Je me concentre sur le vrombissement du moteur. Mon père n'allume pas la radio, ne me parle pas, ne cille pas. C'est à peine s'il respire. J'adopte la même conduite. Je considère maintenant que ma vie étant devenue un véritable enfer, cela me donne tous les droits d'être aussi ingrate, injuste et insupportable que possible. La tension entre mon père et moi semble presque palpable.
Je sais que ce que je viens de faire aura des conséquences, aussi sûr que le docteur aura bien prit le soin de noter mes réactions dans son rapport. Et puis, je n'oublie pas que j'ai carrément signalé au jury que le Gouvernement était le seul endroit où je ne voulais pas être Orienté. Quelle ironie.
Mais tout ça n'a plus d'importance. Que pourraient-ils bien me faire de pire? Ma vie vient déjà de s'effondrer.
Le téléphone de mon père sonne et, il remarque que le numéro de la maison vient de s'afficher. Avec un soupir, il décide de décrocher.
-Allô ?... Oui, nous sommes en route... Bien... Elle est à côté de moi... Non... Je te raconterais en arrivant. A tout à l'heure chérie.
Il raccroche et jette son téléphone sans quitter la route des yeux.
-Faustine, j'aimerais que tu ne dises rien à ta mère. Je veux lui expliquer.
-Lui expliquer quoi ?
-Ce qui est arrivé aujourd'hui.
-Il n'y a rien à expliquer. Je suis une Unique. Je travaillerais pour le gouvernement.
-Ce n'est pas si...
-Pas si quoi ? je le coupe au bord des larmes. Pas si simple? Pas si grave ? Pas si terrible ?
Je dirige maintenant ma colère vers mon père. Il me cache quelque chose, j'en suis certaine. Et sa réaction dans le bureau avant que l'on m'annonce ma sentence, cette façon de m'ignorer, valait une explication. Comme ni lui, ni moi, n'avions l'intention d'aborder le sujet pour l'instant, je préfère le pousser dans ses retranchements.
Trop de choses se bousculent dans ma tête. Les évènements étranges de la journée, le jeune homme du jury et sa photo dans la salle de tests, la confrontation silencieuse entre mon père et le médecin... Je n'arrive pas à faire le tri. Une migraine commence à poindre son nez et je me pince l'arête du nez en espérant relâcher la pression.
Je regarde l'heure sur le tableau de bord. La journée touche déjà à sa fin. Ce n'est qu'une question de temps avant que l'on me retire de ma famille pour m'emmener au gouvernement, je le sais. Je devrais peut-être tenté d'apaiser les choses avec mon père avant de partir mais je n'en ai pas la force. Il n'avait qu'à pas me mentir.
-Je suis désolé Faustine. J'aurais souhaité autre chose pour toi.
Je hausse les épaules et laisse mon regard s'attarder à l'extérieur de la voiture. Nous restons silencieux encore quelques minutes. Lorsqu'il s'arrête au feu rouge, je remarque qu'il est vraiment ailleurs. Je peux presque voir les rouages de son cerveau tourner. Il en oublie de redémarrer lorsque le feu repasse au vert. Et alors que nous arrivons à la maison, il continue de rouler pour se garer plusieurs blocs plus loin.
Il soupire en éteignant le véhicule et le silence de l'habitacle devient pesant. Je n'ai jamais vu mon père aussi fatigué. Il reste perdu dans ses pensées pendant une minute avant de lever les yeux vers moi.
-Je reste extrêmement fier de toi Faustine. Tes résultats étaient extraordinaires. Tu es extraordinaire.
Il se baisse pour fouiller dans sa mallette. Il en ressort un dossier qu'il serre un instant contre lui avant de me le donner.
-Cela reste entre nous. Ferme les volets et regarde ça ce soir, lorsque nous serons couchés.
J'accepte le dossier et acquiesce, un peu surprise.
Ma colère est passée à présent. Je ne ressens que de la tristesse et de la lassitude. Je range le dossier dans mon sac et jette un coup d'œil à mon téléphone. 17 appels en absence. Rune doit être vraiment inquiète à présent.
Mon père fait demi-tour et se gare devant la maison. Ma mère nous attend déjà sur le palier et je retiens un soupir d'agacement. Je n'ai jamais compris son obsession de vouloir être la plus parfaite possible. Mon père et moi échangeons un court regard.
