Qu'est-ce que c'est que ce merdier ?

Je tourne en rond, parcourant des yeux les alentours avec frénésie. J'hésite à crier après eux mais je ne tiens pas à nous faire repérer. Pourtant, je ne peux pas envisager de partir en les laissant derrière moi.

Prenant le temps de faire le point, j'inspire longuement. Il n'y a aucune trace de lutte, pas d'agents de la Milice, et aucune voiture du gouvernement dans les environs. La Résistance aurait pu intervenir, mais dans ce cas, Peeter aurait trouvé un moyen de sonner l'alerte.

Je n'imagine pas Peeter partir sans moi. Il sait bien ce que Faustine représente pour moi et il n'est pas suffisamment égoïste pour la vouloir pour lui tout seul. Je sais que je ne le connais pas vraiment, mais je suis certain qu'il ne m'aurait jamais laissé sans une bonne raison.

Tant pis, je n'ai plus le temps d'attendre.

J'ouvre la portière et découvre avec stupéfaction qu'un bracelet est posé sur mon siège. Il ressemble étrangement à celui que portait Peeter. J'essaie d'appuyer sur la pierre lisse au-dessus mais il ne se passe rien.

L'énigme se résout rapidement dans ma tête et j'enfile le bracelet au poignet avant de m'engouffrer dans le véhicule et de démarrer en quatrième vitesse.

-T'as intérêt à me retrouver, gamin, je murmure à l'intention du bracelet, en espérant qu'il me regarde. Je n'aime pas du tout, du tout, ce plan.

Je ne ralentis que lorsque nous avons quitté le quartier. Vérifiant régulièrement le rétroviseur, j'essaie de faire abstraction du fait que May continue de vociférer et de donner des coups dans le coffre. Je ne voulais pas lui faire du mal ; pas encore du moins ; mais si elle ne finit pas par la fermer, je vais devoir la faire taire.

Myla fixe le bracelet avec insistance avant de me transpercer du regard.

-Où est Faustine ?

-Je ne sais pas.

-Mais c'est à elle ce bracelet. Pourquoi te l'aurait-elle laissé en partant ?

-Je ne sais pas.

Je n'ai pas envie de dévoiler mes secrets avec elle. Et j'ai des choses plus importantes à penser pour le moment.

-Où est-ce qu'on va ? demande finalement Myla en soupirant.

-Je ne sais pas encore.

Et c'est vrai. Peeter aurait sûrement eu une idée brillante pour nous sortir de ce pétrin. Mais moi, je travaille toujours en solitaire. Je n'ai pas l'habitude de devoir emmener des gens avec moi en décidant des risques que je suis prêt à leur faire prendre.

-Il va falloir faire profil bas pendant un moment, dit Myla.

-Sans déconner.

J'essaie de calmer ma mauvaise humeur, mais elle semble augmenter de minute en minute. Il me faut du calme pour réfléchir et le boucan que fait May me tape sur les nerfs.

-De ce que je sais, poursuit Myla, les unités de la Milice sont déployées dans tous les Secteurs pour retrouver le fils de Gouverneur. Il n'y a aucune meilleure option de ce côté-là. Et la Résistance a établi ses camps dans les Secteurs 8, 10 et 12. Mais ils ont des agents ici aussi.

Je réfléchis à toute vitesse. Nous n'atteindrons jamais une zone Zéro sans faire le plein d'essence. Et d'ici quelques minutes, quelques heures tout au plus, l'alerte sera lancée pour les disparitions de Faustine, May et Jake. S'arrêter pour faire le plein deviendra trop risqué et même si nous réussissions, nous n'avons rien pour survivre tous, dans les bois en pleine hiver.

J'enrage intérieurement. La solution est là, pourtant, je le sais. Comme pendu au bout de ma langue. Réfléchis, réfléchis...

-Tu as toujours ton téléphone ? je demande à Myla.

Elle acquiesce et je me rengrogne.

-Mauvaise idée, tu leur indiques notre position en ce moment même, je maugré.

Elle récupère son téléphone dans sa poche et s'apprête à enlever sa carte SIM mais je l'en empêche d'un geste.

-Cela dit, il va nous être utile. Est-ce que tu pourrais passer un message au gouvernement ?

-Oui... Mais...

-Dis leur que Faustine et Jake ont été enlevé par la Résistance.

Elle ouvre grands ses yeux noisettes.

-Quoi ? Mais si je fais ça...

-Tu as dit que tu ne serais pas sécurité avec eux, non ? Et tu ne peux pas retourner au Gouvernement ? Pas vrai ? Tu n'appartiens plus à aucun des deux camps ?

Elle hoche la tête gravement et fronce les sourcils.

-Alors je te propose de choisir ton propre camp, et de t'allier avec nous. Comme tu l'as suggérée un peu plus tôt. A une condition.

-Je t'écoute.

-Tu vas prouver ta loyauté et envoyer un message à quelqu'un du gouvernement. Quelqu'un haut placé, qui prendra ton message au sérieux.

-D'accord.

Elle allume l'écran et va sur ses messages. J'essaie de cacher ma satisfaction alors qu'un plan diabolique se monte dans mon esprit. Une manière de me venger de tous.

