IIème Partie : Orientation - Chapitre 12
Mon coeur trépigne d'impatience à l'idée que je vais peut-être le revoir. Chaque seconde qui passe me rend encore plus nerveuse que la précédente.
Mais heureusement, je n'attends pas plus de deux minutes avant que l'on vienne m'ouvrir. Je patiente quelques instants dans une pièce, le temps que l'on vérifie mon identité. Dans la cour, je vois le sergent à la cicatrice s'approcher à pas rapide dans ma direction avant de faire signe aux gardes de me laisser le rejoindre.
-Bonjour Faustine, me dit-il en me tendant la main.
Je regarde rapidement son insigne en lui serrant la main, résistant à l'envie de grimacer alors qu'il me broie presque la main.
-Bonjour Sergent Snowden, je réponds. Pardon de débarquer à l'improviste.
-Ce n'est pas un problème, je t'ai dis que tu pouvais venir t'entrainer ici tant que tu le voulais. C'est bien pour ça que tu es là, n'est-ce pas?
J'acquiesce avec un sourire et il me demande de le suivre.
On me donne un uniforme et des nouvelles chaussures avant de m'indiquer une cabine où me changer. Tant mieux, j'ai tellement transpirer dans ceux du jour que je les abandonne avec plaisir. Sauf que je réalise rapidement que l'uniforme en question est en fait une espèce de combinaison près du corps. L'ensemble est noir avec de fines rayures bleu fluo sur les côtés. La fermeture éclair, bleue elle-aussi, s'étire du nombril jusqu'au cou, si bien que j'ai peur qu'elle se défasse à tout moment. Je me sens bien inspirée d'avoir mis une brassière de sport en dessous. J'ajoute un ceinturon pour le port d'armes.
Je jette toutes mes affaires, ne conservant que le sifflet avec moi. Avant de sortir de la cabine, je rassemble mes cheveux en une haute queue-de-cheval, appréciant l'air qui rafraichît ma nuque.
On m'emmène ensuite me créer un badge. Je pose pour une photo et quelques secondes plus tard, on me tend ma carte nominative d'accès au centre. J'ai presque envie de rire en découvrant ma tête surprise et blasé. Le sergent retient lui aussi un sourire et me pousse dans un couloir.
Nous nous dirigeons vers les dortoirs, reconnaissables à leurs murs jaunes ou bleus. Je me rappelle bien : jaune pour les soldats, bleu pour les gradés. Le sergent frappe à l'une des portes et deux femmes viennent ouvrir.
-Je cherche le soldat Quinn, dit-il d'un air officiel.
Nous patientons quelques instants avant de voir une jeune femme à la longue chevelure brune sortir de la chambre. Je suis tout d'abord surprise par son visage angélique. Sans la combinaison, je n'aurais jamais cru qu'elle pouvait être soldat. Elle m'observe quelques secondes de ses yeux noisette aux multiples reflets, avant de me saluer.
-Soldat Quinn, vous êtes chargée de la formation du Soldat James, ordonne-t-il énergiquement. Je veux votre rapport d'activité ce soir.
-Oui Sergent.
Nous le regardons ensuite s'éloigner dans le couloir. Je suis presque soulagée de me retrouver seule avec une jeune fille de mon âge. Mener à bien ma mission n'en sera que plus facile. Et j'ai bien l'intention de lui soutirer des informations.
-Je m'appelle Gabrielle, se présente la jeune femme. Tu peux m'appeler Gaby.
-Faustine, je réponds en lui serrant la main.
-On va commencer par l'entrainement par évaluer ton niveau. Histoire de voir à quel stade tu en es.
J'acquiesce et nous nous dirigeons ensuite vers l'extérieur de la base. Gaby me propose de commencer par faire un tour de course autour du lac pour nous échauffer. J'ai du mal à tenir le rythme mais je m'accroche. Il fait tellement chaud que j'ai parfois la tête qui tourne. On enchaine ensuite sur des étirements, une course d'obstacle et des exercices de musculation.
-D'accord, on va s'arrêter un moment, décide-t-elle en se reposant dans l'herbe.