-Ça va ma chérie ? demande ma mère sur un ton exaltée en sautillant vers nous. Tu as l'air épuisée. Je vais te cuisiner ton repas favoris pour ce soir. Va te débarbouiller pendant que je parle avec ton père.
J'essaie de sourire et acquiesce avant de les laisser tous les deux. J'attends de passer le pas de la porte pour me mettre à courir jusqu'à ma chambre. Au passage, j'entends des voix dans le salon mais décide de ne pas m'en préoccuper. Ma mère a sûrement invité des amis pour célébrer l'évènement. Lorsqu'elle comprendrait qu'il n'y a aucun évènement à fêter, elle leur demandera de partir. Je n'ai pas envie d'annoncer moi-même la nouvelle et de supporter l'ambiance morbide qui suivrait.
Je cache immédiatement le dossier de mon père sous mon matelas et me débarrasse enfin de mes chaussures, de ma robe, de ma coiffure et de toute trace de maquillage. Je ressens le besoin urgent de mettre toute cette journée derrière moi. De reprendre le contrôle de mon apparence en même temps que mes esprits. J'enfile un short en jean et un débardeur rapidement.
Ensuite, je vide négligemment mon sac sur mon bureau et récupère mon téléphone. L'écran affiche dix-huit appels en absence. Sans attendre, je rappelle Rune en résistant à l'envie de me ronger les ongles.
Une première sonnerie retentit et je me sens extrêmement nerveuse. Est-ce que je lui parle de moi en premier? Est-ce que j'évite le sujet jusqu'à être obligée de tout expliquer? Deuxième sonnerie. Je ne dois pas gâcher son bonheur. Je vais d'abord la laisser me raconter sa journée? Troisième sonnerie. Là je perds patience et me demande pourquoi elle ne répond pas. Lorsque j'entends sa voix sur le répondeur, je jette furieusement le téléphone sur mon lit.
J'ai à peine le temps de m'assoir que l'on frappe à ma porte. Et je ne suis pas d'humeur.
-Quoi? je hurle à l'intention de l'élément perturbateur.
-Et bien ! Quel accueil ! se moque Rune en entrant dans ma chambre.
Soulagée, je lui envoie mon plus beau sourire et elle me rejoint sur le lit.
-Alors, ta journée? je demande avant qu'elle ait le temps de me poser la question.
Autant commencer par les réjouissances.
-C'était long, et ennuyeux au possible, soupire-t-elle en étirant ses jambes. J'ai été Orienté vers le tourisme. Je commence la semaine prochaine en tant que programmatrice de voyage.
Depuis le début de la République, le gouverneur Balder a posé de grosses restrictions auprès d'internet et des téléphones. Nous avons toujours été sur écoute mais cela est désormais de notoriété publique. Tous nos appels, messages, mails, conversations sont enregistrées puis sauvegardés auprès du gouvernement. Ils ont aussi interdit les réservations en ligne.
Maintenant, il faut se déplacer jusqu'à une agence où votre demande est enregistrée. Nous pouvons voyager deux fois par an, avec une restriction de quinze jours en dehors de notre Secteur. Et avec le monopole des voyages par les agences, l'économie touristique a été relancée.
Enfin, c'est un excellent moyen de nous contrôler et de s'assurer que nous ne pouvons pas nous enfuir. Les rebelles y arrivent pourtant, mais la Milice finit toujours par les retrouver. Et on ne les revoit plus jamais.
-Je vais travailler dans une agence du Secteur 9. C'est à quelques kilomètres de chez mes parents mais c'est à peine à cinq minutes de mon nouveau chez-moi. Tiens, d'ailleurs, j'ai quelque chose à te montrer.
Elle sort de sa poche une photo qu'elle me tend avec fierté. J'y découvre un jeune homme très mignon, aux cheveux mi courts tirant sur le roux. Il regarde l'objectif avec de grands yeux verts et des taches de rousseur envahissent son visage rectangulaire. Sa pose me fait penser à un acteur de cinéma. On peut lire de la malice dans son regard.
-Il s'appelle Jérémie O'Connell. On va habiter à Road Island Street.
