rapidement à l'angle de la rue.
Je me tourne vers Peeter et soupire. Je me sens toujours très étrange, nauséeuse et perdus, et nous venons de marcher en plein soleil pendant plus d'une heure. J'ai soif et mes muscles endoloris réclame de se reposer.
-Je peux essayer quelque chose ? je demande.
Peeter s'éloigne de son trou et acquiesce à contrecœur. Il doit bien reconnaître qu'il n'a pas l'âme d'un cambrioleur. Alors je m'avance vers la porte, et appuie sur la poignée.
Elle s'ouvre.
J'éclate de rire et la sensation de ma cage thoracique secouée par mon hilarité est douloureuse, mais je n'arrive pas à m'arrêter. Peeter rit lui aussi, mais surtout, il m'observe. Notre fou rire continue quelques instants encore et je m'accroche à la sensation de bien-être qui envahit ma poitrine. Je me sens vivre à nouveau.
-Tu n'as même pas pensé à regarder si la porte était déjà ouverte, je me moque en reprenant ma respiration.
-N'en rajoute pas, me sermonne-t-il avec un grand sourire qui contredit son ton moralisateur.
-Tu voulais tellement m'impressionner que tu en as oublié l'élémentaire !
Son regard change et il plonge ses yeux gris dans les miens en me coupant le souffle.
-Et ça a marché ?
-Tu as de la chance, je suis facilement impressionnable, je réponds en essayant de ne pas me laisser distraire par l'intensité de son regard. Mais je me demande quand même ce que tu ferais sans moi.
J'essaie de garder le ton de la plaisanterie mais l'humeur de Peeter change à nouveau. Je lis de la nostalgie sur son visage et un mélange de douleur et d'adoration.
-Pas grand-chose, répond-t-il plus sérieusement.
Il baisse les yeux une seconde et j'ai envie de le rassurer sur le fait que je serais toujours là pour lui ouvrir la porte, et pour toutes les autres choses que l'on aurait à affronter. Mais je ne peux pas. Il y a toujours cette autre partie de moi, celle modifiée par le sérum et mon séjour à la Tour, qui refuse de me laisser tranquille. De me laisser redevenir celle que j'étais.
-Allez, entrons, soupire-t-il en changeant de sujet.
Je le suis à l'intérieur et découvre une petite entrée dont le sol est couvert de terre. En continuant tout droit, nous tombons sur le salon qui est jonché de détritus et donc l'odeur me pique le nez. Sur la droite, dans la cuisine, des montagnes de vaisselles s'alignent sur tous les meubles et dans l'évier. Les placards vides sont ouverts, ce qui donne l'impression que la maison a été cambriolée et vidée de son contenu.
-Reste-là, m'ordonne Peeter qui doit penser à la même chose que moi. Je vais vérifier qu'il n'y a personne ici. Ferme le verrou de l'entrée.
Je m'exécute pendant qu'il disparaît sur la droite, derrière la cuisine. Dans le salon, je me retrouve à empiler les cartons et je trouve un sac pour commencer à jeter tout ce qui traine. J'ai besoin de m'occuper pour que mon esprit ne divague pas trop. Mais au bout de quelques minutes, je constate que Peeter n'est toujours pas revenu et je commence à m'inquiéter. Pire, je sens l'effet du sérum augmenter, me rendant faible et vulnérable. Dans ces moments-là, je suis incapable de me concentrer ou de me maîtrise. Je suis envahie d'une sensation d'angoisse qui s'intensifie de seconde en seconde jusqu'à m'empêcher de bouger ou de réagir.
Des images de la Tour apparaissent dans mon esprit et me fond l'effet d'être percutée de plein fouet. Je m'accroupis derechef, prête à parer à des coups invisibles. Je revois Jay Balder et son regard glacial se pencher sur moi. Mais son visage se transforme presque aussitôt par celui de Miles. J'ai du mal à comprendre ce que je vois.
J'ai envie d'hurler. De m'arracher les cheveux. Je peux presque sentir le sérum modifier mon cerveau. C'est exactement ce qu'il fait. Il s'insinue dans mes vaisseaux sanguins et modifie ma perception des choses.
Alors je me force à me relever, et je parcours rapidement la maison à la recherche de Peeter. S'il y a bien une personne qui pourra m'aider, c'est lui. Mais je ne le trouve nulle part.