Je m'assois à côté d'elle et étire mes muscles endoloris. Je n'ai pas l'impression d'avoir donné le meilleur de moi-même, mais je me rattraperais.
-Tu corresponds au stade 2. Mais à mon avis, tu passeras le troisième stade dans la semaine.
-C'est plutôt bien? je demande.
-Heu... C'est même très bien. Je suis au stade 3 et je suis là depuis quelques mois déjà. Est-ce que tu as soif?
Je n'ai pas besoin de répondre que, déjà, nous nous dirigeons vers la cafétéria pour nous désaltérer. Elle s'installe à une table et je la rejoins, réalisant que c'est le moment où jamais de mettre mon plan à exécution.
-Vous êtes nombreux ici ? je demande innocemment en avalant quelques gorgées.
-Près de 3000 soldats.
Je déglutis. C'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Ou dans mon cas, un soldat dans une armée entière.
-C'est beaucoup, je réponds avec étonnement. Et tu connais tout le monde ?
Elle rit et j'essaie de l'imiter mais mon rire sonne faux.
-Pas du tout ! Je reste avec les soldats de mon unité. Je dois connaître une centaine de personne en tout. Et puis, pour les autres, le nom est inscrit sur les uniformes, alors pas besoin de trop se prendre la tête avec ça. C'est pratique.
Oui, ce serait sûrement pratique si je connaissais son nom.
Je médite un instant sur la suite des évènements en tripotant ma bouteille d'eau. Gaby n'a pas l'air de me soupçonner de quoique ce soit. On dirait même presque qu'elle chercher à gagner mon amitié. Alors avec une dose de courage supplémentaire, je tente le tout pour le tout.
-Quand je suis venue la dernière fois, je commence d'un ton détaché, j'ai cru voir quelqu'un que je connaissais. Mais impossible de me souvenir de son nom.
Intéressée par ma recherche, elle se penche sur la table et me dévisage.
-Tu peux me le décrire ?
-Il est grand... 1m85 je pense... et il est assez jeune. Il a des cheveux blonds, des yeux bleus... Non, ses yeux sont gris. Enfin, je ne me rappelle plus exactement.
-Un signe particulier?
-Je n'en sais rien... Je le reconnaitrais si je le voyais mais je ne l'ai pas détaillé.
Elle semble intriguée maintenant. Inquisitrice même.
-Et en quoi c'est important ?
-Ça n'est pas vraiment important, je voulais juste savoir...
Je rougis tellement que j'ai honte de moi. Je songe à prendre des cours pour apprendre à mentir. Je suis certaine que cela me serait grandement utile. Heureusement, Gaby ne semble pas se douter de la raison pour laquelle je suis soudainement mal à l'aise. A son sourire, je vois bien qu'elle pense plutôt que j'ai vu un garçon qui me plaît. Je me demande donc si les Uniques peuvent flirter entre eux mais cette idée me met trop mal à l'aise.
-Dommage que tu sois pas encore engagée chez nous. Tu aurais pu voir la base de données des soldats mutés ici.
Je note cette information dans un coin de ma tête. L'étape deux de mon plan consistera donc à trouver cette base de données. Ce serait quand même plus simple de tomber sur lui, mais je ne peux pas me reposer uniquement sur cette éventualité.
-Oh ce n'est vraiment pas grave, je réussis à dire d'un ton plus convaincant. On devrait peut-être s'y remettre?
Elle me sourit et nous retournons à la salle d'entrainement. Deux heures après, je suis complètement exténuée et chacun de mes muscles proteste douloureusement, si bien que Gaby me propose d'arrêter pour aujourd'hui. Je ne me fatigue pas aussi vite d'habitude mais je manque clairement de concentration. Je n'arrête pas de me demander ce qui se passerait si je le croisais à nouveau. Je n'ai pas du tout prévu ce que j'aimerais lui dire, ou apprendre de lui.