Je lui rends sa photo et lui donne mon approbation.
-Qu'est-ce qu'il fait?
-Il est chercheur dans le Centre, s'émerveille-t-elle. Ton pauvre père va devoir continuer à me supporter il semblerait...
Elle glousse et je la rejoins, oubliant quelques instants mes soucis.
-Tu l'as déjà rencontré ?
-Non, je le vois demain !
Elle soupire de bonheur et se cache le visage dans ses mains pendant qu'elle rougit.
-Quand est-ce que la cérémonie des Liens est-elle prévue ? je lui demande en gagnant du temps.
-Nous verrons ça demain avec sa famille. Pour l'instant, j'ai juste reçu sa photo et des informations basiques comme le nom, le prénom, l'Orientation, l'adresse, l'école... Demain, j'irais chez lui avec mes parents. La maison attribuée par le gouvernement sera prête et nous irons nous y installer. Ou alors nous attendront d'être Liés. Tu pourras venir à la cérémonie? Je ne peux pas faire ça sans toi.
Je réalise que je ne sais pas si je pourrais être là. J'ignore même si je la reverrais une fois que le gouvernement sera venu me chercher. Il y aura beaucoup de choses désormais qu'elle devrait faire sans moi. Qu'elle devra vivre sans moi. J'acquiesce silencieusement pour ne pas aborder le sujet dans l'immédiat.
Mais elle remarque ma gêne et m'encourage en me donnant un petit coup d'épaule.
-A ton tour, Faustine James. C'est mauvais à quel point ?
J'aime le fait que, même en sachant pertinemment que la situation est pire que tout ce qu'elle imagine, Rune tente quand même de relativiser en abordant le sujet avec un sourire.
-Je suis Unique.
Je lâche ça de but en blanc, sans prendre de pinces. Il n'y a pas de bonne façon de l'annoncer de toute façon. Cette phrase me résume désormais. Elle veut tout dire. Je vois le visage de mon amie se décomposer.
-Quoi? Ce n'est pas possible...
-Et pourtant, si.
Elle résiste quelques instants, connaissant mon aversion pour le contact humain mais finit par me prendre dans ses bras. Et je lui retourne son étreinte en retenant une grimace.
-Je serais à tes côtés, me murmure-t-elle. Rien ne nous séparera, tu le sais? Je serais toujours là pour toi Faustine.
-Je ne sais pas Rune. Je ne sais pas ce qui va m'arriver, je réponds à son oreille, comme si l'on pouvait nous entendre.
Elle me repousse fermement et scrute mon visage.
-Faustine, tu es la personne la plus intelligente et la plus intéressante que je connaisse. Peu importe ce qui va t'arriver, nous surmonterons ça. Toutes les deux. Et peut-être tous les trois, si Jérémie t'apprécie autant que moi.
Je soupire devant son positivisme à toute épreuve.
-Lorsque l'on est décrété Unique, on n'a pas d'autre choix que d'aller au gouvernement, Rune. As-tu déjà vu un Unique dans la rue ? Connais-tu des personnes travaillant au gouvernement ?
Elle cherche une réponse mais je l'interromps.
-Non. Ils vivent tous dans un seul et même endroit.
-La Tour, dit-elle en même temps que moi.
-La Tour Atlas, je précise en acquiesçant.
Il est de notoriété publique que les Uniques ne peuvent pas avoir d'enfant ou de Partenaire. Ils vouent leur vie au Système et au gouvernement. Ainsi, ceux qui siègent au pouvoir n'ont pas d'intérêt personnel à mettre en avant.
-Es-tu vraiment sûre d'être Unique ?
-Ils doivent refaire des tests avec mon ADN mais je sais que ça ne donnera rien. Peut-être qu'un Partenaire apparaîtra miraculeusement à la prochaine Révélation et on m'appellera à ce moment. Mais je ne pourrais pas le savoir avant l'année prochaine.
Rune soupire et secoue la tête.
-Tu aurais dû me le dire tout de suite. Je ne me serais jamais permis de me vanter si j'avais su...
-Tu plaisantes ? Si tu m'avais enlevé cette bonne nouvelle, je n'aurais rien eu pour me réjouir aujourd'hui. Au moins, toi, tu es sauvée. Tu sais enfin ce pourquoi tu as été génétiquement programmée.