Jusqu'à ce que j'entre dans une toute petite pièce, à peine meublée. La chambre tient plus du placard à balai que d'une véritable pièce à vivre. Le lit prend toute la largeur de la pièce et il n'y a rien d'autre qu'une commode plaquée contre le mur.
Peeter est là, accroupi devant le lit, le visage baissé vers quelque chose que je ne peux voir. Toute l'angoisse que je ressentais disparait en sa présence et je m'approche doucement de lui. Ne sachant quoi faire, je pose une main sur son épaule et attends en silence.
-Désolé, dit-il au bout d'un moment.
Des centaines de questions se bousculent dans mon esprit. Sur lui, son enfance, cette pièce et le reste de la maison. Mais à la place, je presse légèrement sa peau et m'accroupis juste derrière lui, la pièce n'offrant pas assez de place pour que je me positionne à ses côtés.
-Est-ce que ça va ? je demande d'une petite voix.
Il acquiesce, puis, après une éternité, tourne son regard vers moi. J'ai le souffle coupé de la proximité de nos visages. Je ne suis pas prête pour ça. Mon cœur bat à tout rompre et je rêve de m'enfuir en courant. Mais je ne bouge pas.
A la place, je prends doucement son poignet, ce qui le force à se retourner pour me faire face. Nous sommes tous les deux à genoux et je passe délicatement mon doigt sur le symbole tatoué à l'encre noir qui couvre l'intérieur de son poignet.
Pendant un instant, je revois celui de Jake. Je repense à nos conversations, son sourire, sa façon de passer sans cesse sa main dans ses cheveux pour tirer dessus, et nos symboles. J'ai du mal à me souvenir vraiment de ce dont nous avons parlé. Il m'a raconté tellement de choses que je suis encore perdue.
Mais voir son symbole identique au mien ne m'avait pas fait le même effet que de découvrir celui de Peeter. Je n'ai besoin d'aucune confirmation pour savoir qu'ils sont identiques. Je ne suis pas la Partenaire de Jake. Je suis la sienne.
-J'ai tellement de choses à te dire, murmure-t-il tout en refermant son autre main sur la mienne.
Incapable d'ouvrir la bouche, je me contente d'acquiescer.
-Mais pas ici, dit-il en se relevant. Pas dans cette chambre.
Nous quittons la pièce et retrouvons le salon. Nous enlevons ensemble les derniers détritus recouvrant le canapé gris taché et la table basse. Puis nous nous asseyons de côté pour se retrouver face à face.
Le moment fatidique est arrivé.
-Faustine, murmure-t-il et mon cœur s'envole lorsqu'il prononce mon prénom, j'ai besoin de savoir ce qu'il s'est passé.
-Je sais.
Mais je n'arrive pas à me résoudre à repenser aux choses affreuses qui me sont arrivées depuis que... et bien je ne sais pas depuis quand j'étais dans cette Tour. Ni ce qu'il s'est passé juste avant.
-Pourquoi tu détestes cet endroit ? je demande à la place.
Il ne relève pas mon changement de sujet et passe une main dans ses cheveux, la laissant longtemps trainer dans ses cheveux blonds. Je rêve d'y plonger ma main mais je sais que je n'oserais jamais.
-C'est une des seules choses dont nous n'avons jamais parlé, finit-il par dire. Un jour, tu m'as raconté toute ton enfance. Tu m'as parlé de Rune, de Jake, de tes parents, et de ta vie au Secteur 9. De ce que tu laissais derrière toi. De ceux qui devaient s'inquiéter de ta disparition soudaine.
Je fais oui de la tête, mais si je ne sais pas vraiment de quoi il parle.
-Et tu m'as demandé, si j'avais quelqu'un à prévenir.
-Et tu as répondu que tu n'avais personne, je poursuis, envahit d'une étrange sensation.
Je le revois, dans la voiture nous menant au Secteur 9. Je me rappelle ces trois longues heures de route qui nous menaient au danger. Et je me souviens de ce qu'il m'a dit, comme si je pouvais l'entendre de nouveau à présent.
-Tu as dit que j'ai toute une vie derrière moi et des personnes qui s'inquiètent pour moi. Mais que pour ta part, tu n'as que moi. Et que...
J'hésite à ajouter la dernière partie. Puisqu'à présent, c'est très loin d'être la vérité. Mais c'est justement la vérité qui me fait défaut depuis trop longtemps. Alors je me force à poursuivre :
-Et que tu n'as jamais été plus heureux.
