Chapitre 4


Mon père sort son badge et le passe sur le lecteur adjacent à la porte. Il pose ensuite son index et son pouce sur la plaquette qui vient de sortir. Il semble si nerveux que ses mains tremblent pendant qu'il tape le code d'accès.

La porte s'ouvre enfin et nous entrons dans un bureau, meublé cette fois, mais toujours aussi blanc que tout le reste. Même l'agrafeuse sur le bureau est blanche, c'est pour dire. Je crois pendant un moment qu'il s'agit du bureau de mon père mais il ne s'assoit par derrière. Il m'invite d'un signe à prendre place à côté de lui.

Les gardes contournent le meuble et se placent de part et d'autre du fauteuil vide. Ou peut-être qu'il n'est pas vide et que mon futur interlocuteur est seulement invisible à mes yeux. Parce que mon père fixe ce fichu fauteuil blanc comme si quelqu'un se trouvait là.

Alors que nous attendons quelques minutes, je réalise que mon père évite mon regard. Oui, il m'évite clairement. Qu'avait-il fait ou appris pour que je mérite un tel traitement ?

-Papa ?

Il me jette un regard noir et m'ordonne de me taire. J'ouvre de grands yeux en le dévisageant et il retourne son regard sur le maudit siège. Jamais mon père ne m'a traité de cette manière.

Plutôt que de me laisser envahir par l'agacement ou l'inquiétude, j'essaie de me détendre sur mon siège. Je ne peux rien faire de plus et de toute façon, la situation finira par se régler d'elle-même.

Cela dit, les minutes défilent sans qu'il ne se passe rien. Mon père tape nerveusement du pied ce qui a le don de m'exaspérer. Mais je ne dis rien. J'observe les gardes. Je me demande s'ils font exprès de regarder fixement droit devant eux comme des robots ou si c'est un ordre qu'ils doivent respecter. J'essaie d'attirer leur attention en les fixant mais ils ne réagissent pas. Braves petits moutons.

Enfin, la porte s'ouvre doucement et un homme d'un certain âge entre. Il ne me faut que quelques secondes pour reconnaître enfin le médecin qui m'avait examinée en premier lieu. Il nous ignore dans un premier temps, occupé à s'installer sur le fameux fauteuil et à ouvrir un dossier que je suppose être le mien. Enfin, il lève ses yeux bleus au-dessus de ses lunettes, soupire et sourit gentiment.

Ce sourire, c'est forcément un mauvais présage.

-Pardon de t'avoir fait attendre Faustine. J'ai été choisi pour te représenter aujourd'hui, avec l'accord de ton père.

Ce dernier émet un grognement ironique et croise les bras sur sa poitrine.

-Ce n'est rien, je réponds calmement.

-Bien, dit-il en souriant à nouveau.

Ce sourire ne m'inspire vraiment rien de bon. Trop lisse. Trop... rassurant.

-Faustine, j'ai des nouvelles très importantes à t'annoncer mais j'ai d'abord besoin que tu me montres ton poignet.

Je m'approche de lui en soupirant et lui tends mon bras. Il prend un objet rectangulaire en métal gris sombre qu'il pose à l'endroit où le symbole est dessiné. Le médecin appuie ensuite sur un bouton de son bureau et un écran en verre, similaire à celui que je viens de voir en sort doucement.

Il s'allume, comme je l'avais déjà vu faire et des chiffres, des signes, des mots s'affichent dans un désordre le plus total. Cependant, il glisse son doigt sur la vitre d'une main experte, et ouvre des dossiers. A un moment, la machine sur mon poignet s'éclaire, me fichant une peur bleue.

J'entends un léger cliquetis dans le boitier et quelques secondes plus tard, un symbole apparait à l'écran. Mon symbole. C'est la première fois que je le vois en dessin, aussi précis. Je ne peux m'empêcher d'être un peu excitée de le voir aussi nettement. Ce signe là, c'est moi, c'est qui je suis. Et j'ai hâte de savoir ce qu'il signifie. Une fenêtre s'ouvre à côté de mon signe et plusieurs autres symboles se mettent à défiler à une vitesse impressionnante.

-Bon, fait-il en se tournant vers moi et en m'enlevant l'appareil. Je suis en train de lancer une recherche afin de connaître ton futur partenaire. Mais je dois te prévenir Faustine que j'ai de mauvaises nouvelles à t'annoncer, si mes craintes sont fondées.

Et vu sa tête, elles le sont forcément. Il marque une pause et lance un rapide coup d'œil à mon père.

-Je vous écoute, dis-je le plus calmement possible.

-Faustine, tes tests étaient excellents. Ton niveau physique et mental est impressionnant pour ton âge. Tu as développé des capacités vraiment exceptionnelles.

Blablabla. Franchement, ce genre de discours commence à me taper sur les nerfs.

