Chapitre 10 - Faustine



Lorsque je me réveille, les évènements de la veille me paraissent flous.

J'ai d'abord du mal à situer où je suis, et pourquoi je suis là. Des bribes de réponses me parviennent par vagues, sans que j'en saisisse le sens.

La jeune femme brune m'a amené ici. Ici, c'est mon nouveau chez-moi. Elle, elle s'appelle Myla. Elle va venir aujourd'hui. Elle s'occupera de moi.

Je me redresse et découvre avec horreur le bazar qui règne dans la chambre.

Est-ce que c'est moi qui ai fait ça ?

Je sors du lit et commence à ramasser les morceaux cassés de bois et de porcelaine qui jonchent le sol. Je les place dans la poubelle du bureau et récupère ensuite les divers objets que j'ai dû balancer un peu partout. Les livres sont un peu abîmés et je regrette de m'être laissée emporter. Je ne me souviens même plus pourquoi.

Dans un coin de la chambre, je remarque un miroir que je n'avais pas vu hier. Je m'avance doucement, presque effrayée de ce que je pourrais y découvrir.

Mes longs cheveux miel sont en bataille et mériteraient d'être lavés et peignés. La pâleur de ma peau contraste avec les tâches noires qui parsèment mon bras et mes jambes. Je ne me souviens pas d'avoir enfilé un pyjama et pourtant, je porte un short bleu et un tee-shirt blanc. Ils sont tous les deux trop grands pour moi, et le short glisse sur mes hanches.

Je m'étudie avec attention. Lorsque chaque parcelle de ma peau a été passée en revue, j'inspire profondément et affronte mon propre regard. J'ai du mal à fixer les yeux bleus que je discerne dans le miroir. L'intensité du bleu jure avec le peu d'expression que je lis dans mes yeux.

Je ressemble à un fantôme. Peut-être que j'en suis devenu un ?

Je ne suis plus que l'ombre de moi-même, sans pour autant être capable de me rappeler qui je suis. Qui j'étais. Je ne peux pas en supporter plus. Pas pour l'instant.

Je m'éloigne aussi vite que possible du miroir et ouvre l'armoire. Je prends un jean bleu foncé et un pull gris chiné. Je les enfile rapidement, et tente de tresser mes cheveux sans succès. Alors je me décide à sortir de la chambre.

Arrivée dans le couloir, tout me paraît silencieux. Mais en me concentrant, j'entends des bruits provenant du rez-de-chaussée. Je fais glisser mes pieds discrètement sur le parquet et descends les escaliers le plus tranquillement possible. Arrivée en bas, je me penche pour observer le salon.

Il est vide, mais il y a des couvertures défaites sur le canapé. Ce qui veut dire que quelqu'un a dormi ici. Je ne suis pas seule.

Je m'approche discrètement du l'endroit d'où émergent les bruits. J'entends une machine se mettre en route et l'entrechoquement de tasses sur le comptoir.

-Ah ! Tu es réveillée ! s'exclame un homme torse nu dans la cuisine.

Je retiens un hoquet de surprise et détourne rapidement les yeux de ses muscles. Je n'arrive pas à croire qu'un jeune homme à demi-nu se ballade chez moi.

Qu'est-ce qu'il fait là ?

Je croise les bras sous ma poitrine et le fixe. Il n'a pas l'air de faire attention à moi et continue de préparer un petit-déjeuner.

-Tu as faim ? fait-il au bout d'un moment.

Il fronce les sourcils lorsqu'il s'aperçoit que je n'ai pas bougé d'un pouce et que je l'observe avec agacement.

-Qu'est-ce qu'il y a ?

Il a l'air réellement surpris de ma réaction.

-Qui êtes-vous ? Et qu'est-ce que vous faites là ?

Le jeune homme reste perplexe un moment. Les bras ballants, il me dévisage, immobile, ne sachant visiblement pas quoi faire de sa peau. Un léger rictus secoue ses lèvres et il me pointe du doigt.

-C'est une blague, c'est ça ?

Mais son sourire retombe vite lorsqu'il comprend que je suis sérieuse. Extrêmement sérieuse.

-Faustine, de quoi est-ce que tu te souviens ?

Je réfléchis un moment, les yeux dans le vide. Je suis partie du principe que je vivais seule ici mais peut-être qu'il manque des éléments à mes souvenirs ?

-Je... Je ne sais pas.

La tête me tourne et je manque de tomber sur le sol, mais le jeune a contourné le bar à une vitesse hallucinante et viens m'aider à m'asseoir sur le canapé. Le contact de sa peau nue contre moi me fait frissonner et il s'écarte.

-Désolé, s'excuse-t-il en évitant mon regard. Je vais remettre un tee-shirt.

Je hoche la tête, perdue dans mes pensées.

Je m'appelle Faustine. J'ai dix-huit ans. J'étais Unique.

Voilà tout ce dont j'arrive à me souvenir avec certitude.

Le jeune homme revient s'asseoir à côté de moi, laissant un espace conséquent entre nous. Il passe une main dans ses cheveux et tire dessus, ne sachant pas vraiment quoi faire. Puis il se lève pour s'asseoir sur la table en face de moi et plonger ses yeux dans les miens.