-Et c'est vrai, dit-il en posant sa main sur la mienne. Je ne regretterais jamais tout ce que nous avons vécu. Tous les risques que je prends pour toi, pour nous, en valent la peine.
Le soulagement sur mon visage doit être perceptible car il sourit me caresse doucement la joue.
-J'aimerais me souvenir de tout, je murmure. Tout ce qui te concerne. C'est trop étrange de ressentir tous ces sentiments, toutes ces émotions pour quelqu'un, sans savoir d'où ils viennent.
-Tu ressens des choses pour moi ? plaisante-t-il en feignant la surprise.
Je ris, doucement.
-Tu n'as pas répondu à ma question, je fais remarquer.
Son regard s'obscurcit légèrement mais il réussit à rester détendu.
-Et bien, c'est vrai que je n'ai que toi, reprend-t-il. Parce que, même si mon père se trouve quelque part, je ne le considère plus comme tel depuis longtemps.
J'ignore pourquoi je suis partie du principe que ses parents étaient morts. Mais savoir qu'il existe un membre de sa famille quelque part que je n'ai jamais rencontré me procure un sentiment étrange.
-Cette maison, c'est la sienne, poursuit Peeter. Au départ, il vivait dans le Secteur 12, mais il a été muté ici. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais je crois qu'il s'agissait de ma mère. Elle a disparu alors que je n'avais que quelques jours. Il a dû vouloir partir de là-bas.
Il soupire à nouveau et son regard se perd dans le vide.
-Je n'en ai jamais parlé à personne. Mais mon père était quelqu'un de violent. Il ne m'aimait pas. C'est à peine s'il supportait de pouvoir me regarder en face. Cette pièce là-bas, dans laquelle tu m'as trouvé, c'était ma chambre.
J'étouffe un cri étouffé, et il me lance un pauvre sourire.
-Ca va maintenant. J'ai réussi à mettre mon passé derrière moi. Mais je voulais que tu saches ce qu'il s'est passé... au cas où il revienne.
-Vu l'état de la maison, je ne pense pas qu'il vive encore ici.
-On ne sait jamais. En tout cas, s'il devait passer le pas de cette porte, je veux que tu quittes immédiatement la pièce.
-On s'en ira ensemble, je le corrige, me découvrant une détermination nouvelle.
Il sourit et acquiesce doucement. Pourtant, je ne peux m'empêcher de lui demander :
-Pourquoi est-ce que tu as si peur de lui ? Aujourd'hui, tu es en position de te défendre.
-Je n'ai pas peur de lui... J'ai peur de ce que je pourrais lui faire si je le revoyais à nouveau.
Le ton sur lequel il dit ça me glace le sang et pourtant, son regard est plein de douceur.
-Tout ce que j'ai vécu depuis que l'on s'est rencontré m'a changé. J'aimerais que ce soit différent, mais j'ai dû faire des choses que je ne pourrais jamais effacer. Et je ne suis pas la même personne qu'avant.
-Je suis certaine que si, je réplique. Peeter, je sais que je ne me souviens pas vraiment de tout... de nous... mais je sais que tu es quelqu'un de bien
Peeter me lance un regard lourd d'émotion.
-Après toutes ces années passées à subir l'influence et les coups de mon père, j'ai été décrété Unique. Mais juste après, j'ai trouvé une photo de toi. On l'avait déposé à mon intention. Et j'ai su que j'allais tout faire pour te retrouver et te garder.
Il marque une pause.
-Ce n'est que très récemment que j'ai compris que je suis littéralement prêt à tout.
***
Nous passons les heures qui suivent à discuter. Peeter me raconte tout ce qu'il sait de moi, de ce que nous avons vécu. Il n'oublie aucun détail et je l'écoute sans l'interrompre. Des bribes de ma mémoire se remettent en place et j'arrive bientôt à reconstituer toute l'histoire. Je ne me souviens pas de tout, mais de nouvelles images me parviennent, me permettant d'assembler les pièces du puzzle.
Mais maintenant, c'est à mon tour de raconter ce que je sais. Ce que j'ai vécu depuis que l'escouade spéciale du Gouverneur est venue nous arrêter avec Jake. Peeter m'encourage en me racontant ce qu'il a vu grâce au bracelet que nous avons laissé à Miles. Il me fait même une démonstration et je découvre l'hologramme où nous pouvons voir Miles dans une pièce que je reconnais vaguement. Il discute avec Myla, Jake et une autre femme.