A cette phrase, je réfléchis sur le sens de ce que je viens de dire. Étions-nous réellement génétiquement programmés pour accomplir certaines tâches? Ou le Système faisait-il en sorte de nous rendre génétiquement fait pour quelque chose ? Je n'aime pas réfléchir à ce genre de chose. Je ne peux pas devenir une rebelle en plus du reste. Je ne peux pas supporter l'idée que l'on fasse du mal à ma famille.
Enfin, à mes parents. Il faut que j'efface le terme famille de ma mémoire. Cela ne m'arrivera pas, je n'aurais jamais de famille à moi.
-Ça ne devait pas se passer comme ça, s'agace Rune. Je parlais avec Victoria dans la salle d'attente et franchement, on pensait que tu serais...
-Quelle salle d'attente ? je la coupe, un peu trop sèchement.
-Aujourd'hui, au Centre ! Tu n'as pas été mise plusieurs fois dans des salles d'attente ? J'ai l'impression d'avoir passé ma journée à attendre. Mais au moins, on pouvait discuter entre nous !
J'ai le vertige pendant une seconde et Rune pose ses mains sur mes épaules.
-Qu'est-ce qu'il y a ?
-Rune, je commence en la regardant dans les yeux, je n'ai vu personne aujourd'hui. Je suis restée seule avec le personnel du Centre, toute la journée. Il n'y avait pas de salles d'attente. Pas d'autres élèves.
Rune ouvre de grands yeux et hausse les sourcils.
-C'est vraiment bizarre. Je n'ai jamais été seule. Nous étions toujours mêlés les uns aux autres. Sauf pendant les entretiens. Tu sais si tes résultats sont bons?
J'acquiesce et hésite à lui parler du dossier. Mais au moment où j'ouvre la bouche, elle me fait signe de me taire. J'entends tout de suite le vacarme qui monte du salon. Mon père hausse le ton au rez-de-chaussée et une autre voix masculine lui répond. Nous n'entendons pas la voix de ma mère.
-Tu sais qui est en bas ? me chuchote-t-elle.
Je secoue la tête. Je n'avais pas pensé à regarder, persuadée qu'il s'agissait des amis de ma mère. Mais peut-être que ces gens sont là pour moi. Pour m'emmener.
La panique commence à me gagner et mon cœur se met à battre plus vite. Je ne suis pas prête à partir. Pas maintenant.
En bas, mon père continue de hurler mais le choc m'empêche d'écouter ce qu'il dit. Je suis comme paralysée, incapable de me libérer de l'angoisse qui m'étreint.
Rune finit par prendre ma main et m'emmène vers l'escalier. Nous nous asseyons sur le haut des marches, à l'abri des regards. En se penchant, on peut apercevoir la scène sans se faire remarquer. Ma mère tient un mouchoir dans sa main et semble perdu dans ses pensées, assise sur le canapé. Mon père, ses mains sur les hanches en position offensive ne lâche pas des yeux un individu dont je ne peux voir que le dos.
-Il est hors de question que nous te laissions faire ça Max, dit mon père sur un ton glacial.
L'inconnu émet un léger rire méprisant.
-Nous sommes dans la Nouvelle République, Mr James. C'est le Système qui veut ça. Le Système sur lequel vous travaillez chaque jour.
-J'exige que les tests génétiques soient refaits. Et devant témoin.
-Vous exigez? répète Max avec sarcasme. Vous pensez réellement avoir de l'influence, n'est-ce pas? Désolé de vous décevoir, mais ce n'est pas le cas.
-Faustine a obtenu une note de 90 aux tests. C'est plus que le Gouverneur lui-même. Je pense qu'elle mérite de pouvoir repasser les tests ADN.
-Et moi je pense qu'elle sera à sa place au Gouvernement.
-Non, fais-je en me levant, sans vraiment m'en rendre compte.
Le fameux "Max" se tourne lentement vers moi, un sourire mesquin sur ses lèvres gercées. Je découvre alors son visage avec un mouvement de recul. De longs cheveux ébène encadrent son visage, si pâle qu'il paraît translucide. Ses yeux verts perçant me transpercent tel le regard d'un serpent venimeux, prêt à mordre. Son aspect est si repoussant que j'ai peur de m'en approcher.