Je ne le vois pas aujourd'hui, toutefois. Les probabilités que je tombe sur lui dès le premier jour était mince, mais je ne peux m'empêcher d'être déçue. Cela dit, j'ai déjà bien avancé. Non seulement, j'ai l'autorisation de venir m'entrainer quand je veux et un badge d'accès. Mais en plus, je sais aussi que je peux retrouver le soldat par la base de données. Reste à trouver comment y avoir accès.
***
Les jours qui suivent, je continue d'aller à la base entre cinq et sept heures par jour. Nous nous entrainons avec Gabrielle et parfois, avec d'autres soldats que je commence à connaître. Je me la joue caméléon, à me fondre dans le décor, les persuadant que je suis comme eux. On ne me pose pas de question sur mon statut, et j'évite d'en poser également.
Très vite, je prends du muscle et travaille mon endurance. On se lance des défis, on plaisante, on s'entraine beaucoup mais on arrive aussi à se détendre dans les dortoirs. Je connais maintenant deux autres filles en plus de Gaby, que je surnomme les trois « y » : Gaby, Mary, Ady. Nous nous entendons très bien. Et c'est étonnant. En ce qui me concerne, je n'ai jamais été particulièrement sociable. D'ailleurs, je n'ai jamais eu d'autres amis que Jake et Rune.
A chaque passage, je passe faire mon rapport au sergent Snowden avant de quitter les lieux. Il semble très satisfait et continue d'insister pour que je lui promette de m'engager dans la milice si je suis décrétée Unique. J'ai du mal à lui dire non. Je me contente de hausser les épaules et de lui dire que nous verrons à ce moment là.
Les jours défilent et je n'apprends rien d'autre sur le soldat qui m'intéresse. Souvent, j'oublie même d'avancer sur mon plan. Quelque part, j'aime vraiment venir ici et avoir l'impression de faire partie des leurs.
Ce qui m'inquiète, c'est que j'accepte de mieux en mieux l'idée d'être Unique. C'est plus simple je suppose. Puisque je ne suis entourée que d'Unique.
Ce qui me fait penser à la cérémonie des Liens de Rune, deux semaines auparavant. Je n'ai plus vraiment de nouvelles depuis. Le fait de ne pas pouvoir lui dire ce que je fais de mes journées me donne l'impression de lui mentir. De la mettre de côté. De l'oublier.
A la cérémonie, j'ai à peine pu échanger quelques mots avec les jeunes Liés que mes parents ont décidé de me ramener. J'ai pleuré cette nuit là. Comme si je faisais le deuil de notre relation comme elle l'avait annoncé. On devra se dire au revoir à ce moment là. J'imagine que le mensonge a scellé notre amitié. Et pourtant, je sais qu'il suffirait que je la revois demain pour que tout redevienne comme avant entre nous. Mais je ne prendrais pas le risque de la remettre en danger ou sous-surveillance dans sa nouvelle vie. Alors j'accepte notre séparation en même temps que ma nouvelle vie.
Jake continue de voler dans nos placards, ce qui fait que je le vois parfois. Je lui garde même des mets de choix cuisinés par ma mère quand c'est possible. Les rares fois où nous pouvons discuter, je lui parle de mon plan, et lui de la façon dont il réussit à éviter la milice. Celle même avec laquelle je m'entraine presque tous les jours. Les choses commencent à se compliquer, autant dans ma tête que dans ma vie. Je n'ose pas lui dire que ce que je fais me plaît. Je sais déjà que Jake me verra comme une traître. Une lâche.
Pourtant, est-ce mal de vouloir profiter du peu de bonheur que je tire de ma situation ?
Sauf que ma vie ne pouvait pas rester comme ça indéfiniment. Et un jour, en rentrant de l'entrainement, je remarque la voiture de May garée devant chez moi. Mon cœur s'arrête de battre pendant un moment.
J'ai presque envie de me cacher jusqu'à ce qu'elle parte. Mais je me doute bien que, si elle est là aujourd'hui, c'est pour me voir. Je suis persuadée qu'elle serait capable de dormir sur le canapé, juste pour m'attendre.
Prenant mon courage à deux mains, j'entre chez moi en feignant la décontraction. May est dans le salon avec ma mère et les deux femmes se tournent derechef vers moi. Mon père, lui, me jette un vague coup d'œil de la cuisine.