J'ai du mal à croire que j'ai construit cette chose. C'est tellement... épatant.
-Je sais qu'ils t'ont maintenu inconsciente pendant longtemps, déplore Peeter. Mais... est-ce que tu te souviens de ce qu'il s'est passé ?
Je déglutis et rassemble tout mon courage pour me plonger dans l'horreur de ces jours à la Tour.
-Je ne sais pas vraiment comment je suis arrivée à la Tour. Quand je me suis réveillée la première fois, j'étais dans une pièce toute blanche. Elle était totalement close et il n'y avait qu'une banquette où je pouvais m'allonger. On n'entendait rien. On ne voyait rien. La lumière artificielle était sans cesse allumée.
Je détourne les yeux du regard pénétrant de Peeter. Je ne peux pas soutenir son regard avec ce que je m'apprête à lui raconter.
-Je suis restée seule très longtemps mais je n'avais pas la notion du temps alors... peut-être que ce n'était qu'une impression. Mais c'était la première étape, j'imagine. Me donner l'impression d'être seule et abandonnée. La deuxième étape, ça a été de m'affamer. Des infirmières sont venues et ont voulu me donner une pilule. Ça devait servir à m'alimenter, d'après elles. J'ai refusé mais au bout d'un moment, j'ai fini par accepter, juste pour pouvoir boire un peu d'eau en la prenant. Je savais qu'elles mentaient. Alors j'ai essayé de me faire vomir mais c'était trop tard.
Je marque une pause, sentant que les tremblements et les sanglots se préparent au fond de mon estomac. Je dois réussir à vider mon sac. Je dois finir de raconter.
Peeter, qui doit sentir ma détresse, serre plus fort ma main dans la sienne.
-C'est à ce moment qu'ils m'ont attaché, je poursuis. Et qu'ils ont commencé à me punir.
Un frisson me parcourt l'échine et je suis à deux doigts de craquer en revoyant le fils du gouverneur entrer dans la pièce alors que je me trouvais complètement vulnérable, incapable de bouger, étendue sur le sol.
-La pilule servait à endormir mes muscles. J'étais consciente tout le long de ce qu'ils faisaient, mais je ne pouvais pas bouger. Ni parler. C'est à peine si j'arrivais à respirer.
-Faustine...
-Laisse-moi finir. S'il te plaît.
Je ne dois pas trouver un prétexte pour m'arrêter. Je dois tout raconter et me libérer de ce qu'il s'est passé là-bas. Peu importe à quel point l'expérience est douloureuse pour moi, je sais que je me sentirais mieux une fois que ce sera sorti.
-Bien, acquiesce-t-il. Mais viens-là, tu trembles.
Il ouvre ses bras et je m'étonne moi-même en me réfugiant au creux de son étreinte. Il ne cherche pas à me caresser ou à démontrer son affection. Il m'apporte juste son soutien et me serrant contre lui. Sa chaleur me réconforte mais surtout, je suis contente qu'il ne puisse pas voir mon visage pour le pire qui reste à venir.
-Ils ont fait des tests, j'explique. Des séries interminables de tests en tout genre pour déterminer si mon ADN me rendait vraiment particulière. Ils ne voulaient pas laisser dormir. Je ne sais pas si c'était pour calculer le degré de fatigue que je serais capable de supporter. Mais je sais que des équipes de chercheurs se relayaient pour faire leurs expériences. Les seuls moments où je pouvais regagner ma couchette, c'était pendant leur pause. Ils laissaient la porte ouverte pour que je les entende rire de ce qu'ils me faisaient. Tout en sachant que je n'aurais pas la force de m'enfuir. Et très rapidement, j'ai même oublié que j'aurais pu tenter de m'enfuir. Au bout d'un moment, j'ai complètement oublié qui j'étais. La douleur prenait trop de place pour qu'il y ait quoique ce soit d'autre dans ma tête.
J'ai l'impression d'avoir été détruite de l'intérieur et les marques que j'ai sur le corps me prouvent que tout ça était bien réel.
-Pour tester la résistance de mes organes et de mon cerveau, et capacité d'endurance, ils ont essayé toutes sortes de choses... La pièce était équipée. Je pense que je n'étais pas la première personne sur laquelle ils faisaient des expériences. Je me souviens des décharges électriques, de l'eau glacée, du manque d'oxygène, de la dépressurisation de pièce, la chaleur cuisante, les brûlures...