-Bonjour, Faustine.
Il prononce mon prénom lentement, accentuant les consonnes. Un frisson parcourt mon corps et je tente de me ressaisir en affichant un air supérieur. Rune se lève aussi et nous rejoignons le groupe dans le salon.
Max observe chacun de nos mouvements avec attention, un sourire malsain toujours figé sur ses lèvres. Je ne le lâche pas du regard.
-Faustine, Rune, vous pouvez remonter, fait mon père en passant devant l'homme noir.
-Non, j'aimerais qu'elles restent, siffle Max en retour.
-Que voulez-vous ? je demande d'une voix qui se veut menaçante.
Il émet à nouveau son rire effroyable.
-C'est évident.
Je hausse les sourcils dans l'attente de sa réponse.
-Toi.
Mon sang se glace alors que mon cœur recommence à battre la chamade. J'affiche pourtant un visage impassible et continue de le fixer. Il finit par détourner le regard et je remarque alors qu'il y a deux autres personnes dans la pièce. Près de la porte d'entrée se cache le médecin du Centre, celui qui m'avait annoncé mes résultats quelques heures plus tôt. Et assise en face de ma mère sur un fauteuil, se tient une femme d'une trentaine d'années. Je m'attarde un instant sur son physique avenant, ses cheveux châtains courts et ses yeux verts. Ils sont d'une teinte différente de Max.
-Faustine, répète mon père, à bout de nerfs. Retourne dans ta chambre. Rune, emmène là s'il te plaît.
Mon amie fait ce qu'elle peut pour me trainer vers les escaliers mais j'ai toujours été plus forte qu'elle et je ne bouge pas d'un centimètre. Je n'ai pas l'intention d'aller me cacher. Pour la première fois depuis le début de la journée, je me sens calme. Sereine. Puissante.
-Que voulez-vous vraiment ? je demande à nouveau.
Il plisse ses petits yeux méprisants et tente de conserver son sourire intact.
-Ce n'est pas ce que je veux qui compte Faustine. Ce qui est important, c'est de respecter les lois imposées par le Système et la Nouvelle République.
-D'accord. Et de quelle loi s'agit-il en particulier?
Il lance un regard à mon père.
-Tu dois savoir qu'il existe une procédure bien particulière dans ton cas. Pour les Uniques.
Je refuse de lui donner satisfaction et attends patiemment qu'il poursuive. Je dois presque donner l'impression de m'ennuyer. Je n'ai pas du tout l'intention de lui faciliter la tâche.
Max serre les mâchoires avant de poursuivre. Je sais que je commence à lui taper sur les nerfs.
-La loi dit que les Uniques doivent travailler au Gouvernement, aussitôt la Révélation effectuée. Les Uniques ne devant, en aucun cas, être influencés par leurs proches, ils ne doivent pas rester avec leur famille.
Il marque une pause et reprend son attitude faussement enjouée.
-D'ailleurs, tu devrais être honorée d'avoir été choisie. Tu vas pouvoir contribuer à l'évolution du Système. Un peu comme ton père, non?
-Non.
Ma réplique semble l'amuser. Il fait un pas vers moi et me détaille scrupuleusement.
-Je commence à me demander... Peut-être qu'on devrait directement informer le gouvernement que tu fais partie des rebelles... On gagnerait du temps, toi et moi.
Ma mère se met soudain à sangloter si fort, que nous nous tournons tous vers elle. Elle offre un piètre spectacle dans un moment si critique. A travers ses propos incohérents, j'arrive à distinguer une phrase en particulier qui me glace le sang.
Ma fille n'est pas une rebelle, elle va venir avec vous.
Ma stupeur laisse vite place à de la colère. Mon père et moi regardons cette femme que nous avons toujours connu, me trahir en promettant que je vais me laisser emmener sans résistance. Elle finit même par lui donner son autorisation en tant que mère, comme si l'avis de mon père n'avait pas d'importance.
C'est Rune qui intervient enfin en passant devant moi.
-Ce n'est pas la génétique qui décide que les Uniques sont fait pour aller au Gouvernement. Faustine n'est pas destinée à travailler pour vous. C'est simplement que votre Système ne donne aucune autre place aux Uniques.