-On va commencer par ce dont tu te souviens, dit-il doucement en m'encourageant.

Je lui répète mon mantra et il acquiesce en souriant.

-Bon, déjà, tu sais qui tu es, plaisante-t-il mais je n'ai pas le cœur à rire.

-Qui es-tu ? je demande d'une petite voix.

-Je m'appelle Jake. Jake Sullivan. On se connaît depuis l'enfance.

Je l'étudie un long moment pour savoir s'il me dit la vérité. Je n'ai pas vraiment d'autres choix que de le croire mais une partie de moi me rappelle de faire attention à ce que l'on me dit.

Jake se lève et me demande d'attendre une minute. Il rapporte deux tasses de café avec du lait et du sucre dans le mien. Cela ne prouve rien, mais il semble bien me connaître. Ensuite, il nous apporte une assiette remplie de tartines et une autre couverte de fruits. Mon ventre gargouille à la vue de ce festin.

-Tu n'as pas beaucoup mangé ces derniers jours et tu dois y aller doucement, me prévient-il.

J'acquiesce et saisis une tartine dans laquelle je mords avidement. Puis je bois une gorgée de café sous son regard amusé.

-Quoi ? je dis, la bouche encore à moitié pleine.

-Rien, rigole-t-il. Heureusement que je viens de te dire d'y aller doucement.

-Je f ...

-Fais ce que tu veux, je sais, réplique-t-il en levant les mains devant lui. Tu me l'as déjà dit hier soir. Et un nombre incalculable de fois avant ça.

J'essaie de sourire mais il doit sonner faux. Jake m'est sympathique. Mais quelque chose me retient de lui faire entièrement confiance.

-Qu'est-ce que tu peux me dire d'autre sur moi ? je demande finalement en soupirant.

-Et bien, c'est une longue histoire. Je préfère résumer les grandes lignes. Myla te détaillera les faits tout à l'heure.

Je hoche la tête et finit ma tartine en deux bouchées.

-L'année dernière, tu as été Révélée Unique mais... il y a eu un problème pendant ta Révélation. Du coup, tu as dû repasser la Révélation cette année et le Système nous a choisis comme Partenaires.

Il montre son poignet et je compare rapidement nos symboles. Ils ont l'air identique.

-Quel genre de problème ? j'insiste.

Jake passe à nouveau une main dans ses cheveux et soupire.

-Des éléments extérieurs sont intervenus pour fausser tes tests.

C'est une phrase toute faite qui sonne faux. Mais je fais comme si cette réponse m'avait convaincu et lui demande de poursuivre. Il semble soulagé.

-En ce moment, le Gouvernement est sujet à une révolte de la part de la Résistance. C'est un groupe de gens qui croient que le Système doit être détruit, pour que nous revenions au temps où les gens choisissaient eux-mêmes leur destinée. Et... heu... les Résistants t'ont enlevé pour que tu n'assistes pas à ta seconde Révélation. D'où... ton... état.

Il me scrute un long moment, étudiant visiblement ma réaction. Je reste aussi impassible que possible. Je n'ai aucun moyen de savoir s'il dit la vérité. Si ce n'est pas lui qui m'a fait ça.

-Pourquoi est-ce que tu as dormi sur le canapé ?

Etonné par ma question, il recule légèrement.

-J'ai préféré te laisser la chambre... Ça me paraissait trop bizarre de dormir avec toi.

-Mais je croyais qu'on se connaissait depuis l'enfance ?

-Oui mais...

-Ça te gênait de dormir avec moi, mais pas d'être à demi nu dans la cuisine ? je poursuis.

Il rougit tellement que j'ai presque envie de rire devant son air embarrassé. D'un autre côté, je trouve que son histoire ne tiens pas la route. Je sais qu'il ment, mais j'ignore sur quelle partie.

-C'est juste que toi et moi, on n'était pas en très bons termes avant de devenir Partenaires. Si tu étais toi-même, tu m'en voudrais probablement à mort.

C'est la première fois que je suis certaine qu'il me dit la vérité. J'avais donc bien raison de me méfier de lui.

-Qu'est-ce que tu as fait pour que je te déteste à ce point ?

-On s'est tous les deux faits des choses, élude-t-il en regardant ailleurs. Je pense que ce n'est pas le moment de ressasser le passé. Il doit y avoir autre chose que tu as besoin de savoir.

Il a raison, mais le fait qu'il esquive le sujet me frustre. Je garde cette idée dans ma tête... en espérant ne pas l'oublier.

-Qu'est-ce qu'il se passe maintenant ? je demande alors. Qu'est-ce qu'on est censés faire ?

-Et bien... Myla va venir aujourd'hui nous donner la convocation pour notre future Orientation. Et puis, on devra organiser notre cérémonie des Liens. Histoire d'officialiser notre Union.

Une brique tombe dans mon estomac. La douleur est si puissante que j'ai du mal à respirer. Je ne sais pas pourquoi je réagis comme ça.