Cette fois, lorsqu'il sourit, son visage est triste et je sais que la nouvelle qu'il va m'annoncer va être mauvaise. Mais je veux l'entendre. Je veux savoir.

-Ton père nous a toujours parlé de toi. A quel point tu es intelligente, drôle, pleine de qualités et de bons sentiments. Et nous avons pu le confirmer aujourd'hui. Il faut bien que tu te dises que ce n'est pas toi. Que ce n'est pas ta personnalité. Ce sont les résultats ADN.

Je dois bien admettre qu'à cet instant, je suis vraiment effrayée. J'ai comme l'impression que l'on va m'annoncer que je suis atteinte d'une maladie grave. Et pourtant, je savais que ce qu'il allait m'annoncer serait bien pire que ça. Pour une maladie, même grave, il y a des traitements, de l'espoir, ou bien la promesse d'une mort prochaine. Dans mon cas, il n'y a aucune issue de secours. La comparaison est un peu glauque, mais c'était la vérité. Le reste de ma vie dépendait des prochaines secondes et j'ai bien conscience que les nouvelles ne sont pas bonnes. Une fois Révélée, je n'aurais plus le choix. Mais qu'est-ce qui peut bien être si grave pour que mon père ne me parle plus ou ne me regarde plus ?

-Ton Orientation va être compliquée, poursuit-il. La vérité c'est que n'avons pas pu identifier tes gênes. D'après nos recherches, ils ne correspondent à rien.

-Comment ça, ils ne correspondent à rien ?

Là, je ne ressens plus de la peur mais carrément de la panique. Et de la colère.

-Nous n'avons pas trouvé d'Orientation particulière te concernant.

C'est une blague.

-Vous venez de dire que j'étais intelligente et drôle et tout ça. Et avec toutes mes qualités, il n'y a aucune Orientation qui me convienne ? Aucune?

Le ton de ma voix augmente sans que je m'en rende compte. Je sens une étrange tension envahir mon corps alors que je me penche vers lui. Mon sang boue dans mes veines.

-Il va nous falloir quelques temps pour recommencer.

-Je ne recommencerais pas cette journée ! Je m'écrie, horrifiée à cette idée. Vous avez perdu la tête?

-Nous avons des échantillons de ton ADN, nous n'avons pas besoin que tu reviennes.

-Génial ! je lance avec sarcasme. Et qu'est-ce qui se passera s'il n'y a aucun résultat à nouveau ? Comment est-ce même possible ?

-Nous ne savons pas comment tout ceci est possible.

Je lâche un sifflement de colère, à deux doigts de partir dans une crise d'hystérie. Il semble gêné. Il jette à nouveau un regard vers mon père qui reste de marbre, comme s'il souhaitait qu'il intervienne. Cette situation devient de plus en plus invivable. Un étau se resserre lentement autour de mon estomac, me donnant l'impression de suffoquer.

Ou d'imploser.

-Il y a deux solutions, explique t-il. Soit tu corresponds à quelqu'un dans notre fichier et tu pourras te Lier. C'est pour ça que je viens de lancer cette recherche. S'il existe un Partenaire pour toi et que tu es compatible avec son Orientation, alors la question se règlera d'elle-même. Soit, et malheureusement, c'est ce qui arrive quand il n'y a pas de résultats, tu de...

Il est interrompu par plusieurs sons électroniques et mon symbole à l'écran se met à clignoter. Il m'apparait alors évident qu'il n'y a aucun résultat à ma recherche. Un sentiment de solitude m'envahit tandis que l'amertume envahit ma bouche. Je vais me sentir mal. Je réalise que je n'aurais pas de partenaire, pas d'union, pas d'enfants, pas de vie à partager. Je suis destinée à être seule. A jamais.

Ni mon père, ni le médecin ne parlent. Ils savent que j'ai compris ce qu'il se passe. Je crois qu'il me laisse le temps d'assimiler le choc. Pendant quelques secondes, je reste immobile, sans penser, sans respirer, retenant l'immense douleur qui s'insinue au plus profond de mon être.

Je pensais être forte mais je réalise que je ne le suis pas. Ce n'était qu'une façade. Mon monde vient de s'arrêter. Je ne peux plus retenir le flot d'émotions qui me submerge. Je n'arrive plus à respirer. Mes larmes montent à mes yeux sans que je puisse les contrôler. Je sens mon cœur se serrer au point de me faire mal avec l'impression que mes entrailles sont en feu.

Et puis arrive la vraie douleur.

Une douleur incontrôlable, intolérable qui m'envahit chacun de mes membres à une vitesse insensée. Je préférerais mourir que de ressentir cette souffrance une minute de plus. Mais je n'ai aps d'autres choix que de l'affronter. Ma tristesse est si immense que je n'arrive même pas à me mettre en colère. A quoi bon?