-Tu vas leur dire que les Résistants ont enlevé Faustine et Jake. Que tu es enfermée quelque part sous terre et que tu ne sais pas où tu es.

-D'accord, et ensuite ? Qu'est-ce que ça change ?

-Ensuite, tu précises que tu sais exactement où se trouve Jay Balder.

Myla ne peut retenir une exclamation de surprise alors que j'affiche un air satisfait. Si j'avais du whisky ou du rhum avec moi, mon contentement serait complet.

-Et où est-ce qu'il est ?

-Donne la localisation du camp d'Ida et Fenrik. C'est là qu'ils le trouveront. Et tous les leaders avec, je conclus.

Je vois qu'elle n'a pas fini de taper le message et ma bonne humeur s'envole.

-On peut savoir ce que tu attends ?

Encore sous le choc, Myla ne cesse de me fixer avec des yeux de merlan frit. Pour quelqu'un qui peut hypnotiser presque n'importe qui, elle n'est pas à son avantage à cet instant.

-Tu veux dire que la Résistance est allée jusqu'à kidnapper Jay Balder ?

-Non, c'est moi qui l'ai fait. Tu vas taper ce foutu message, oui ?

-Alors, tu...

-Myla, je m'énerve. Si tu n'envoies pas ce message maintenant, la Résistance va se pointer là-bas et découvrir que tout le monde a disparu. Ils se lanceront à nos trousses. Dans le même temps, le gouvernement va aussi découvrir l'enlèvement de Faustine et Jake, mais aussi ta soudaine disparition.

Elle ne dit rien et semble peser le pour et le contre.

-Ce message va juste leur donner un os à ronger, et nous pourrons tranquillement aller nous cacher. La Milice ira au camp, récupèrera Jay Balder, et nous oubliera pendant un temps. De l'autre côté, la Résistance devra faire face à l'attaque et réorganiser ses plans. Nous ne serons plus leur priorité, d'accord ?

-Mais ils vont payer pour quelque chose que tu as fait. Au camp, certaines personnes sont innocentes. Ce sont juste des Uniques qui ne supportaient plus leur vie au gouv...

-Et je suis quoi, moi, à ton avis ? je hurle.

-C'est juste que...

-TU VAS ENVOYER CE FOUTU MESSAGE, MAINTENANT !

J'essaie de me calmer mais mes mains tremblent de rage. Les coups de May s'intensifient à l'arrière et je freine brutalement. Les coups s'arrêtent, et je redémarre. J'inspire et j'expire lentement, en stabilisant progressivement l'allure de la voiture pour nous éviter d'avoir un accident.

-Peeter et Faustine aussi étaient innocents. Et Jake aussi. Et depuis le début, c'est eux qui paient les erreurs des autres. Ce n'est pas comme si tu ordonnais leurs exécutions. Mais si tu refuses de faire ce que je te demande, tu signes la nôtre.

Elle acquiesce gravement, termine de taper le message et l'envoie. Puis elle enlève la carte SIM de son téléphone et jette le tout par la fenêtre.

Un lourd silence s'installe dans l'habitacle. Je ne suis pas aussi soulagé que je le devrais. Derrière, Jake est étonnamment calme. Je me demande bien ce qu'il mijote.

-Bien, je reprends lorsque je suis calmé. Maintenant que l'on sait que les deux camps sont occupés par une tâche primordiale qui est la sauvegarde du fils du gouverneur, nous avons gagné un peu de temps. Quelqu'un a une idée d'un endroit où se planquer ?

Myla semble faire la tête et ne fait aucun commentaire. Elle se contente de regarder par la fenêtre et de hausser les épaules. Je jette un rapide coup d'œil dans le rétroviseur à Jake qui m'observe aussi.

-J'ai mon droit à la parole ? s'étonne-t-il.

-Et bien, étant donné que c'est en grande partie à cause de toi qu'on en est là, je t'encouragerais même vivement à te racheter.

Je note la surprise sur son visage. Mais il se reprend rapidement et semble réfléchir sérieusement. C'est rafraichissant, de ne pas être le seul à chercher des solutions.

-Ca va leur prendre du temps d'aller là-bas ? demande-t-il enfin ?

-Pas vraiment, mais sur place, ça risque d'être un sacré carnage.

Myla soupire plus fort que nécessaire pour marquer sa désapprobation. Et évidemment, je l'ignore.

-Donc ils risquent d'être bien occupés pendant suffisamment de temps pour que nous quittions les Secteurs ?

-Oui, mais au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, nous n'avons rien embarqué avec nous pour survivre au dehors et nous n'avons plus aucune aide. On en peut pas aller là-bas.

-Mais eux, l'ignorent.

Je souris dans le rétroviseur.

-Qu'est-ce que tu suggères ? je demande en haussant les sourcils.

-Que l'on reste ici. Dans le Secteur 9.

Je secoue la tête en émettant un léger rire nerveux.

-C'est vraiment stupide comme plan.

Jake se décompose mais je ne le quitte pas du regard.

-Brillamment stupide. Tout ce que j'aime.

Sauf qu'il n'y a qu'une seule personne que je connaisse ici. Et c'est bien la dernière personne à qui j'ai envie de demander de l'aide.