J'enrage devant le sourire de May et sa façon de me regarder des pieds à la tête. Avec... satisfaction. J'aurais envie de lui en mettre une pour lui rappeler qu'elle n'a pas daigné donner de ses nouvelles depuis presque un mois.
-Bonjour, je lance aussi froidement que possible.
-Bonjour, me répond calmement May.
Ma mère décide de nous laisser seule et s'éclipse dans la cuisine.
-Ton entrainement se passe bien ? chantonne May en croisant les jambes.
-Tout à fait. Merci de t'en préoccuper, je lâche d'un ton sarcastique.
Elle se contente de sourire à nouveau et m'invite à m'asseoir. Fidèle à mon obstination habituelle, je ne bouge pas d'un iota.
-Tu as beaucoup changé physiquement, commente-t-elle en me scrutant à nouveau.
-C'est ce qui arrive quand on s'entraine tous les jours, je commente.
-Oui, j'ai cru entendre dire que tu prenais l'entrainement... très au sérieux.
La dernière partie de sa phrase est menaçante. Pleine de sous-entendus.
-Tu le saurais si tu étais revenue me voir, je réplique.
Elle émet un petit rire qui me tape sur les nerfs. Petit lutin de pacotille.
-Oh je vois ! Tu as le sentiment d'avoir été abandonnée ?
J'essaie de ne pas lui montrer mon énervement. D'ailleurs, j'affiche un visage aussi impassible que possible, seulement trahi par la rougeur qui me monte aux joues.
-Je ne comprends pas pourquoi ma tutrice me laisse un mois sans nouvelles. Ton rôle, c'est bien de t'occuper de moi, non? De me préparer, ou je ne sais quoi?
-Je ne te dois rien Faustine.
Sa voix est si calme que ma colère redouble d'intensité.
-Ah non ? fais-je sarcastique.
-Non, réplique-t-elle toujours aussi indifférente. Tu te débrouilles très bien toute seule. Je suis là pour te surveiller, pas pour te garder.
Elle marque une pause et soupire. Un éclair de méchanceté brille dans ses yeux.
-Tu crois que je n'étais pas là. Mais en réalité, je ne suis jamais loin.
Sa phrase me glace le sang et me laisse sans voix. Je perd toute contenance et m'assoit sur le canapé en sentant ma tête se mettre à tourner.
-Tu m'as sciemment menti Faustine. Je n'ai pas oublié. Je sais que tu ne me fais pas confiance. Mais moi non plus, je ne te fais pas confiance.
Alors voilà où nous en sommes. Au moins, les choses sont claires entre nous. J'étais presque étonnée qu'on me laisse aller et venir à mon gré où je voulais. Mais c'est simplement parce que l'on me surveillait en permanence.
Je ne suis pas aussi inquiète que je devrais l'être. Après tout, je n'ai rien fait d'autre que d'aller à la base pour m'entrainer. Et je n'ai plus posé de questions à Gaby ou à qui que ce soit d'autre depuis mon premier jour donc ils ne peuvent pas se douter de mes intentions. Ils n'ont aucune preuve de ce que je manigance.
Alors pourquoi affiche-t-elle cet air si satisfait?
-Tes fréquentations sont... intéressantes, poursuit-elle. Tu as des amis très dévoués.
Je reste silencieuse un long moment. Il ne me faut pas plus d'une minute pour comprendre qu'elle parle de Jake. Et si elle a découvert qu'il m'aidait en douce, alors elle sait aussi qu'il est recherché pour avoir échapper au Système. Que c'est un rebelle.
Mon cœur bat la chamade alors que je déglutis. Il ne sert à rien de prétendre que je n'ai pas compris son sous-entendu. Il ne me reste plus qu'à attendre qu'elle me révèle ce qu'elle veut de moi. Et la sentence ne tarde pas à tomber.
Alors qu'elle se lève et se dirige vers la porte, elle se retourne un instant pour murmurer:
-Ton secret contre le sien.
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