Je sens des larmes brûlantes rouler sur mes joues. Je n'arrive pas à retenir les sanglots qui secouent mon corps de manière incontrôlable. J'ouvre la bouche pour respirer, ou hurler, mais l'air ne passe plus. Je n'ai plus aucun contrôle. Sur moi comme sur ma vie. Je pose mes mains sur mon ventre et me penche en avant, prête à m'effondrer sur le sol.

J'aimerais que cette journée recommence du début. Que tout ceci ne soit qu'un cauchemar.

Pourquoi moi? Je gémis à haute voix mais je me fiche que quelqu'un m'entende ou que mon entourage soit gêné. Qu'ils aillent tous se faire foutre. Je veux mourir. Je veux que la douleur s'arrête, je ne veux plus rien sentir.

Je tente de respirer calmement, ma vue brouillée par mes larmes. Ma bouche toujours ouverte trouve enfin de l'oxygène. Le médecin se lève doucement et revient ensuite vers moi avec un verre d'eau.

J'attends d'être suffisamment calmée pour me redresser. Les joues trempées, le visage rougi, les sourcils froncés et les yeux embués de larmes, je réussis néanmoins à retrouver un semblant de calme. La douleur est toujours là, tapie dans le creux de mon estomac, prête à ressurgir dès que je me retrouverais seule avec moi-même. Alors je me fabrique un mur dans ma tête. Brique par brique, j'ajoute de la hauteur. Je me concentre pour enfermer la douleur à l'intérieur de ces briques. Lorsque j'ai fini cette pratique mentale, je me sens vide, épuisée. Je ne veux plus penser à tout ça. Je veux rentrer, finir d'épuiser ma peine et ma souffrance à la maison.

J'accepte le verre d'eau et remarque que le médecin n'a pas fini de parler. Il attend que je sois en état d'entendre la suite. Et je ne le suis pas. Je me contente de prétendre que je suis prête à encaisser davantage. Mais je ne le suis pas.

-Est-ce que ça va, Faustine ? demande gentiment le médecin.

Sérieusement? J'acquiesce silencieusement malgré tout. J'ai juste envie de partir.

Soudain, quelque chose de chaud touche mon bras et je me tourne vers mon père. Celui-ci serre mon bras dans sa main en hochant la tête. Il me regarde droit dans les yeux pour la première fois depuis le début de cet entretien. Il finit même par rapprocher son siège du mien et garde ma main dans la sienne en la serrant suffisamment pour me donner du courage.

-Je suis désolé Faustine...

-Je t'en prie Aaron, s'énerve mon père. Dis ce que tu as à dire qu'on puisse partir.

Je rejoins mon père sur cette dernière partie mais suis étonnée de son ton agressif. Les deux hommes s'affrontent du regard. Et je comprends qu'il y a quelque chose entre eux. Un secret qu'ils partagent et qui me concernent.

-Tu es Unique, lance mon père en se tournant vers moi. Voilà, c'est dit.

Cette réplique tombe comme une sentence. Non, ce n'est pas possible. Pas moi.

-Maintenant, poursuit-il à l'attention du médecin, tu peux lui expliquer ce que ça signifie.

Mais je sais déjà ce que ça signifie. Je le laisse poursuivre sans vraiment écouter, réalisant l'ampleur de ma situation. J'étais Unique. Il fallait que je sois Unique. Toutes ces belles promesses d'un avenir meilleur, d'une place pour moi dans la société, d'avoir une famille et une Orientation... Tout ça, toutes ces années, c'était du vent. Juste du vent. Jamais je ne connaitrais le bonheur. Voilà ce que ça voulait dire.

-Être Unique signifie que tu n'as pas de partenaire correspondant. Que la génétique ne t'a pas donné l'opportunité de pouvoir enfanter. Et comme tous les Uniques, une place t'es réservée. C'est une très légère compensation pour tous les maux que tu dois ressentir en ce moment. Mais au moins, tu as une Orientation qui t'es donnée d'office. Veux-tu la connaître ?

Je ne réponds pas, les yeux fixés au sol, le visage fermé. Je sens la courbure de mes lèvres descendre et mes sourcils se rapprocher. Enfin, la peine laisse place à la colère. Et ça, au moins, je sais gérer. Comme je continue de garder le silence, le médecin se racle la gorge pour attirer mon attention.

-Je dois te le dire. Tu vas pouvoir travailler...

-Au gouvernement, je le coupe sèchement.

Le médecin reste interdit tandis que je lève mes larges yeux bleus vers lui, pénétrant son regard de sorte à ce qu'il se souvienne de moi le restant de sa vie. Ce n'est peut-être pas lui le fautif mais il faut bien que quelqu'un pait. Et aussi, je sais que lui et mon père me cachent quelque chose.

-Nous pouvons y aller maintenant, dis-je à mon père en me levant sans quitter le médecin des yeux.

Le médecin veut dire quelque chose mais je lui lance un regard qui ne souffre aucune réplique avant de quitter la salle.

Qu'ils aillent tous se faire voir.

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