Le corps de Peeter se tend et je sens chaque muscle de ses bras et de son abdomen se contracter. J'imagine que c'est aussi douloureux pour lui que pour moi.
-Quand ils ont eu fini de tester ma capacité à supporter la douleur et les conditions les plus extrêmes, ils ont commencé à me faire des injections. J'en avais plusieurs par jour. Avec la première, j'ai hurlé pendant une heure, sans interruption. La deuxième... après la deuxième, j'ai commencé à avoir des hallucinations. Et c'est là que le fils du Gouverneur est venu me voir.
Cette fois, je ne peux réfréner les tremblements qui parcourent mon corps. Peeter se met alors doucement à caresser mon bras et je sens son souffle dans mes cheveux.
-Il m'a battu. Encore et encore. Jusqu'à ce que je m'évanouisse. On m'injectait autre chose et je me réveillais, et il reprenait là où il s'était arrêté. La seule fois où je ne me suis pas réveillée après l'injection d'adrénaline, il a attendu patiemment que je reprenne conscience. Il m'a dit qu'il allait tester autre chose.
Je reprends ma respiration alors que des larmes coulent sur mes joues.
-Est-ce que... Est-ce qu'il t'a touché ? demande Peeter qui respire à peine.
-Pas comme tu crois... Je veux dire... Il ne m'a pas... Il ne m'a pas violé. Mais il me prouvait qu'il pouvait faire ce qu'il voulait de moi. Et que je ne pouvais rien faire pour l'en empêcher.
J'essuie les larmes qui trempent mon visage alors que je revis le traumatisme dans ma tête.
-Je ne pouvais pas bouger et lui, il s'amusait. Durant les tests, ils ont découvert que j'étais ... que je n'avais jamais... Enfin tu vois. C'est la seule fois où quelqu'un... Myla je crois... s'est interposé pour l'empêcher de...
-J'ai compris, dit-il d'une voix douce, bien qu'il soit toujours aussi sur les nerfs. Tu n'as pas besoin de me donner les détails si tu n'en as pas envie.
-Alors il a continué à me battre, de plus en plus fort. Et puisqu'on l'avait empêché de me prendre, il s'est acharné sur mon ventre.
Je relève les yeux vers Peeter pour lui révéler l'horreur de tout ceci. De la conséquence ultime qui me suivra tout au long de ma vie.
-Je ne pourrais pas avoir d'enfants, Peeter. Jamais. Il s'en est assuré.
Les poings de Peeter se serrent dans mon dos et mais il ne lâche pas mon regard. Il approche son visage du mien et pose un baiser inattendu sur mon front. Le contact de ses lèvres sur ma peau m'apaise miraculeusement et d'un coup, le poids sur ma poitrine s'envole.
-Je suis tellement désolé, murmure-t-il encore et encore à mon oreille.
Quand nous sommes suffisamment calmes de nouveau pour reprendre la conversation, j'essaie de conclure rapidement, histoire d'en avoir fini avec ce cauchemar.
-Le dernier jour, enfin je crois que c'était le dernier, l'écran intégré à l'un des murs s'est allumé. A ce stade-là, je ne savais plus vraiment qui j'étais, où j'étais et pourquoi. Je voulais juste que la douleur s'arrête et qu'on me laisse dormir. Ou mourir.
Je le sens froncer les sourcils en m'entendant dire ça mais il ne dit rien.
-Ils ont affiché des images à l'écran. Je ne me souviens plus de tout, puisqu'ils m'ont injecté autre chose. Mais je sais que tu y étais. Je crois que ces images avaient un effet positif sur moi, alors ils ont arrêté. A la place, ils ont mis Miles.
Je frissonne à nouveau.
-C'est pour ça que tu pensais qu'il était à la Tour ?
-Je ne sais pas... Je crois qu'il était là et d'autres fois, je sais que ce n'était que des images... Mais sur ces images, il tuait des gens. Il en tuait plein, encore et encore. J'étais terrifiée par ce qu'il faisait... tout ce sang...
-C'était un soldat de la Milice avant. Tu as dû voir des images de ses missions. Et maintenant, tu penses que c'est lui l'ennemi.