-Et ensuite ?

-Je ne sais pas Faustine, soupire-t-il en passant à nouveau la main dans ses cheveux. Je suppose qu'on vivra ensemble pour le restant de nos jours.

J'ai du mal à interpréter ce que j'entends dans sa voix. De la lassitude ? De la déception ? Du soulagement ? C'est tellement difficile de juger l'intonation de quelqu'un sans contexte.

J'en ai assez entendu pour l'instant. Je me lève et le préviens que je vais prendre une douche, le laissant seul dans le salon. Avant de disparaître dans l'escalier, je jette un dernier coup d'œil à son intention et remarque qu'il a l'air mal. Vraiment mal.

***

L'eau chaude a apaisé certaines de mes courbatures. Mais les douleurs les plus importants sont toujours là. Ce sont celles que l'on ne peut pas voir à l'œil nu.

Un sentiment de vide est ancré dans mon cœur. Et je n'en connais pas l'origine.

Je sais juste que si j'étais vraiment moi, je serais vraiment malheureuse. Je le sens comme si l'ancienne moi vivait encore sous la surface.

Je remets les mêmes vêtements que plus tôt et m'apprête à descendre de nouveau lorsque j'entends une voix féminine au rez-de-chaussée. J'imagine sans mal qu'il s'agit de Myla et j'ai hâte de lui poser toutes les questions qui trottent dans ma tête. Mais mon instinct me dicte de rester où je suis pour le moment. Je tends l'oreille.

-Je ne peux pas continuer comme ça, soupire Jake.

-Je te rappelle quand même que tout ça, c'est en majorité ta faute. Alors tu vas devoir prendre sur toi.

-Et je te rappelle que ça n'était pas censé se passer comme ça !

-Baisse d'un ton, ordonne-t-elle.

-Faustine devait être reconnue Unique à nouveau pour prouver que le Système a toujours eu raison. Et ensuite, vous deviez l'envoyer à la base militaire pour la tuer.

Je ne peux retenir l'exclamation de surprise qui sort de ma gorge.

Ils ont dû m'entendre car leur conversation se stoppe net et j'entends même quelqu'un se lever et approcher de l'escalier.

Je cours vers la salle de bains, sachant à l'avance que je pourrais la fermer à clés.

Des pas résonnent derrière moi pendant que j'enclenche le verrou.

-Faustine ?

On frappe à la porte et la poignée tourne.

-Faustine, ouvre-moi, c'est Myla.

-Vous vouliez me tuer ! je hurle.

Myla soupire et ordonne à Jake de redescendre au rez-de-chaussée.

-Faustine, il faut qu'on discute.

-Je n'ai pas l'intention de sortir d'ici. Je ne vous laisserais pas me tuer si facilement !

Je l'entends s'adosser à la porte et se laisser glisser contre le sol. Un long silence s'installe, et je n'entends que les battements de mon cœur qui tambourinent douloureusement contre ma poitrine. Les lames me montent aux yeux et je sanglote un long moment.

Qu'est-ce que je vais faire ?

-Faustine...

-Arrêtez de répéter mon prénom comme si je ne le connaissais pas ! je m'insurge. C'est bien la seule information que je détiens alors économisez votre salive !

-D'accord. J'ai besoin que l'on se parle toutes les deux. Et ce serait plus facile si tu me laissais entrer. Je n'ai pas d'armes sur moi, et aucune intention de te tuer.

-Quoique vous ayez à me dire, vous pouvez le faire de là où vous êtes, je tranche froidement.

De vagues échos de scènes passées me reviennent. Myla a un pouvoir hypnotisant sur les gens. Je sais que c'est elle qui me calmait lorsque j'allais mal. Lorsque le Gouvernement m'a récupéré. Mais ce n'est pas très clair. Je ne me souviens pas des Résistants. Je me souviens de la Milice. Et elle était avec eux.

-Dites-moi la vérité, je lance haut et fort. Qu'est-ce qui m'est arrivé ?

Un autre soupir me parvient et je jure qu'un éclair de violence secoue mon corps. Je pourrais bien sortir et la réduire en miettes.

-J'essaie juste de t'aider, murmure-t-elle. Demain, tu comprendras.

-Je comprendrais quoi ? j'insiste.

-Tu as des problèmes de mémoire ? Pas vrai ?

Je ne réponds pas. Il est évident qu'elle est au courant pour mon amnésie.

-C'est parce que nous t'avons injecté un sérum dans les veines. Il désactive les cellules mémorielles de ton cerveau. Demain, le produit sera moins présent dans ton sang et tu te souviendras.

-Qu'est-ce qui me dit que demain, je n'aurais pas tout oublié à nouveau ? je crache.

Il faut que je pense à tout noter sur une feuille que je cacherais sur moi. C'est le seul moyen que j'aurais de m'en sortir. Si personne n'essaie de me tuer avant.

-Ouvre la porte, ordonne Myla d'une voix forte. Ou je la fais sauter.

-Allez-y, je réplique. Et amusez-vous bien.

Cela me donnera le temps de trouver une porte de sortie. Ou de quoi écrire.

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