-Bien sûr que nous leur donner une place. Nous leur offrons une nouvelle famille. Une famille qu'ils ne pourront jamais avoir autrement.
-Elle a déjà une famille, se manifeste mon père d'un ton dur mais confiant.
Un long silence pesant vient suivre la déclaration de mon père, seulement troublé par les pleurs pathétiques de ma mère.
-Tu sais que, si tu ne viens pas avec nous, maintenant, on se chargera de punir ton père et ton amie ? siffle lentement l'homme noir dans ma direction.
-Je connais vos limites d'intervention, Max. Vous pouvez nous menacer tant que vous voulez, nous ne sommes pas en tort. En fait, j'ai même la certitude que les torts reviennent au Centre, au Système, et donc au Gouvernement.
-Comment oses-tu sale...
-Les tests seront refaits, je poursuis calmement. Je peux vous assurer que plusieurs erreurs ont été commises pendant ma Révélation et je compte bien le prouver. C'est d'ailleurs sûrement pour ça que vous êtes si pressés de m'embarquer, n'est-ce pas ?
Max est sur le point d'imploser mais je ne le laisse pas répliquer. Je me tourne maintenant vers le médecin silencieux. Le médecin lève alors vers moi un regard paniqué. Comme s'il me suppliait silencieusement de renoncer à le mettre dans cette histoire.
-Légalement, c'est possible que je repasse les tests l'année prochaine, pas vrai?
Il baisse les yeux et se triture les mains.
-Ou... Oui... Elle... Elle peut repasser les tests dans un an... Légalement...
-Légalement ? dit l'homme en noir irrité. Je suis le représentant de la légalité ici. Et cette jeune fille doit venir avec nous.
-Cette jeune fille ne quittera pas cette maison ce soir, s'entête mon père.
-Cela suffit, fit calmement une voix douce.
Je me tourne vers la femme sur le fauteuil que l'on peut aisément comparer à une petite elfe des bois. Elle se lève du canapé et rejoint Max.
-Si Faustine ne veut pas venir, nous ne pouvons pas la forcer. Cette plaisanterie a assez duré. Nous ne sommes pas dans une dictature.
La jeune femme se tourne vers moi et s'approche pour me serrer la main.
-Bonjour Faustine, je m'appelle May. Je travaille pour le Gouvernement et je m'occupe des personnes dont l'Orientation n'est pas définitive.
Elle jette un regard à Max dont la peau vient de prendre une teinte cramoisie.
-Il est vrai que, normalement, la loi implique que tu suives les agents du Gouvernement. Mais j'ai été mandaté pour évaluer ta situation. Et si tu penses qu'il y a vraiment eu des erreurs lors de ta Révélation, alors je propose de me porter garante pour toi et d'être ta tutrice jusqu'à l'année prochaine.
La nouvelle me laisse d'abord sans voix. Qu'est-ce que c'est que ces conneries?
-Le principe est simple, poursuit-elle. Je serais chargée de te former à plusieurs Orientations, de t'entrainer mais aussi de t'étudier. En journée, nous irons voir différents Centres d'affectation. Le soir, tu pourras revenir ici.
Elle marque une pause pour me laisser digérer l'information. Puis elle fait encore un pas vers moi avant de reprendre.
-En revanche, je dois te prévenir. Si tu acceptes, lors de la présentation aux tests l'année prochaine, mon avis comptera également pour ton Orientation.
-Et vous avez attendu tout ce temps pour vous manifester? je lance avec sarcasme.
Elle ignore ma réplique et attire mon attention en me tendant un papier. Je le consulte rapidement. C'est un contrat du gouvernement.
-Je te laisse en prendre connaissance et en discuter avec tes proches. Mais je repasserais demain matin pour connaître ta décision.
May repart vers le fauteuil pour récupérer son sac et me jette un dernier regard.
-A demain, chantonne t-elle d'une voix aigüe et mélodieuse.
Elle virevolte sur elle-même pour rejoindre la porte de cette démarche légère et rebondis qui me fait penser à une petite créature magique. Max et le médecin lui emboîte le pas sans même un regard vers nous. Lorsque la porte se ferme enfin, nous sommes tous les quatre toujours immobiles et silencieux.
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