-Je ne sais pas... Mais je ne veux pas me retrouver avec lui. Pas encore. Et pour finir, le lendemain, on m'a fait sortir de la pièce pour la première fois. On m'a douché, changé, coiffé et je me souviens que je n'arrivais pas à tenir debout. Ils voulaient me mettre des talons et Myla m'a donné ses chaussures à la place. Ils avaient tous pitié de moi. Quand je suis arrivée sur la scène, je ne savais pas pourquoi j'étais là. Je voulais juste rentrer et dormir. Et puis j'ai entendu une voix...
-C'était Miles que tu as entendu.
Je hausse les sourcils, surprise. La voix que j'ai entendu était familière et rassurante... Je n'ai envie de trop y réfléchir pour le moment. J'ai presque fini mon histoire et j'ai besoin de passer à autre chose.
-Et je t'ai vu toi. Enfin... j'ai vu un regard dans la foule, et je sais que c'était toi.
Je marque une légère pause sans oser affronter son regard et conclus :
-La suite, tu la connais.
Peeter soupire et embrasse mon front à nouveau. On reste longtemps serrés l'un contre l'autre en silence. Je sais qu'il a besoin de temps pour digérer ce que je viens de lui dire. La tension dans son corps est trop présente et les battements de son cœur sont trop rapides. Ce n'est que lorsque je me décide à le regarder qu'il trouve le courage de prendre la parole.
-Je ne t'obligerais à rien, tu le sais. Tu as vécu tellement de choses...
-Mais ? je demande avec l'espoir qu'il ne me demandera pas ce que je pense.
-Mais Miles est de ton côté.
-Qu'est-ce que tu en sais vraiment ? Je l'ai vu faire ces choses. Il n'était peut-être pas à la Tour, il ne m'a peut-être rien fait... Mais ce n'est pas quelqu'un de bien.
-Tu te trompes... Il t'aime vraiment et il a tout fait pour te sortir de là-bas.
-Toi aussi, je réponds en baissant les yeux. Je n'ai pas besoin de lui, j'ai juste besoin de toi.
Il passe un doigt sous mon menton et me redresse le visage. En plongeant mes yeux dans les siens, je vois tout l'amour qu'il me porte et à quel point ce que je viens de dire l'a ému. Mais il y a autre chose qui se cache derrière ses iris gris.
-Faustine, j'ai quelque chose à te dire.
Je retiens mon souffle en attendant la suite.
-C'est Miles qui a kidnappé Jay Balder.
Tout l'air que je viens d'emmagasiner se vide d'un coup et j'ai la tête qui tourne. Je me souviens du moment où j'ai vu l'annonce à la télévision alors que Jake me disait que je n'avais plus rien à craindre.
-Quoi ? Mais ... Pourquoi ?
-Parce qu'il voulait vraiment te sortir de là. Il était prêt à tout et en kidnappant Jay, il savait qu'il aurait un moyen de pression pour te faire revenir parmi nous. J'ai échoué à te récupérer quand Jake t'a enlevé sous mes yeux...
Il serre les dents à l'évocation de ce souvenir.
-...et sans Miles, je ne pense pas que nous serions ensemble aujourd'hui.
Quelque chose manque à son histoire. -Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu'il aurait fait ça ?
Le regard de Peeter est impénétrable. Et pourtant, je vois bien qu'il se livre une bataille intérieure. Son silence laisse à mon cerveau le temps de cogiter et de retourner la situation dans tous les sens. Mais je ne trouve pas la solution. Si j'arrivais à me souvenir de la façon dont je l'ai rencontré, j'arriverais peut-être à tirer mes conclusions. Mais je ne sais rien de lui à part la peur qu'il m'a infligé quand je l'ai vu plus tôt, et ce que m'en a dit Peeter. Je ne vois pas ce qui pousserait un homme de la Résistance que je connaissais à peine à prendre tous ces risques pour moi. Ce n'est pas comme si c'était...
-Miles... Miles est mon... Mais...
-C'est une longue histoire, soupire Peeter sans me lâcher du regard. Elle est à peine croyable. Mais oui.
Le sourire qu'il m'envoie est étrange. Mais je suis trop abasourdie pour essayer de le décrypter. Mon cerveau reste bloqué sans qu'aucune pensée ne puisse entrer ou sortir. J'attends avec désespoir la réponse à la question que je viens à peine de formuler intérieurement, et qui n'aurait aucun sens.
-Miles est ton père, me confirme Peeter.
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